Mon amendement COM-1638 identique à un amendement de mon collègue Pascal Martin, rapporteur au fond, apporte une précision garantissant le respect de la biodiversité dans le cadre d'échanges de parcelles.
L'amendement COM-1638 est adopté.
Nous abordons, pour clore nos travaux, le titre V intitulé « Se nourrir ».
La Convention citoyenne pour le climat avait engagé une réflexion intéressante, reprenant certaines positions défendues dans nos chambres depuis des années. Moins d'émissions de gaz à effets de serre pour l'amont en mobilisant tous les outils à disposition, des acteurs de l'aval et des consommateurs plus responsables en matière de rémunération des agriculteurs, de produits de qualité, et des décideurs publics plus cohérents en matière de choix de politique commerciale au niveau international : le cap était partagé.
En revanche, les moyens proposés feront l'objet de débats, de contestations ou d'enrichissements dans le cadre du débat parlementaire.
Mais ce travail s'est traduit dans un volet finalement réduit à sept articles. Il est vrai que les réflexions stratégiques de la Convention citoyenne ne relevaient pas forcément du domaine de la loi, mais plutôt de la politique agricole commune (PAC) ou, plus simplement, d'un changement des pratiques individuelles.
Il semble que le Gouvernement ait préféré, sur ce volet, la facilité d'un texte médiatique, pauvre en mesures prescriptives, mais au fort potentiel symbolique, à la complexité du sujet agricole et alimentaire. En témoigne l'article 59 qui met en place une expérimentation d'un menu végétarien quotidien pour les collectivités volontaires.
Rappelons que l'article 24 de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) a mis en place, à titre expérimental, un menu végétarien hebdomadaire obligatoire en restauration scolaire depuis novembre 2019 en vue d'une éventuelle généralisation, le cas échéant avec des ajustements.
Or avec le confinement, une grande partie de la restauration scolaire a dû se réorganiser. Dès lors, comme le dit le rapport d'évaluation du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) rendu voici quelques jours, il n'est pas possible de disposer de données fiables sur l'expérimentation. Nous savons simplement que les élus locaux se sont engagés dans son déploiement, souvent complexe, puisque 94 % d'entre eux l'ont mise en oeuvre selon l'Association des maires de France (AMF), mais que 75 % d'entre eux refusent sa pérennisation à ce stade.
Je vous proposerai par conséquent de ne pas pérenniser dès maintenant l'expérimentation d'un menu végétarien hebdomadaire, comme le proposent les députés, mais, dans une optique plus opérationnelle et respectueuse des engagements de la loi Egalim, de la renouveler pour une durée limitée afin de disposer d'une évaluation.
Autre exemple de mesure médiatique ne tenant pas compte de la complexité du monde agricole : la taxe sur les engrais azotés. L'article 63 fixe une trajectoire de réduction annuelle des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac. Si les objectifs ne sont pas atteints pendant deux années consécutives, le Gouvernement envisagera de mettre en place une redevance sur l'utilisation de ces engrais, si l'Union européenne ne le fait pas avant lui. En d'autres termes, les filières ont deux cycles de récoltes pour réduire leurs émissions, sous peine de se voir imposer une taxe. Pour un gouvernement qui s'érige en contempteur d'une écologie punitive, je trouve cette proposition très paradoxale.
Nous avons réfléchi, avec le rapporteur de ces deux articles, Pascal Martin, et ma collègue rapporteur pour avis Christine Lavarde, à substituer à cette logique punitive une logique incitative et plus efficace. Nous vous proposons un amendement de mise en place d'un plan Eco'Azot, sur le modèle du plan Écophyto, rassemblant l'ensemble des mesures d'accompagnement pour aider les agriculteurs à atteindre les objectifs en la matière. Si les objectifs ne sont pas atteints, une redevance pourra être envisagée, mais au niveau européen afin de ne pas accroître les distorsions de concurrence. Cette démarche me semble plus mobilisatrice et opérationnelle, et plus aux prises avec la réalité agricole et les discours tenus aux agriculteurs.
