Intervention de Catherine Di Folco

Réunion du 3 juin 2021 à 14h30
Abrogation de lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit — Vote sur l'ensemble

Photo de Catherine Di FolcoCatherine Di Folco :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons examiné la semaine dernière, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi de Vincent Delahaye, dite Balai II. Ce texte résulte des travaux de la mission de simplification législative, appelée « mission Balai », pour bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles. Cette mission tend à identifier, puis à abroger via des propositions de loi les dispositions devenues obsolètes ou inutiles.

Cette proposition de loi vise ainsi à mettre en application les objectifs constitutionnels de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Elle permet en effet de réduire le stock de normes, d’éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures et d’améliorer la lisibilité de notre droit.

Pour rappel, au mois de décembre 2019, la loi Balai I a permis d’abroger une cinquantaine de lois adoptées entre 1819 et 1940. La rédaction initiale de la proposition de loi Balai II tendait à en abroger 163, adoptées entre 1941 et 1980.

Si l’objet de ce texte était bien de diminuer le stock de lois, la commission des lois a toutefois souhaité garantir une parfaite sécurité juridique. En effet, le droit français ne prévoit pas d’abrogation expresse par le seul écoulement du temps. Ainsi, le juge, l’administration ou les justiciables peuvent mobiliser des textes anciens, parfois antérieurs à la Révolution française, ou s’en prévaloir, sous réserve de leur compatibilité avec le droit postérieur.

Le risque d’une opération balai est donc d’abroger par erreur un texte d’apparence obsolète, qui constituerait toujours, en réalité, la base légale d’un acte ou d’une situation actuels. Ainsi, les conséquences d’une abrogation accidentelle pourraient être particulièrement lourdes et préjudiciables.

C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé avec la plus grande rigueur et la plus grande prudence pour examiner les mesures d’abrogation prévues dans ce texte, le doute conduisant toujours à renoncer à l’abrogation d’un texte en cas d’incertitude sur ses conséquences juridiques concrètes.

Nous nous sommes appuyés sur l’avis du Conseil d’État, rendu le 11 février dernier, pour examiner dans le détail les 163 lois proposées à l’abrogation, afin de nous assurer que chaque abrogation ne se heurtait à aucun obstacle juridique et ne soulevait pas d’objection en matière de bonne législation.

In fine, avec l’accord de Vincent Delahaye, la commission des lois a écarté 49 des 163 lois inscrites dans cette proposition de loi. Ces retraits sont fondés sur quatre motifs, qui se sont parfois cumulés.

Le premier motif concerne les lois qui sont toujours utilisées ou qui pourraient l’être.

Il en est ainsi des lois dont l’abrogation pourrait avoir des conséquences dommageables ou risquées, dès lors que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou à des actes.

C’est le cas de la loi du 27 décembre 1975 portant réforme du régime d’indemnisation des sapeurs-pompiers communaux non professionnels victimes d’un accident ou d’une maladie survenus en service commandé, puisqu’elle constitue encore le fondement légal du versement de la pension de 22 anciens sapeurs-pompiers.

Il en est de même de la loi du 11 juillet 1978 de programme sur les musées, dont l’article 3 prévoit, au bénéfice du Parlement, des pouvoirs de contrôle spécifiques relatifs au musée d’Orsay.

Le deuxième motif de retrait d’une loi de la liste concerne des lois dont l’abrogation nuirait à l’intelligibilité du droit en vigueur.

Certaines lois comportent en effet des articles qui ont introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur au sein d’un code ou d’une autre loi. Quel effet juridique pourrait avoir l’abrogation d’une disposition introductrice ou modificatrice ? Comment cette abrogation pourrait-elle être interprétée par le public ? Il nous a semblé inutile de créer de la confusion là où cette proposition de loi cherche au contraire à introduire de la lisibilité.

Aussi, la commission des lois a décidé de ne pas abroger les lois ayant introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur afin de garantir l’intelligibilité du droit positif.

Le troisième motif a trait au fait que l’abrogation ne doit pas introduire de risque par ricochet.

Des renvois au sein d’autres textes ont pu être établis par le législateur et il est parfois difficile de mesurer la conséquence de l’abrogation d’une disposition à laquelle un autre article fait référence.

Aussi, afin d’évaluer les problèmes de coordination que pourraient induire les abrogations proposées, nos travaux ont porté sur la recherche de ces renvois. Lorsque les renvois détectés se sont révélés caducs ou sans risque, nous avons accepté sans difficulté l’abrogation proposée. À l’inverse, lorsque le problème de coordination soulevé s’est montré complexe ou incertain, il est apparu prudent de maintenir en vigueur la loi en cause.

Enfin, des motifs plus ponctuels ont conduit la commission des lois à ne pas accepter l’abrogation de certaines lois.

Ainsi, certains textes ayant une valeur symbolique ont été conservés. C’est notamment le cas de la loi du 20 mars 1948 permettant aux femmes l’accession à diverses professions d’auxiliaires de justice ou encore de la loi du 3 juillet 1971, qui a permis la libre installation des médecins.

Pour d’autres lois contenant des dispositions qui sont aujourd’hui de niveau organique, il conviendra d’envisager un autre support législatif. C’est le cas pour la loi du 11 avril 1946 ayant pour objet de permettre aux femmes d’accéder à la magistrature.

Enfin, le Conseil d’État a souligné que le législateur national n’était plus compétent pour modifier certaines dispositions applicables outre-mer et qu’il devait en conséquence renoncer à abroger les lois dans lesquelles elles sont inscrites.

Ainsi, la commission des lois a supprimé 49 lois de la liste des abrogations proposées. En revanche, elle a complété l’abrogation de la loi du 30 mai 1972 relative au contentieux des dommages de guerre par celle de la loi du 9 avril 1952 portant modification des articles 48 à 58, 60 et 61 de la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre.

Madame la ministre, je souhaite une nouvelle fois souligner la qualité de notre collaboration avec les agents de vos services et avec ceux de la direction des affaires juridiques de Bercy. Dans un laps de temps très contraint, nos administrateurs respectifs ont réalisé un travail à la fois très vaste et particulièrement méticuleux ; je tiens à les en remercier.

En conclusion de mon propos, je remercie également Vincent Delahaye de son implication au sein de cette mission de simplification législative pour faire la chasse aux fossiles législatifs, mais aussi de la compréhension bienveillante dont il a fait preuve à l’égard de notre méthode de travail prudente, qui permet in fine de conserver 70 % des abrogations initialement prévues.

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