Beaucoup d'entre vous ont fait référence à la lettre « E », pour « efficacité », qui manque au titre de ce texte. J'avais moi-même utilisé ce mot avec son frère jumeau « efficience ». Nos politiques publiques doivent être efficientes, pour répondre aux problèmes qui se posent, et efficaces, pour bien y répondre. De ce point de vue, la seule règle applicable devrait être le mot-clé « subsidiarité », pourvu qu'il soit correctement employé.
La portée de la différenciation, telle que définie à l'article 1er du projet de loi, se limite-t-elle à du vernis ? Je reprends ce terme, il correspond à l'affirmation d'un principe qui fait son chemin. Au-delà, alors que le Conseil constitutionnel remarque lui-même que l'esprit de différenciation est déjà présent dans la Constitution, le Conseil d'État a quant à lui relevé que ce texte n'était pas assez normatif pour aller plus loin dans ce domaine. C'est aussi notre avis ; il ne s'agit de rien de plus que d'une déclaration de principe supplémentaire. Cette aspiration recoupe pourtant le besoin de proximité : on n'y arrivera pas si tout le monde passe sous la même toise, vis-à-vis de l'État comme des autres niveaux. De ce point de vue, nous sommes réticents à ces chefs de filat supplémentaires qui conduiront à faire des communes des subordonnées de fait des collectivités les plus dotées.
S'agissant des conférences territoriales de l'action publique (CTAP), il me semble nécessaire que des outils de ce type fonctionnent, même si nous jugeons que ces conférences n'ont pas démontré leur capacité à apporter quelque chose. C'est dommage, dans la mesure où leur mission précise est de se pencher après chaque renouvellement des instances locales sur le développement de la décentralisation. Leur organisation n'est pas satisfaisante, il faut aller vers des CTAP plus proches du terrain, par exemple à l'échelle départementale, afin d'ouvrir une réflexion plus concrète et dirigée vers la mise en oeuvre. De ce point de vue, nous nous interrogeons sur la multiplicité des outils. Comment situer les CTAP au regard des nouvelles instances territoriales, comme la conférence régionale du sport, par exemple, ou les conférences de financement ? Soyons plus ramassés, plus précis et moins dispersés : ces outils sont intéressants, mais la réalité de leur fonctionnement ne l'est pas assez.
L'exigence de proximité doit permettre la territorialisation des compétences, laquelle ne constitue pas une entorse grave à la complémentarité entre communes et intercommunalité. L'intercommunalité n'est pas la supracommunalité, comme son nom l'indique, et le bloc communal n'est pas un bloc intercommunal. Si la loi a fixé des compétences obligatoires à l'échelle intercommunale, c'est parce que certaines d'entre elles s'y exercent de manière plus pertinente, mais ce n'est ni immuable ni invariable, si certains territoires mettent en place des coopérations limitées, par exemple à l'échelle européenne. La possibilité d'une territorialisation des compétences au sein du bloc communal doit être mise à disposition des instances locales, à travers des pactes de gouvernance, par exemple, susceptibles de mettre en oeuvre utilement ce principe.
Nous sommes, par ailleurs, favorables à de nouvelles délégations aux maires ; allons au-delà de ce qui est prévu par le texte, car cela reste encore insuffisant. Les maires ont la capacité de décider ou non de le faire. Le maître mot doit être l'efficacité au quotidien. Toutes les communes ne réunissent pas leur conseil municipal onze fois par an, comme je le fais, et entre temps, tout ce qui pourra permettre au maire de bénéficier de délégations nouvelles, y compris venant de l'État - dont il est aussi un représentant - serait bienvenu dans le cadre de la mise en oeuvre de ce principe, sous le contrôle, toujours, de l'assemblée municipale, conformément aux principes de différenciation et d'adaptation au plus près des réalités du terrain pour rendre efficaces les politiques publiques.
Faut-il aller plus loin dans les pouvoirs dérogatoires accordés aux préfets ? À mon sens, oui. Comme président d'union départementale des maires, j'ai cheminé bras dessus bras dessous avec le préfet et une telle évolution me semble positive pour nos concitoyens. Nous avons mesuré combien les préfets, représentant toutes les administrations de l'État, étaient à la peine pour sortir de ce qui avait été fixé par l'État, alors même qu'il leur apparaissait évident qu'il fallait trouver les moyens d'une différenciation dans l'adaptation de la politique publique locale. J'en veux pour exemple la question de l'ouverture des marchés durant le premier confinement : j'ai sollicité le préfet pour ouvrir le marché de ma commune, celui-ci m'a demandé mon avis sur l'opportunité qu'il souhaitait saisir d'accorder à certaines autres communes la possibilité de le faire. Je lui ai répondu que son hypothèse allait dans le sens de ce que nous souhaitions : aller le plus loin possible localement, en restant responsables et concrets. Il a pris la décision d'autoriser cinq ou six marchés à ouvrir et il est venu faire ses courses dans ma commune le lendemain, pour vérifier que l'autorisation accordée au nom de l'État l'avait été à juste titre. Il me l'a dit lui-même : sa décision était « borderline », mais elle était fondamentale pour nos concitoyens.
