Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 25 octobre 2011 à 14h30
Service citoyen pour les mineurs délinquants — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

… avait laissé un délai courant jusqu’au 1er janvier 2013 pour réformer la loi. Mais non, monsieur le garde des sceaux, immédiatement, vous êtes au rendez-vous ! Vos amendements le prouvent, vous avez fait le choix d’un expédient, qui apparaît dès la lecture du texte : « Lorsque l’incompatibilité prévue à l’alinéa précédent et le nombre de juges des enfants dans le tribunal de grande instance le justifient, la présidence du tribunal pour enfant » – ou du tribunal correctionnel des mineurs – « peut être assurée par un juge des enfants d’un tribunal pour enfants sis dans le ressort de la cour d’appel et désigné par ordonnance du premier président ».

Belle usine à gaz et beau casse-tête pour l’organisation judiciaire dans le ressort de la cour d’appel !

La décision du Conseil constitutionnel appelait pourtant une réflexion approfondie au regard du bouleversement qu’elle entraîne dans le traitement spécialisé de la délinquance des mineurs, tel qu’il résulte de l’ordonnance de 1945. En effet, ce bouleversement est encore plus radical que les ajouts au texte sur les jurés populaires assesseurs auxquels vous avez procédé, monsieur le garde des sceaux.

Le maître mot du traitement de la délinquance des mineurs, donc de la procédure mise en œuvre dans ce cadre, était la continuité : le même magistrat accueillait le mineur, assumait les fonctions de juge d’instruction, de juge de jugement et même de juge de l’application des peines.

Il aurait été possible également de distinguer les dossiers où la culpabilité est discutée de ceux où elle ne l’est pas. Mais non ! Vous balayez tout cela par des amendements hâtifs.

Par ailleurs, vous envisagez de mutualiser les tribunaux pour enfants, sans envisager là non plus des moyens supplémentaires, naturellement, et en éludant, puisqu’il s'agit d’une proposition de loi, toute étude d’impact – il y a longtemps que ce genre de document a disparu de votre ministère, monsieur le garde des sceaux. Bravo !

Or ce texte fait l’économie de deux paramètres.

Tout d'abord, vous ne vous interrogez pas sur la manière dont les juges des enfants, déjà asphyxiés, et dont les greffes sont insuffisants, pourront aller se prononcer sur les dossiers dans des tribunaux distincts. En effet, on suppose que ce sont non pas les mineurs délinquants mais les juges qui se déplaceront, se rendant par exemple, dans le département dont je suis l’élu, de Vesoul à Besançon. Mes chers collègues, je vous laisse imaginer ce qui va se passer !

Ensuite, vous ne vous demandez pas plus comment ces magistrats trouveront le temps indispensable pour préparer les dossiers et se coordonner avec leurs collègues qui les ont « instruits » – pour employer un terme inexact, mais que tout le monde comprend –, et cela afin de juger des mineurs qu’ils ne connaissent pas et qu’ils n’ont jamais vus.

Monsieur le garde des sceaux, vous me direz peut-être que les magistrats jugent des majeurs qu’ils n’ont jamais vus et qu’ils ne connaissent pas. À cela je vous répondrai que, précisément, l’une des spécificités du droit des mineurs tient au fait que le magistrat juge des jeunes qu’il connaît et qu’il a suivis.

Bien plus grave encore, au travers d’un second amendement, dont les dispositions ont été glissées au sein du cinquième paragraphe de l’article 6 de la proposition de loi, vous tentez carrément de contourner la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 4 août 2011 et invalidant la saisine directe du tribunal correctionnel des mineurs par le procureur de la République.

Le Conseil constitutionnel avait en effet estimé que, dans la mesure où le tribunal correctionnel des mineurs appelé à juger les jeunes de plus de seize ans récidivistes n’était pas « une juridiction spécialisée », il faudrait recourir à des procédures spécifiques et qu’il devait donc être saisi « selon des procédures appropriées à la recherche du relèvement éducatif et moral des mineurs ».

Qu’à cela ne tienne, vous revenez à la charge : la proposition de loi amendée prévoit désormais que le Parquet – encore lui ! –, dans le cadre de la procédure de présentation immédiate définie par l’article 8-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, pourra requérir du juge des enfants qu’il renvoie le jeune devant le tribunal correctionnel des mineurs dans un délai de dix jours à un mois, ce qui équivaut exactement à la procédure de convocation par officier de police judiciaire qui a été censurée par le Conseil constitutionnel !

Il vous reste à nous expliquer, monsieur le garde des sceaux, quelles procédures « adaptées » à la recherche du « relèvement éducatif et moral » pourront être menées en dix jours, voire en un mois ? Bien entendu, tout cela n’est que littérature !

La méthode est d’autant plus scandaleuse – le mot n’est pas trop fort – que cette modification est introduite en catimini, sous une formulation très technique, au sein d’un article portant sur un autre objet.

Mais je félicite les rédacteurs de la Chancellerie : depuis trente ans, ils ont bien progressé dans l’écriture subreptice de textes destinés à enfumer les parlementaires.

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