On m'a rarement reproché un manque d'audace dans mon engagement politique. Néanmoins, je m'inscris dans le respect des institutions de la République, et je considère que l'audace relève des parlementaires et du pouvoir exécutif. L'agence, elle, est censée s'assurer qu'il n'y a pas, d'un côté, les discours et, de l'autre, les actes. Le paravent de l'engagement annuel et de la nécessité de consentir tous les ans à l'impôt est une menace pour les financements de long terme : par définition, nous n'avons pas la possibilité théorique de nous engager au-delà d'une année. L'agence est censée corriger ce problème.
Le fond de ma pensée, c'est que, puisqu'on fait des plans de relance à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d'euros, il faut évidemment mettre de l'argent dans les infrastructures. Car il en restera quelque chose, et les générations qui auront à rembourser ces sommes auront au moins financé pour partie des infrastructures qui leur permettront de désenclaver les endroits dans lesquels elles habiteront, de favoriser les activités économiques qu'elles exerceront... Nous avons la chance, avec le plan sur la transition écologique, d'avoir une idée des secteurs à prioriser. Nous pourrions piocher parmi des projets qui sont parfois attendus par les élus des différents territoires : dans certains cas, il s'agit de routes - je pense au difficile raccordement du Cantal - ; dans d'autres, ce sont des LGV ; dans d'autres encore, des projets fluviaux.
Pour répondre à M. Houllegatte et à Mme Herzog, le président de l'Afitf est membre de droit du COI. Tant que vous ne vous êtes pas prononcés sur ma candidature, je ne suis pas président de l'agence. Il y a un laps de temps entre la fin de mon mandat, en février, et mon éventuel renouvellement après l'audition de ce jour et celle de la semaine prochaine à l'Assemblée nationale ; je peux espérer intégrer le COI à la mi-juin. C'est d'ailleurs un argument pour voter pour moi : vous vous épargnerez l'audition de celui qui serait mon successeur désigné au cas où je n'atteindrais pas la majorité requise, ce qui ne ferait que reculer le moment où le président de l'Afitf siégerait ès qualités au COI.
Madame Herzog, je suis intimement convaincu que le COI est le meilleur endroit pour évoquer la question du fret et que, dans ce domaine, nous ne pouvons faire que mieux. Guillaume Chevrollier a rappelé les chiffres, qui montrent la faiblesse de la part modale ferroviaire dans notre pays en ce qui concerne le transport de marchandises.
J'ai lu le rapport concernant le transport routier : est évoquée l'idée de repérer les itinéraires de fuite des camions qui, pour échapper aux péages, utilisent des routes nationales ou départementales gratuites. C'est exactement ce que redoute Christine Herzog pour la Moselle. Si l'on généralise l'écotaxe sur un territoire, il y aura un effet de report sur les départements situés immédiatement autour. La région Grand Est évoque l'argument selon lequel son territoire sert d'itinéraire de fuite aux camions voulant éviter l'Eurovignette allemande ou le dispositif de péage suisse pour montrer la nécessité de mettre en place l'écotaxe. Mais si celle-ci est mise en place dans certains départements et pas dans d'autres, les itinéraires de fuite vont se déplacer... D'où la limite d'une réflexion par territoire, même s'il paraît moral de demander à des poids lourds qui génèrent des congestions et des gaz à effet de serre et qui abîment une partie de nos infrastructures de financer l'usure de celles-ci. C'est en quelque sorte la transposition du principe pollueur-payeur. On fait financer par celui qui bénéficie des équipements que la collectivité met à son service. Si c'est un contribuable national, on peut considérer qu'il s'en acquitte au travers de ses impôts ; si celui qui en profite ne paie pas d'impôts en France, même pas à la pompe, c'est choquant. D'autant qu'à cela s'ajoute une forme de dumping social : certains pays n'ont pas le même droit du travail que nous concernant les chauffeurs, et ont parfois des systèmes leur permettant de transporter dans un même camion davantage de tonnage que nous, ce qui accroît les distorsions.
J'ai trouvé ingénieuse l'idée, dans le rapport du Sénat, de suggérer à ceux qui se font livrer de pouvoir comparer les temps de livraison et les conséquences associées en termes de CO2 associées. Je ne sais pas si le consommateur, quand il verra que sa livraison peut prendre trois jours de plus, écoutera le citoyen ou le défenseur de la planète qui est en lui, mais cette mesure sera déjà extrêmement parlante. Par exemple, d'après le rapport, une barge représente l'équivalent de 125 camions pour un taux de consommation de CO2 cinq fois inférieur : cela permet de bien mesurer les enjeux.
Enfin, M. Houllegatte m'a interrogé sur les services. Ce qui fait l'attractivité d'un mode de transport pour la plupart d'entre nous, c'est la qualité non pas de l'infrastructure, mais du véhicule dans lequel nous faisons l'expérience de l'infrastructure. L'état des rails importe moins aux Français que l'état des trains. D'où les engagements qui ont été pris au titre des trains d'équilibre territoriaux ou pour le financement, dans le cadre de l'Afitf, du wifi dans les tunnels avant la gare Montparnasse. Si nous voulons développer demain les trains de nuit, la qualité du couchage et du service sera très importante.
Je vous remercie pour la densité des questions auxquelles vous m'avez soumis. Je continuerai à plaider pour disposer de budgets permettant de faire face aux nécessités de dépenses d'entretien, de régénération, mais aussi de développement de lignes nouvelles. La crise que nous traversons mérite que nous ayons une approche européenne du plan de relance. Durant le semestre de la présidence française de l'Union européenne, je souhaite réunir la dizaine d'agences d'infrastructures qui existent au niveau européen pour nous pencher sur des sujets transversaux : je pense notamment aux trains de nuit. Il faut faire rimer relance et sortie de crise avec des perspectives d'avenir pour notre continent, nos économies et nos habitants.