J'ai examiné les articles 47 à 55 de ce projet de loi, soit 29 articles, qui traitent de la lutte contre l'artificialisation des sols. Ce volet traduit - avec des adaptations notables - certaines des treize recommandations de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) sur ce sujet. Il reprend aussi au passage certains des objectifs défendus par le Gouvernement depuis plusieurs années, au premier rang desquels l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN). Il a été sensiblement réécrit et complété à l'Assemblée nationale, et allie désormais des mesures très structurantes et des mesures plus anecdotiques.
Le coeur du dispositif est constitué des articles 47 à 49. L'article 47 introduit deux grands objectifs programmatiques qui fixent une trajectoire générale de réduction du rythme de l'artificialisation en deux étapes : d'abord, une réduction par deux d'ici à 2031 par rapport aux dix années précédentes ; puis l'atteinte d'une stabilisation, c'est-à-dire « l'absence d'artificialisation nette », d'ici à2050. L'article 49, à mes yeux, le plus important, prévoit la manière dont cette trajectoire et cet objectif quantitatif seront déclinés dans les documents de planification, depuis l'échelle régionale jusqu'à chaque plan local d'urbanisme (PLU) et carte communale.
Le texte comporte aussi un volet dédié à l'aménagement commercial, souvent résumé comme un « moratoire sur les surfaces commerciales ». Il fixe un principe d'interdiction de toute surface commerciale qui artificialiserait des sols, interdiction absolue au-dessus de 10 000 mètres carrés de surface de vente. Il pourrait y être dérogé pour celles qui sont situées sous ce seuil, sous certains critères.
Les articles 53 et 53 bis introduisent la notion de « friche », et dotent les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de nouveaux outils pour mieux les mobiliser en vue de les réemployer.
Le reste des articles, dont une grande majorité insérée par l'Assemblée nationale, rassemble des dispositions éparses, qui visent à rénover la forme, le contenu et les outils des documents d'urbanisme et de planification, pour mieux lutter contre l'artificialisation, en renforçant, par exemple, l'encadrement des nouvelles ouvertures à l'urbanisation ou en introduisant de nouvelles obligations en matière d'observation de l'habitat et du foncier.
Après plusieurs mois de travaux, qui ont débuté dès février dans le cadre du groupe de travail « ZAN » conduit avec mes collègues Anne-Catherine Loisier et Christian Redon-Sarrazy, quelle est ma lecture de ce texte ?
Certes, il est ambitieux : il prévoit une trajectoire de forte réduction de l'artificialisation et introduit des évolutions d'ampleur à la planification locale. Il faut le saluer, car l'artificialisation soulève de vraies problématiques, tant environnementales qu'économiques, voire sociales. L'étalement urbain a sans doute contribué à un certain sentiment de relégation dans des périphéries. Le texte apporte aussi des avancées intéressantes et appelées de nos voeux depuis longtemps, comme le traitement des friches ou la meilleure planification de l'implantation des surfaces commerciales ou des capacités logistiques.
Cependant, à mes yeux, le texte du Gouvernement donne la priorité à l'effet d'annonce, et se trompe sur la méthode. Il traduit une véritable volonté centralisatrice de la politique d'urbanisme, avec un État « répartiteur » des droits à construire et des collectivités reléguées au rang d'exécutants. Confier aux schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) ce rôle de répartition n'a d'autre intérêt que de limiter le nombre d'interlocuteurs pour l'État, et de pouvoir mieux contrôler l'atteinte des cibles chiffrées. La centralisation de la décision en matière d'urbanisme commercial témoigne de la même volonté de reprise en main de compétences locales.
En tant qu'élus, nous savons tous que c'est à l'échelon de proximité que naissent et sont accompagnés les projets. C'est aussi là que le dialogue est le plus fructueux, là que s'opère la nécessaire conciliation des objectifs de politique publique entre logement, biodiversité, développement économique, agriculture...
En somme, l'approche centralisée et uniforme défendue par le projet de loi manque selon moi à la fois de réalisme et d'efficacité.
Je fais le même constat sur les articles disparates de ce volet : à chaque fois, le Gouvernement et l'Assemblée nationale sont passés par des obligations. Obligation de surface végétalisée en zone dense, obligation de nouvelles orientations d'aménagement et de programmation (OAP), obligation de réviser le PLU pour ouvrir à l'urbanisation, obligation de rapport annuel, énièmes études... Beaucoup d'énergie qui sera dépensée par les collectivités pour des mesurettes qui ne me paraissent pas apporter de réelle plus-value, mais qui alourdissent les procédés.
À l'inverse, il me semble que beaucoup de choses sont absentes du texte. Pas de nouvel accompagnement financier ou d'ingénierie, à part quelques mesures anecdotiques. Rien non plus sur la renaturation, alors que la « désartificialisation » sera la clef si l'on raisonne en approche « nette ». Aucune mesure de simplification des opérations vertueuses, par exemple celles qui sont menées sur les friches, ou réhabilitant le bâti existant. Enfin, un manque criant d'évaluation concrète de l'impact des mesures prévues par le projet de loi, l'étude d'impact consacrant deux maigres paragraphes à l'effet économique et social du ZAN...
Mes nombreux amendements sur le volet « Artificialisation des sols » traduisent les constats que je viens de vous présenter.
D'abord, j'ai souhaité remplacer l'approche centralisée et uniforme, par une approche différenciée et territorialisée. Je souhaite replacer le Sraddet dans son rôle d'orientation générale, pour confier la territorialisation des efforts aux schémas de cohérence territoriale (SCoT), puis aux PLU. Je souhaite dire clairement dans la loi que les cibles que se fixeront les collectivités tiendront compte de la conciliation des enjeux locaux et de leurs spécificités. Je veux confier aux territoires les clefs de leur avenir, dans le respect de la décentralisation. En matière d'urbanisme commercial, je refuserai le transfert à l'échelon national de la décision.
Ensuite, j'ai souhaité améliorer le caractère opérationnel et concret de ce projet de loi. Je propose d'assouplir les délais quand cela est nécessaire, de renforcer l'évaluation quand cela est pertinent, de modifier les définitions pour les rendre les plus concrètes possible pour les acteurs locaux. Je vous proposerai que les maires puissent soumettre, au cas par cas, à la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) les projets de surface commerciale qui les inquiètent du point de vue de l'artificialisation ou de l'aménagement commercial.
J'ai souhaité apporter à ce volet une dose de simplification, qui lui manque cruellement. Je proposerai ainsi d'accélérer les projets vertueux et sur des friches, ou encore d'articuler les procédures pour aller à l'essentiel sans perte d'énergies.
Enfin, je propose d'introduire des dispositifs innovants, sur une base volontaire, pour donner toute leur portée aux initiatives locales. Je ferai notamment des propositions en matière de permis de végétaliser, de certificat de projet, ou encore d'autorisations d'urbanisme.
Tel est l'esprit dans lequel j'aborde l'examen de ce projet de loi, et l'approche que je vous propose pour les mesures relatives à l'artificialisation des sols. C'est avec ce fil rouge que nous pourrons aborder demain l'examen des 29 articles et des plus de 300 amendements.