Au-delà de ces deux mesures, certaines pistes intéressantes ont été esquissées dans le texte. Ainsi de l'article 60 sur la restauration collective qui part d'un constat d'échec : l'objectif de 50 % de produits de qualité ou plus durable ne sera pas atteint en 2022 par les gestionnaires, les auditions ayant révélé que le taux d'atteinte était sans doute autour de 15 % dont la moitié de bio.
Pourquoi ces difficultés ? Les gestionnaires ont pris le sujet à bras-le-corps, notamment dans nos communes. Ne compliquons pas leur tâche. Nous y reviendrons à l'article 59 ter qui vise à réglementer au niveau national la tarification de nos cantines scolaires.
Les personnes auditionnées nous ont fait part des surcoûts et des difficultés logistiques, compte tenu d'une relative rareté des denrées induites. En effet, les signes officiels de qualité hors bio tels que le label rouge, les appellations d'origine protégée ou contrôlée (AOP), l'indication géographique protégée (IGP) représentent 1 % de la production nationale de fruits et légumes, 2 % pour le pain, 3 % pour le porc et le boeuf, 4 % pour les oeufs. La surface agricole utilisée (SAU) bio est de 8,5 % de la SAU française. Il sera donc difficile d'atteindre un seuil de 50 % sans avoir recours à des denrées importées. Les gestionnaires nous ont confirmé que leur poids a même augmenté sur certaines filières.
À l'heure de prévoir une extension de cet ambitieux objectif à la restauration collective privée, ce que propose l'article 60 et ce à quoi je vous propose de souscrire, nous devons être vigilants sur une possible inadéquation entre offre et demande qui ne profiterait qu'aux produits importés.
Il convient donc d'élargir la liste des produits éligibles dans les 50 % de produits de qualité ou durables à d'autres démarches environnementales vertueuses qu'il faudrait promouvoir, afin de desserrer l'étau pour les gestionnaires.
L'article 60 prévoit un tel élargissement aux produits issus du commerce équitable, dont la définition sera resserrée à l'article 66 pour y inclure un volet environnemental.
J'entends les critiques des filières déjà éligibles, qui craignent de se voir concurrencées dans leur marché réservé ; mais compte tenu des volumes à approvisionner, il y aura de la place pour tout le monde, et la priorité est d'éviter l'explosion des importations.
Je vous proposerai trois amendements afin d'inclure dans ces 50 %, dans le respect du droit européen, les produits provenant des approvisionnements directs de produits de l'agriculture - les circuits courts - ainsi que d'autres démarches environnementales certifiées par un tiers indépendant et éligibles sous le contrôle du ministère de l'agriculture. Le troisième visera à mieux valoriser les produits issus de projets alimentaires territoriaux (PAT). Je vous proposerai également d'envoyer un signal au Gouvernement en renforçant l'ambition de ces PAT.
Une autre piste intéressante du projet de loi, aux articles 63 bis à 64 ter, consiste à rendre plus effective la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) adoptée en 2018, qui vise « zéro déforestation importée » en 2030.
La principale source de déforestation importée ne réside pas tant dans le commerce du bois que dans le défrichage en vue de la conversion des terres forestières vers l'agriculture. Les principaux suspects ont donc pour nom : boeuf, soja, huile de palme ou encore cacao, venus du Brésil, d'Indonésie ou d'Afrique équatoriale... À ce titre, lutter contre la déforestation importée, c'est aussi lutter pour notre souveraineté alimentaire. La déforestation importée met en péril la planète, mais aussi notre autonomie protéique !
C'est pourquoi je me félicite de la position commune à laquelle nous avons abouti avec plusieurs collègues, dont les rédacteurs du groupe de travail « Alimentation durable et locale ».
L'article 63 bis inscrit la SNDI dans la loi. Nous vous proposons de consacrer dans la loi la plateforme nationale, de dresser la liste des acteurs associés à la SNDI, en particulier les grandes entreprises liées par le devoir de vigilance, et de créer un plafond indicatif d'émissions liées à la déforestation importée dans la stratégie nationale bas carbone, afin de donner un cap clair pour tous les acteurs.
L'article 64 donne aux services du ministère de la transition écologique l'accès à des données des douanes placées sous le sceau du secret.
Enfin, nous vous proposons d'adopter l'objectif « zéro déforestation importée » par l'État dès 2022, prévu à l'article 64 bis, et de décliner cet objectif par un décret mis à jour tous les quatre ans, pour en assurer la traduction concrète et le suivi.
Sur la déforestation importée, nous vous proposons en somme de rehausser et l'ambition et le caractère opérationnel du texte.
Enfin, le texte contient quelques mesures symboliques, actant une articulation entre le plan stratégique national pour la prochaine PAC avec d'autres plans prévus ainsi que l'officialisation de la définition d'une stratégie alimentation, prévue à l'article 61, permettant de mieux articuler le programme national d'alimentation avec le plan national nutrition santé.
Nos collègues de l'Assemblée nationale ont enrichi le texte d'éléments intéressants, comme la demande de rapport sur le chèque alimentaire et nutritionnel à l'article 60 bis - le Président de la République s'étant engagé à le mettre en oeuvre au mois de février dernier. Cette idée me paraissant particulièrement intéressante, je vous proposerai d'en acter le principe directement dans la loi.
Les députés ont également voté, à l'article 66 bis, un encadrement des labels privés, afin d'éviter quelques abus et de lutter contre la profusion de ces labels qui parfois ne sont pas suffisamment contrôlés.
Il reste néanmoins des trous dans la raquette de ce projet de loi. Ainsi, sur l'étiquetage de l'origine des denrées alimentaires, nous sommes dans une impasse depuis l'annulation de l'expérimentation de l'affichage de l'origine du lait. Je vous proposerai de faire bouger les lignes dans le total respect du droit européen.
Au terme de cette analyse, j'estime qu'il manque une ligne directrice à ce texte. Le groupe de travail « Alimentation durable et locale » du Sénat, dont nous avons adopté le rapport il y a quelques jours, s'est, pour sa part, confronté à la complexité des défis posés au monde agricole aujourd'hui.
Pour renforcer la durabilité de notre modèle agricole, il préconise avant tout un renforcement de notre souveraineté alimentaire. Importer en produisant moins en France, c'est davantage de pesticides et davantage de transport, avec un bilan environnemental global très négatif. Notre empreinte eau est ainsi ce qui nous pénalise dans le classement de The Economist sur la durabilité du modèle français ; or, 50 % de cette empreinte est importée, notamment à travers le soja brésilien.
C'est pourquoi je vous proposerai, dans un amendement à l'article 61, de placer la souveraineté alimentaire au coeur de notre stratégie. Celle-ci serait élaborée avec les filières, par exemple dans des plans de filières adaptés remis au ministre, et identifierait les parts de marché à reconquérir en priorité pour développer une filière ambitieuse au niveau de ces filières.
Pour décliner cette stratégie, je vous proposerai que les gestionnaires veillent, dans les expérimentations sur les menus végétariens, à ne pas promouvoir des produits comme du soja brésilien ou des légumineuses canadiennes. Dans le même sens et pour renforcer le volet sur la déforestation importée, nous vous proposerons de demander aux plus grandes entreprises un plan d'action permettant d'identifier et de prévenir la déforestation importée associée à leur activité. La déforestation importée est d'abord un problème de traçabilité et ce sont les entreprises qui disposent des informations les plus précises sur les pratiques de leurs sous-traitants.
En résumé, ma position sur le volet « Se nourrir » se résume en trois axes. D'abord, promouvoir une alimentation plus locale en utilisant le levier de la restauration collective et en s'appuyant sur les projets alimentaires territoriaux.
Ensuite, promouvoir un modèle alimentaire plus souverain, en reconquérant les parts de marché perdues face aux produits importés, en affichant l'origine des denrées alimentaires et en actant définitivement le principe du chèque alimentaire permettant aux personnes les plus démunies d'avoir accès à des denrées de qualité.
Enfin, promouvoir une transformation de l'amont agricole par l'incitation et non l'injonction, en substituant à la taxe sur les engrais azotés proposée par le Gouvernement un véritable plan d'accompagnement Eco'Azot auprès des agriculteurs.