Les préfets ont une capacité reconnue à l'agilité. Au quotidien, ils aimeraient cumuler leur agilité et la nôtre pour rendre l'action publique plus lisible et donc plus efficace. Je plaide pour cela : il n'y a pas de raison d'être toujours obligés de remonter jusqu'on ne sait où des questions qui appellent des réponses locales.
Quant à la gestion de l'eau et de l'assainissement au sein du bloc communal, vous avez raison : rien n'est réglé. En la matière, la différenciation doit trouver une place éminente. Dans beaucoup de territoires, il est logique que ces questions soient traitées à une échelle plus large que celle de la commune. Bien souvent, on n'a pas attendu les lois récentes pour tirer les conséquences de cette évidence : dans mon territoire, cela fait quarante ans ! En revanche, dans certaines zones rurales, l'assainissement reste géré à l'échelle communale, parfois avec des nouvelles technologies très écologiques ; des choses peuvent et doivent se faire à cette échelle. Quant à la distribution de l'eau, on assiste au retour en force d'une volonté de gestion par soi-même, en régie. Permettre plus de différenciation à l'échelle du bloc communal me semble tout à fait bienvenu.
L'idée de simplification qui s'exprime dans ce texte risque plutôt de se traduire par une complexité accrue ! On connaît bien le problème général des normes : le principe selon lequel toute norme nouvelle doit s'accompagner de la suppression d'une norme ancienne n'est jamais appliqué, quand bien même nous le prônons tous.
Monsieur Milon, les maires entendent votre message sur la différence à faire entre les initiatives des communes en matière de soins de proximité, ainsi que le concours financier qu'elles apportent à la construction de ces locaux, et des participations qui seraient imposées aux communes. Nous voulons encourager le maintien, voire le développement d'une capacité hospitalière de proximité. Certes, on court un risque d'inégalité entre ceux qui peuvent financer de tels équipements et les autres. Néanmoins, nous sommes ouverts à cette proposition, parce que nous souhaitons que les collectivités territoriales retrouvent une place qu'elles ont quelque peu perdue dans le monde hospitalier ; ainsi, nous souhaitons que soient recréés les conseils d'administration des établissements hospitaliers. Nos concitoyens n'ont jamais eu autant besoin des élus locaux que pendant cette crise, y compris dans le domaine sanitaire ! Ce n'est faire injure à personne, ni à l'État ni au monde de la santé, que de reconnaître que, sans les collectivités locales, il n'y aurait pas eu de vaccination à l'échelle que nous connaissons enfin aujourd'hui. Nous sommes interpellés parce que nous avons une agilité et une inventivité réelles, au plus près du terrain. C'est pourquoi nous revendiquons que les élus locaux aient leur place dans le monde hospitalier. Cela n'exclut d'ailleurs pas une certaine modestie : pour l'organisation de la vaccination dans ma commune, je me suis concentré sur la logistique et non sur le recrutement des médecins, pour lequel je me suis appuyé sur l'hôpital et la préfecture.
Quant à l'article 48, qui porte sur la gouvernance du Cerema, dans la mesure où il renvoie les dispositions en question à une ordonnance, nous ne pourrons nous prononcer qu'au vu du texte de celle-ci.
Concernant un éventuel guichet unique pour l'ANCT, le Cerema et l'Ademe, nous n'avons ni revendication ni prévention. Avoir beaucoup d'interlocuteurs à l'échelle régionale peut être utile pour traiter certaines questions de manière spécifique, mais il peut y en avoir trop, auquel cas on ne s'y retrouve pas. Dans le projet de loi Climat et résilience, on veut créer un guichet unique alors qu'il existe déjà des interlocuteurs que l'on pourrait évaluer et dont on pourrait renforcer les capacités. L'État préfère toujours créer quelque chose de nouveau, au détriment de l'évaluation des expérimentations. Nous approuvons tout ce qui peut permettre plus de simplicité, mais faire du guichet unique une exigence permanente pour tous les sujets n'est probablement pas pertinent.
Quant aux dispositions de l'article 14 sur les pouvoirs de police spéciale des maires, j'estime que les maires savent exercer leurs responsabilités et assumer l'ensemble des missions qui leur sont confiées. Nous ne voudrions pas que certaines actions relevant d'un pouvoir de police soient confiées à d'autres, mais que nous en assumions malgré tout la responsabilité. Vous aurez compris ce qui doit en découler dans la formulation législative.
Monsieur Marc, j'ai eu l'occasion ici même d'exprimer ce que les maires pensent des dispositions relatives à l'objectif « zéro artificialisation nette » du projet de loi Climat et résilience : on en dit à la fois trop et trop peu. On renvoie beaucoup au décret, sans fixer les règles qui permettraient à celui-ci de ne pas déborder de son domaine. L'imprécision de l'objectif fixé ouvre la porte à des déséquilibres fondamentaux entre ceux qui n'ont pas attendu la loi pour s'engager dans une démarche en ce sens et ceux à qui la loi offrira plus de souplesse pour faire évoluer leur territoire. La référence prévue aux années antérieures, plaquée de manière uniforme sur les territoires, causera des injustices territoriales. C'est une nécessité de lutter contre l'étalement urbain et l'imperméabilisation des sols, mais il faut trouver les voies et moyens adéquats. Là encore, « différenciation » doit être le mot-clé pour la mise en oeuvre de ce principe national.