Nous accueillons ce matin Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
Ce projet de loi était attendu, même s'il est bien loin des grandes réformes Defferre ou Raffarin. C'est un texte à l'ambition très limitée, ce qui explique la déception des principales associations d'élus.
Très technique, voire technocratique, le texte ne met pas fin à la période très centralisatrice que nous connaissons depuis quelques années et il ne tient pas compte des préconisations que nous avons formulées à la suite de la crise sanitaire, notamment devant la commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, constituée par votre assemblée.
Lors de l'adoption de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi « NOTRe », nous avions fondé beaucoup d'espoirs dans les conférences territoriales de l'action publique (CTAP), qui devaient être le lieu dans chaque territoire de la coordination entre la région, les départements et les principaux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Mais ce schéma n'a pas bien fonctionné, à quelques exceptions près ; je pense notamment à l'exemple breton. Les élus ne s'y rendent plus et l'absentéisme ne cesse d'y croître. Or ce projet de loi n'apporte presque aucune amélioration à cet état de fait.
Je souhaite également aborder le sujet des routes. Il y a de moins en moins de routes nationales : en Charente-Maritime, on compte 6 000 kilomètres de routes départementales, pour seulement 138 kilomètres de routes nationales. En outre, la carte administrative des directions interdépartementales des routes (DIR) ne correspond plus à grand-chose. De nombreux départements plaident donc pour un transfert des routes nationales, sous réserve d'une négociation sur les conditions financières du transfert, les conditions du transfert des personnels et l'état du réseau routier transférable. Or la concertation sur ce sujet a été très limitée. Nous ne disposons à ce jour d'aucune carte des routes qui pourraient être transférées. De surcroît, l'État propose d'ouvrir la possibilité de ce transfert aux régions, qui n'étaient pourtant pas demandeuses, en se fondant sur l'exemple très spécifique de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) qui souhaite pouvoir contrôler la circulation sur la rive gauche du Rhin. L'article 7 du projet de loi prévoit une expérimentation du transfert de certaines routes de l'État aux régions sur une durée de cinq ans, mais à quoi cela correspond-il ?
Sur la question de la santé, la phase aiguë, au printemps 2020, de la crise sanitaire dont nous sortons a montré combien les relations entre collectivités et agences régionales de santé (ARS) étaient peu fluides, à l'exception notable de l'Île-de-France. Quand, dans mon département, il y a eu quatorze morts dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), personne n'a été mis au courant ! Nous souhaitons ainsi voir notre rôle reconnu en siégeant au sein des conseils, non de surveillance mais d'administration des ARS. Quant à Régions de France, elle souhaite que la présidence de l'ARS soit exercée par le président de région et que le choix du directeur général de l'agence soit réalisé conjointement par le préfet de région ou le ministre de la santé et le président de région. Or toutes ces propositions sont tombées à l'eau : la gouvernance des ARS va rester très parisienne.
À cet égard, je reconnais cependant que certaines évolutions vont dans le bon sens, comme la possibilité pour les collectivités de financer les établissements publics de santé. Je pense aussi à la possibilité de recruter de professionnels de santé, comme le fait déjà le département de la Saône-et-Loire. S'agissant des laboratoires vétérinaires, souvenez-vous du mal que nous avons eu pour qu'ils participent aux campagnes de tests !
La question de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) n'est pas un problème droite-gauche : Stéphane Troussel, président socialiste du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, est farouchement pour, alors que Jean-Luc Chenut, président socialiste du conseil départemental d'Ille-et-Vilaine, est résolument contre. Une dizaine de départements y est favorable : il s'agit soit de départements pauvres et ruraux - comme la Corrèze ou la Creuse - soit de grands départements urbains qui connaissent des difficultés sociales. Mais l'ADF y est majoritairement opposée, afin de maintenir le lien entre le versement de l'allocation et les politiques d'insertion menées sur le terrain. Comment l'État, qui n'est guère plus présent qu'à l'échelon régional, serait-il capable de gérer ce dossier ? Le projet de loi nous propose une expérimentation, à laquelle sept départements pourraient être candidats avec la difficulté liée au choix de l'année de référence, qui a été imposée par Bercy.
La disposition relative au recours obligatoire au traitement automatisé d'appui à l'évaluation de la minorité, inscrite dans ce projet de loi, pourrait également être examinée dans le cadre d'un prochain projet de loi relatif à l'enfance, porté par le secrétaire d'État Adrien Taquet. Ce sujet est plus clivé politiquement au sein de l'ADF : nos collègues de gauche n'y sont pas très favorables, contrairement à la majorité.
Certaines dispositions relatives aux ressources humaines sont positives, mais deux sont négatives. Nous avions demandé le transfert des gestionnaires de collèges et lycées : ces personnels travaillent avec nos crédits et nos personnels, or nous avons le plus grand mal à travailler avec eux. Le ministère de l'éducation nationale est opposé à un tel transfert. L'arbitrage interministériel retenu aboutit à une solution intermédiaire très étrange : il nous est ainsi proposé l'expérimentation pour trois ans d'un simple pouvoir d'instruction. Sachez que le Premier ministre ne serait pas hostile au transfert direct de ces personnels. Souvenez-vous des cris d'orfraie entendus lors du transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) !
La médecine scolaire est un scandale national. Auparavant, il y avait un médecin dans chaque établissement, contre un pour 12 000 élèves actuellement - sans compter la pédopsychiatrie à l'abandon. J'ai demandé que les départements récupèrent ce service, pour le transformer en grand service de médecine de la protection maternelle et infantile (PMI) jusqu'à l'adolescence. L'État a refusé ; je le regrette.
Nous avons peur de découvrir les chiffres du RSA en 2020 : des petits commerces, restaurants, entreprises vont fermer leurs portes et leurs salariés, plutôt âgés, seront au chômage et demanderont le RSA. Nous demandons une clause de sauvegarde sur le RSA en cas d'effet « ciseau » dans certains départements, afin de le compenser. Je ne suis pas là pour pleurer : les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) sont très dynamiques - certes peut-être moins dans les Ardennes qu'en Charente-Maritime... -, mais je ne suis pas sûr que cela dure, notamment dans certains départements comme le Nord. Nous sommes en train de négocier avec le Gouvernement sur ces sujets financiers mais cette discussion est distincte des débats sur ce projet de loi.
En conclusion, ce texte comprend des améliorations intéressantes, mais il reste très technique. Je regrette que nous n'ayons pas une période de décentralisation « Castex » comme celles connues avec Pierre Mauroy et Gaston Defferre, ou avec Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin. Nous aurions ainsi pu tirer davantage les leçons de la crise sanitaire.
Je vous remercie de votre intervention. Le président du Sénat a émis un constat similaire au vôtre. Nous remercions la ministre de ce projet de loi, fil ténu, mais il lui manque la lettre « E » pour « efficacité de l'action publique ».
Les articles relatifs aux compétences sociales des collectivités auxquels nous nous raccrochons seront examinés au fond par la commission des affaires sociales, mais je partage votre interrogation sur l'adéquation des ressources aux compétences.
Les trois premiers articles du projet de loi concernent la différenciation. L'article 1er est une redite de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière. Quelle est la valeur ajoutée de prôner la différenciation sans aller plus loin ? Serait-il selon vous pertinent de réécrire cet article ? S'agissant de l'article 2, les collectivités territoriales doivent disposer d'un réel pouvoir réglementaire local, dès lors qu'elles ont une compétence et en raison de la diversité de leurs besoins, dans des domaines nettement plus nombreux. Lorsqu'une collectivité exerce une compétence, il lui faut des ressources humaines. Le projet de loi « Climat et résilience » propose d'obliger à plus d'approvisionnement en bio ou en circuits courts, or ni les départements ni les régions n'ont d'autorité sur le personnel de restauration. Seriez-vous d'accord pour que le Sénat aille plus loin en la matière, sur l'article 41 ?
Les infirmières scolaires doivent être rattachées aux départements. Actuellement, elles sont isolées dans leur pratique et trop peu nombreuses. Le département détient de nombreux outils, et peut repérer les enfants en difficulté dans les écoles.
