Intervention de Dominique Bussereau

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 9 juin 2021 à 9h30
Projet de loi relatif à la différenciation la décentralisation la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale — Audition de M. Dominique Bussereau président de l'assemblée des départements de france

Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des départements de France :

Ce projet de loi était attendu, même s'il est bien loin des grandes réformes Defferre ou Raffarin. C'est un texte à l'ambition très limitée, ce qui explique la déception des principales associations d'élus.

Très technique, voire technocratique, le texte ne met pas fin à la période très centralisatrice que nous connaissons depuis quelques années et il ne tient pas compte des préconisations que nous avons formulées à la suite de la crise sanitaire, notamment devant la commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, constituée par votre assemblée.

Lors de l'adoption de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi « NOTRe », nous avions fondé beaucoup d'espoirs dans les conférences territoriales de l'action publique (CTAP), qui devaient être le lieu dans chaque territoire de la coordination entre la région, les départements et les principaux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Mais ce schéma n'a pas bien fonctionné, à quelques exceptions près ; je pense notamment à l'exemple breton. Les élus ne s'y rendent plus et l'absentéisme ne cesse d'y croître. Or ce projet de loi n'apporte presque aucune amélioration à cet état de fait.

Je souhaite également aborder le sujet des routes. Il y a de moins en moins de routes nationales : en Charente-Maritime, on compte 6 000 kilomètres de routes départementales, pour seulement 138 kilomètres de routes nationales. En outre, la carte administrative des directions interdépartementales des routes (DIR) ne correspond plus à grand-chose. De nombreux départements plaident donc pour un transfert des routes nationales, sous réserve d'une négociation sur les conditions financières du transfert, les conditions du transfert des personnels et l'état du réseau routier transférable. Or la concertation sur ce sujet a été très limitée. Nous ne disposons à ce jour d'aucune carte des routes qui pourraient être transférées. De surcroît, l'État propose d'ouvrir la possibilité de ce transfert aux régions, qui n'étaient pourtant pas demandeuses, en se fondant sur l'exemple très spécifique de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) qui souhaite pouvoir contrôler la circulation sur la rive gauche du Rhin. L'article 7 du projet de loi prévoit une expérimentation du transfert de certaines routes de l'État aux régions sur une durée de cinq ans, mais à quoi cela correspond-il ?

Sur la question de la santé, la phase aiguë, au printemps 2020, de la crise sanitaire dont nous sortons a montré combien les relations entre collectivités et agences régionales de santé (ARS) étaient peu fluides, à l'exception notable de l'Île-de-France. Quand, dans mon département, il y a eu quatorze morts dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), personne n'a été mis au courant ! Nous souhaitons ainsi voir notre rôle reconnu en siégeant au sein des conseils, non de surveillance mais d'administration des ARS. Quant à Régions de France, elle souhaite que la présidence de l'ARS soit exercée par le président de région et que le choix du directeur général de l'agence soit réalisé conjointement par le préfet de région ou le ministre de la santé et le président de région. Or toutes ces propositions sont tombées à l'eau : la gouvernance des ARS va rester très parisienne.

À cet égard, je reconnais cependant que certaines évolutions vont dans le bon sens, comme la possibilité pour les collectivités de financer les établissements publics de santé. Je pense aussi à la possibilité de recruter de professionnels de santé, comme le fait déjà le département de la Saône-et-Loire. S'agissant des laboratoires vétérinaires, souvenez-vous du mal que nous avons eu pour qu'ils participent aux campagnes de tests !

La question de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) n'est pas un problème droite-gauche : Stéphane Troussel, président socialiste du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, est farouchement pour, alors que Jean-Luc Chenut, président socialiste du conseil départemental d'Ille-et-Vilaine, est résolument contre. Une dizaine de départements y est favorable : il s'agit soit de départements pauvres et ruraux - comme la Corrèze ou la Creuse - soit de grands départements urbains qui connaissent des difficultés sociales. Mais l'ADF y est majoritairement opposée, afin de maintenir le lien entre le versement de l'allocation et les politiques d'insertion menées sur le terrain. Comment l'État, qui n'est guère plus présent qu'à l'échelon régional, serait-il capable de gérer ce dossier ? Le projet de loi nous propose une expérimentation, à laquelle sept départements pourraient être candidats avec la difficulté liée au choix de l'année de référence, qui a été imposée par Bercy.

La disposition relative au recours obligatoire au traitement automatisé d'appui à l'évaluation de la minorité, inscrite dans ce projet de loi, pourrait également être examinée dans le cadre d'un prochain projet de loi relatif à l'enfance, porté par le secrétaire d'État Adrien Taquet. Ce sujet est plus clivé politiquement au sein de l'ADF : nos collègues de gauche n'y sont pas très favorables, contrairement à la majorité.

Certaines dispositions relatives aux ressources humaines sont positives, mais deux sont négatives. Nous avions demandé le transfert des gestionnaires de collèges et lycées : ces personnels travaillent avec nos crédits et nos personnels, or nous avons le plus grand mal à travailler avec eux. Le ministère de l'éducation nationale est opposé à un tel transfert. L'arbitrage interministériel retenu aboutit à une solution intermédiaire très étrange : il nous est ainsi proposé l'expérimentation pour trois ans d'un simple pouvoir d'instruction. Sachez que le Premier ministre ne serait pas hostile au transfert direct de ces personnels. Souvenez-vous des cris d'orfraie entendus lors du transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) !

La médecine scolaire est un scandale national. Auparavant, il y avait un médecin dans chaque établissement, contre un pour 12 000 élèves actuellement - sans compter la pédopsychiatrie à l'abandon. J'ai demandé que les départements récupèrent ce service, pour le transformer en grand service de médecine de la protection maternelle et infantile (PMI) jusqu'à l'adolescence. L'État a refusé ; je le regrette.

Nous avons peur de découvrir les chiffres du RSA en 2020 : des petits commerces, restaurants, entreprises vont fermer leurs portes et leurs salariés, plutôt âgés, seront au chômage et demanderont le RSA. Nous demandons une clause de sauvegarde sur le RSA en cas d'effet « ciseau » dans certains départements, afin de le compenser. Je ne suis pas là pour pleurer : les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) sont très dynamiques - certes peut-être moins dans les Ardennes qu'en Charente-Maritime... -, mais je ne suis pas sûr que cela dure, notamment dans certains départements comme le Nord. Nous sommes en train de négocier avec le Gouvernement sur ces sujets financiers mais cette discussion est distincte des débats sur ce projet de loi.

En conclusion, ce texte comprend des améliorations intéressantes, mais il reste très technique. Je regrette que nous n'ayons pas une période de décentralisation « Castex » comme celles connues avec Pierre Mauroy et Gaston Defferre, ou avec Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin. Nous aurions ainsi pu tirer davantage les leçons de la crise sanitaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion