Le projet de loi Climat et résilience porte une ambition claire : mettre la France sur la trajectoire d'une économie décarbonée d'ici à 2050, avec des mesures transversales touchant tous les secteurs.
Lors de mes travaux, j'ai suivi une ligne directrice : aller au-delà de l'affichage et de la communication, et faire en sorte que ce texte soit à la hauteur des enjeux. Cela se traduit par trois objectifs : consolider l'aspect pragmatique et opérationnel du texte, en préservant les mesures les plus efficaces et en veillant à ne pas créer d'usines à gaz qui desserviraient nos entreprises et nos collectivités territoriales ; remettre sur de bons rails des mesures à contre-emploi, qui auraient un impact défavorable sur l'environnement ; enfin, enrichir le texte avec d'autres mesures indispensables pour que la France relève le défi climatique. Ainsi, je vous propose de gratter le vernis qui entoure de nombreuses mesures, afin d'analyser dans le détail le coeur des dispositifs.
Le nombre d'amendements déposés par tous les groupes politiques du Sénat témoigne de notre volonté commune de faire bouger les choses de manière constructive et ambitieuse. Tout en préservant la résilience de notre modèle économique, nous souhaitions une transition climatique vertueuse, créatrice de valeurs et d'emplois, et fondée sur trois piliers : environnemental, économique et social.
Vous m'avez confié l'analyse de trois parties du texte : le volet « Consommer » ; les articles « forestiers » ; et le volet « Se nourrir ».
Concernant la consommation, réussir la transition écologique implique de modifier certains comportements. Plusieurs outils existent pour cela : l'interdiction stricte, les incitations fiscales et l'information du consommateur, qui repose sur l'hypothèse que ce dernier fera des choix plus vertueux en ayant connaissance des produits et des services. C'est d'ailleurs ce que nous avions déjà recommandé lors de l'examen de la loi Économie circulaire, il y a un an et demi. Les dispositions du volet « Consommer » du présent projet de loi reposent essentiellement sur ces deux leviers : l'information et l'interdiction.
Le volet « Consommer » présente des mesures de portée inégale ; pour certaines, leur ambition environnementale doit être revue à la hausse et leur faisabilité mieux assurée ; je vous propose des amendements en ce sens. On trouve également des dispositifs purement cosmétiques, voire caricaturaux ou démagogiques, que je vous propose de supprimer. Le sujet, à mes yeux, doit être traité sous le prisme de la responsabilisation des consommateurs. Il s'agit de placer les consommateurs en situation de mieux maîtriser les avantages et les inconvénients des produits proposés, afin qu'ils puissent choisir en connaissance de cause. Il faut refuser l'infantilisation et ne plus se payer de mots en pensant que la question est réglée dès lors que le marteau de l'interdiction est venu frapper la tête du commerçant et du client ; cela délégitimise la cause environnementale, aiguise les tensions et oppose les citoyens entre eux, au détriment de l'atteinte de nos objectifs écologiques.
En revanche, il convient de bien sanctionner les tromperies, tout en améliorant la qualité de l'information fournie. Les amendements sur ce volet visent plus d'efficacité environnementale, plus d'acceptabilité et plus de pragmatisme.
J'en viens maintenant au volet « Forêt et aires protégées ». Les dispositions sont dispersées dans deux parties différentes du texte : « Produire » et « Se loger » - et même trois, si l'on inclut la déforestation importée dans le volet « Se nourrir ».
La forêt ne figurait qu'indirectement dans le projet de loi initial ; je regrette qu'elle ait été ainsi oubliée, et je m'interroge : serait-ce parce que la temporalité de la forêt s'étend sur des décennies, voire des siècles, que ce projet de loi - se revendiquant de l'écologie du quotidien - passe à côté de cet enjeu majeur ?
Pourtant, le climat n'est pas une question de court terme. Le lien entre forêt et changement climatique existe dans les deux sens : d'une part, la forêt française atténue le changement climatique en absorbant chaque année plus de 11 % de nos émissions de gaz à effet de serre - la forêt, réservoir de biodiversité, joue un rôle de filtration de l'eau, contribuant à la résilience face au changement climatique - ; et d'autre part, le changement climatique menace la forêt dans son existence même.
Ces dernières années, la forêt a subi les premiers effets du changement climatique. Les sécheresses ont affaibli ses « défenses immunitaires » et elle n'a pu résister aux attaques de parasites, notamment dans le quart nord-est de la France. Enfin, le risque d'incendie menace désormais des régions auparavant peu concernées.
Les forêts sont des écosystèmes complexes, reposant sur des équilibres sensibles et fragiles, qui remplissent plusieurs fonctions à la fois ; ils s'accommodent mal de la spécialisation ou de la sectorisation, avec, d'un côté, des forêts en libre évolution et, de l'autre, des forêts industrialisées.
Depuis plusieurs années, je défends une vision « multifonctionnelle » de la forêt. La multifonctionnalité est l'autre nom de l'intérêt général ; cela consiste à essayer, autant que possible, de concilier les objectifs environnementaux, sociaux et économiques de la forêt. Il faut pouvoir prélever du bois pour capter et séquestrer du carbone, et ainsi répondre à l'objectif de la réglementation environnementale (RE) 2020 d'une augmentation des matériaux bio-sourcés dans la construction. Dans le même temps, il convient de mieux préserver la biodiversité et les espaces naturels, dont on a pu mesurer l'importance vitale en période de Covid-19.
Sur ce volet, je propose que notre commission défende le principe d'une forêt gérée par l'homme, avec l'objectif d'une gestion plus durable. C'est en défendant ce principe que l'on améliorera la résilience de la forêt face au changement climatique ; et c'est avec cette stratégie que l'on optimisera son rôle de puits de carbone.
Enfin, concernant le volet « Se nourrir », mon sentiment est que le Gouvernement a préféré la facilité d'un texte médiatique, qui ne comporte que peu de mesures prescriptives, à la complexité du sujet agricole et alimentaire.
Si la mise en place d'une expérimentation volontaire sur les menus végétariens quotidiens ou le fait d'envisager une redevance sur les engrais vont, à n'en pas douter, nourrir nos débats, je regrette le défaut de réflexion globale sur le sujet de l'empreinte environnementale de notre modèle alimentaire.
Le Sénat a adopté, la semaine dernière, le rapport du groupe de travail sur l'alimentation durable et locale ; je vous propose d'en reprendre les trois postulats.
Premièrement, il faut accepter que notre modèle alimentaire - et son amont agricole - ait une certaine empreinte environnementale, puisqu'il y va de notre capacité à nourrir tous les Français avec des denrées saines, sûres, durables et accessibles à tous.
Deuxièmement, si nous devons faire évoluer ce modèle et modifier certaines pratiques, ne tombons pas non plus dans un catastrophisme et rappelons que notre modèle alimentaire est considéré comme le plus durable du monde depuis des années.
Troisièmement, nous devons tout faire pour réduire cette empreinte environnementale et relever le défi posé par les enjeux climatiques. L'une des grandes fragilités de notre modèle alimentaire est sa dépendance à l'égard des produits importés venant des quatre coins du monde et ne respectant que rarement les normes de production minimales requises en France, comme l'ont souligné les différents rapports de notre collègue Laurent Duplomb - l'exemple le plus désolant est celui de la déforestation importée, qui provoque entre 11 et 17 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Pour réduire l'empreinte environnementale de notre alimentation, la priorité doit être d'assurer notre souveraineté alimentaire, qui ne s'oppose pas à la durabilité de notre modèle ; au contraire, elle en est une condition. Reconquérir notre souveraineté alimentaire en matière de protéines, dans la restauration collective, dans l'assiette des Français, c'est améliorer le bilan environnemental de notre alimentation ; préserver notre amont agricole et l'accompagner dans des changements de pratiques ; c'est améliorer le bilan environnemental de notre alimentation ; et c'est aussi rendre les produits de qualité accessibles pour le plus grand nombre, y compris dans la restauration collective.
Ainsi, nous proposons que le chèque alimentation durable devienne une réalité et pas simplement une promesse. Dans cette transition, personne ne doit être laissé de côté ; c'est la leçon que l'on doit tirer de la crise des « gilets jaunes ». De même, si l'on prenait des mesures punitives sans penser à l'accompagnement, cela créerait des distorsions de concurrence et augmenterait les importations alimentaires de produits.
Sur le volet « Se nourrir », je propose que notre commission remette la souveraineté alimentaire au coeur de la philosophie de ce texte.