Aussi, que pensez-vous de la proposition du Sénat de recentraliser la prise en charge des mineurs non accompagnés ? L'article 39 du projet de loi propose une option différente, et laisse la charge aux départements.
De la même manière, les Ehpad sont sous la double tutelle État-département. Parfois, le président de département était informé d'un cluster dans un Ehpad par la presse et non par le directeur de l'ARS...
Ce texte ne semble pas résoudre la question des moyens mis en face des transferts de compétences. Si les départements sont sollicités pour les routes - je pense en particulier à l'Ardèche -, certains ont des fortunes diverses, et peinent parfois à assurer leur bon entretien.
Que pense l'ADF du fonctionnement des CTAP ? Ce sont des « ovnis » fonctionnant bien dans certaines régions, comme en Bretagne, mais selon les élus que nous avons entendus, elles sont au mieux une chambre d'enregistrement, au pire un lieu de palabres plus que de dialogue. Les espoirs ont été déçus en la matière. Nous voudrions redonner un peu de souffle à ce texte. Nous souhaiterions que le département puisse disposer de plus d'agilité en période de crise pour prendre en compte les besoins spécifiques de certains territoires - à titre d'exemples, commerces de proximité, mobilités... Il est parfois difficile d'entendre que le département ne peut pas agir, faute d'avoir la compétence. Les élus nous demandent plus de souplesse et de proximité.
Merci de votre venue au Sénat, ce cercle des présidents de conseil général disparus (Sourires), et d'avoir cité le Nord.
Ce texte est, soyons francs, faiblard, et arrive en fin de quinquennat. Sa prospérité, y compris ce qui concerne son parcours législatif à l'Assemblée nationale, nous laisse songeurs.
Je préfère la logique de « bloc de cohérence » à celle du « bloc de compétences ». Les partages de responsabilité ne sont pas toujours clairs entre les trois niveaux de collectivités.
Dans le bloc de cohérence santé-prévention, la médecine scolaire, du plus jeune âge jusqu'au lycée, est un enjeu majeur et doit revenir aux départements. Cela suppose des ressources. Les conseils départementaux détiennent une expertise en matière de PMI, de planification familiale, de prévention-santé, et sont les mieux placés pour le faire.
Le problème des ressources peut aussi être réglé par un transfert vers l'État de certaines compétences. Ainsi, le bloc de cohérence sûreté-sécurité devrait intégrer les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Quel intérêt pour les départements d'être gestionnaires des SDIS alors que ceux-ci relèvent de l'autorité hiérarchique du préfet ? Je ne me fais pas que des amis en proposant cette solution, car les départements ont beaucoup investi dans les SDIS, et les sapeurs-pompiers nous en savent gré. Mais le préfet reste en dernière analyse le patron s'agissant des questions de sûreté et de sécurité... Les départements pourraient donc récupérer la médecine scolaire en échange d'un transfert des SDIS. Que pensez-vous de cette idée, que j'ose qualifier d'iconoclaste ?
Madame Gatel, je m'interroge aussi sur l'article 1er. Qu'en a pensé le Conseil d'État ? Qu'en pensera le Conseil constitutionnel ? C'est abscons et ne déclenchera pas d'enthousiasme... Vous réussirez peut-être à obtenir des précisions de la part du Gouvernement sur ses intentions.
Nous pourrions complètement gérer les Ehpad. Certes, l'ARS est là pour enquêter et les surveiller. Mais c'est comme pour les directeurs d'administration centrale dépendant de deux ministres : chaque ministre croit que c'est l'autre qui dirige... Il faudrait que les départements récupèrent la compétence de gestion des Ehpad, l'ARS conservant le rôle de surveillance régalienne. Nous pourrions alors mener à bien un chantier très coûteux et nécessaire : leur rénovation thermique. Eussions-nous été en confinement individuel durant la canicule, il y aurait eu bien plus que quelques dizaines de milliers de morts - souvent, il n'y a qu'une pièce climatisée par établissement. Il en va de même pour le chantier de rénovation thermique des établissements scolaires, un énorme travail reste à faire.
Nous sommes favorables au volontariat sur la compétence des routes. Les départements volontaires pour reprendre des routes nationales peuvent le faire ; sinon, l'État les conserve. Nous avons l'accord de Jean-Baptiste Djebbari et Jacqueline Gourault sur ce point. Par exemple, la RN 10 au nord de Bordeaux achemine énormément de camions, qui refusent de payer le péage de l'A 10 et se déportent ainsi sur la RN. Or cette route traverse de nombreux départements, et se divise ensuite vers Angoulême et Limoges. Que faire de ces axes ? L'État peut les garder, ou alors nous pourrions créer un syndicat mixte interdépartemental. Se pose également la question des axes en périphérie des grandes villes, qui cumulent du trafic à dimension nationale, départementale ou quotidienne.
Vous êtes extrêmement poli sur la CTAP en parlant d'« ovni ». En Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset et moi-même n'y allons plus. C'était une très bonne idée, mais il y siège trop de monde. Il faudrait une instance réunissant la région, les conseils départementaux et les grandes métropoles, à l'instar des instances réunies par Manuel Valls pour la rédaction des contrats de plan. Faut-il un bureau de la CTAP ? Le cas échéant, tout le monde voudrait y siéger... Il faudrait faire du cousu main et ne pas prévoir trop de dispositions législatives en la matière : il suffit que le président de la région réunisse tous les deux mois les présidents de département, et que le président de département réunisse tous les deux mois les présidents d'EPCI... Cette belle idée des CTAP ne sert à rien, l'absentéisme y est énorme, à part peut-être en Bretagne, où les élus nourrissent une culture du dialogue proverbiale...
Pour plus d'agilité en matière économique, nous nous heurtons à la loi NOTRe. Je ne regrette pas de ne pas l'avoir votée ! Tout le monde a aidé les entreprises, mais il y a des trous dans la raquette. Jacqueline Gourault a publié une circulaire de quarante pages aux préfets en leur demandant de déférer toutes les décisions économiques des collectivités, y compris celles qui portaient sur quelques centaines de milliers d'euros, comme par exemple dans la Manche. En réaction, nous avons transformé ces délibérations économiques en délibérations sociales : au lieu d'aider l'entreprise, nous avons aidé les personnes. Et le préfet ne pouvait pas déferrer...
On touche ici à l'absurdité de la loi NOTRe. En réalité, l'aide aux entreprises a reculé depuis 2008. Avant, il fallait trois jours pour débloquer des fonds afin d'aider une entreprise en difficulté. Maintenant, le temps que les services administratifs de la région - dont le territoire peut être aussi vaste que l'Autriche ou le Danemark - instruisent le dossier, l'entreprise a fermé. La loi NOTRe est extrêmement rigide et hypocrite à cet égard.
Dans mon département, le tourisme est la première activité économique. Pour autant, nous avons la compétence du tourisme, mais pas de l'économie. C'est un système incroyable ! J'aurais aimé que ce projet de loi ajoute des possibilités de délégation, dans la souplesse. Je regrette qu'il n'en soit pas ainsi.
Sur le bloc de cohérence évoqué par Patrick Kanner et les SDIS : ne créons pas d'administration nationale extrêmement importante, de monstre parisien. Soyons clairs : les préfets sont parfaitement satisfaits de la double autorité. Le président d'un département ne refusera jamais de rénover une caserne en mauvais état, tandis qu'un fonctionnaire de Paris qui ne sait même pas où elle est située n'aura pas les mêmes scrupules. J'ai peur d'une baisse de qualité de service en cas de centralisation. Il en va de même pour la création de points d'eau, qui peut dépasser totalement le budget d'une collectivité : elle gère cela avec le préfet, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), les politiques départementales... Tout cela nécessite une action de terrain. Certes, l'équilibre actuel est compliqué et inexplicable, notamment, auprès d'un Allemand qui connaît une organisation territoriale plus claire.
La sécurité civile à la française repose sur le volontariat. Imaginez que nous nationalisions la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), cela ne fonctionnerait plus. Ce n'est pas un fonctionnaire à Paris qui doit dire quand sortir les canots. J'ai donc peur d'un grand service national centralisé des pompiers. Mais sur le plan de la cohérence politique, Patrick Kanner a raison.
Les arrivées de mineurs non accompagnés ont beaucoup baissé pendant la crise sanitaire. Il n'y avait plus d'avions ni de trains et les frontières étaient beaucoup plus surveillées en raison de la pandémie. Les chiffres remontent depuis quelques semaines, notamment via une nouvelle zone : les îles Canaries. Les arrivants sont davantage issus des pays de l'Est que des États subsahariens. Je rappelle qu'un mineur non accompagné coûte très cher : 40 000 euros par an. C'est typiquement une politique régalienne qui nous est déléguée. La prise en charge de l'État est tout à fait insuffisante. Je salue l'engagement des travailleurs sociaux, car ce n'est pas évident de gérer un homme de 95 kilos qui dit avoir treize ans, aux côtés d'un enfant de huit ans dont les parents ne peuvent assurer la charge en raison, par exemple, de troubles alcooliques. Cette politique mériterait d'être entièrement revue par l'État. Les règles sont là aussi très hypocrites.
La loi NOTRe a définitivement retiré aux départements la possibilité d'aider les entreprises. Mais la solidarité territoriale des départements n'est pas bien définie. Par exemple, ils peuvent agir sur l'économie en aidant les plateformes d'initiative locale. Surtout, ce qui intéresse nos collectivités, ce sont des zones d'activité de six à dix lots, or les régions n'en créent qu'à partir d'une certaine taille. Je souhaite que cette question soit clarifiée dans le projet de loi. Qu'en pensez-vous ?
J'en pense la même chose. Il existe une exception dans la loi NOTRe : un EPCI peut déléguer l'immobilier d'entreprises au département. Je l'ai utilisée et cela fonctionne bien. J'ai essayé d'utiliser toutes les failles de la loi NOTRe.
Un autre secteur ne fonctionne pas : les transports. La loi d'orientation des mobilités (LOM) dispose que les communautés de communes peuvent se saisir de la compétence mobilité locale, mais les EPCI le refusent. Dans ce cas, ce peut être transféré aux régions. Sauf qu'elles ont suffisamment à faire avec le TER pour ne pas s'embarrasser des sujets de mobilité locale. Résultat : dans la ruralité, un EPCI doté de moyens financiers supplémentaires ou d'un élu passionné a des transports, mais ce n'est pas le cas de la grande majorité. Nous disons : laissez-nous la possibilité d'aider les collectivités. Nous ne proposons pas le Grand Soir, mais des possibilités de délégation entre les uns et les autres. Il est dommage que la loi apporte des rigidités. Ce projet de loi peut être l'occasion de mettre de l'huile dans les rouages de la décentralisation.
Je remercie Dominique Bussereau de ses propos. Les uns et les autres, nous avons refusé de nous inscrire dans la perspective d'un Grand Soir. Mais à l'approche de l'élection présidentielle, si nous nous bornons à ne réfléchir qu'à des ajustements, nous ne sommes pas à la hauteur des défis. Nos élus locaux en ont par-dessus la tête des changements accélérés des dernières années, mais il est vrai que l'articulation entre départements et régions pose problème. Le projet de conseiller territorial est devenu impossible à réaliser. Tout le monde s'accorde à dire que les grandes régions n'ont pas suscité d'affectio societatis.
Dans la région Normandie, pour aller et revenir de la Manche au centre de Rouen, un président de conseil départemental qui voudrait rencontrer le président de région doit consacrer cinq heures de sa journée au trajet. Malgré tous les efforts de notre équipe régionale pour créer de la proximité, le centralisme régional ne vaut guère mieux que le centralisme étatique. À différer trop longtemps l'examen de ces questions, on court le risque d'installer une structuration régionale qui s'est révélée difficile.
J'ai une question délicate pour le président de l'ADF : vraiment, la réforme très technocratique des régions est-elle un tabou indépassable ? Si l'on fonctionne uniquement en fonction du nombre d'habitants, les Allemands devraient supprimer la Sarre et couper la Bavière en trois ! Le plus important, c'est le sentiment d'appartenance de la population. En France, où est-il ? La loi de 1972 n'était pas si mauvaise, pour envisager un avenir dans lequel la région est une interdépartementalité mettant en oeuvre les compétences que les départements ne peuvent plus assumer.
Sur la répartition des compétences, je rappelle que l'article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales permet les délégations par convention de l'exercice de compétences d'une collectivité à n'importe quelle autre.
Encore faudrait-il que les préfets le connaissent et ne reçoivent pas d'instruction en sens inverse ! En Bretagne, le département d'Ille-et-Vilaine finançait les casernes de pompiers pour retirer cette charge au SDIS. Il a été déféré par le préfet devant la justice administrative ! Le ministre de l'intérieur de l'époque, Christophe Castaner, a naturellement convenu que c'était absurde. Le nombre de préfets ayant déféré des délibérations de départements pendant la crise sanitaire est incroyable. La direction générale des collectivités locales (DGCL), au lieu d'aider les collectivités, publie des circulaires qui les empêchent d'agir. Il faut en modifier la nature et l'objet.
Quant aux régions... François Hollande m'a raconté que, dans la même nuit, ma région est passée d'ex-Poitou-Charentes avec les Pays de la Loire, puis avec le Centre, puis finalement avec l'Aquitaine et le Limousin qui ne voulait pas aller avec l'Auvergne ni le Centre. Le lien entre Guéret et Bordeaux est tout de même ténu ! Croyant bien faire, le gouvernement de l'époque a situé la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) à Poitiers, la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) à Limoges. Le préfet de région n'a pas ses directions sous la main, qui communiquent directement avec les services centraux à Paris. Quant au préfet de département, il est informé par des mails quinze jours après la prise de toute décision par les directions !
Ainsi, pensant bien faire et assurer des équilibres, l'État a, en réalité, rendu l'action publique moins efficace qu'elle ne pourrait l'être, quelle que soit la valeur des préfets.
Bien sûr, on peut réfléchir à une évolution des compétences et des cohérences, pour reprendre la formule de Patrick Kanner. Mais c'est tout autant l'organisation territoriale de l'État qu'il faut réviser, étant entendu que, aujourd'hui, les préfets disposent d'effectifs insuffisants.
Dans la campagne régionale, les présidents sortants sont accusés d'avoir installé un centralisme régional. Force est de constater que l'administration régionale a pris un poids important, parfois au détriment des élus : les présidents et vice-présidents sont souvent sur les routes, parapheurs sur les genoux, au lieu de diriger leurs équipes...
Je souhaiterai répondre à la prise de parole de Philippe Bas. Certes, Monsieur Bas, les départements sont une réalité historique, ancrée dans nos territoires. Mais il est d'autant moins interdit de s'interroger sur leurs frontières que la question est posée depuis la fin du XIXe siècle, en lien avec les évolutions de la démographie. On peut, bien sûr, questionner les périmètres des régions ; mais on peut le faire aussi pour les départements.
Avec le conseiller territorial, il s'agissait déjà de départementaliser les régions. Mais la vocation des grandes régions est de penser de manière structurante des projets de développement et d'aménagement : il ne s'agit pas d'interdépartementalisation.
Le principal problème, c'est que l'État territorial n'a pas suivi en matière de déconcentration. Nous sommes donc en présence de deux systèmes qui ne sont plus parallèles. Cette disjonction peut difficilement perdurer.
Faire du concret, a dit Dominique Bussereau, c'est exactement cela qu'il faut faire ! Nos concitoyens veulent des circuits courts de décision et d'action. L'initiative prise en Saône-et-Loire en matière de santé était à la limite des compétences départementales, mais elle répondait à un besoin de la population.
De bonnes décisions supposent une phase d'observation, celle-ci se fait dans les départements, avec des élus au contact des habitants !
Je vote les amendements Kerrouche et Mercier ! (Sourires.)
Monsieur le président, nous vous remercions pour ces échanges précieux.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 30.