Intervention de Marie Mercier

Réunion du 10 juin 2021 à 10h30
Nommer les enfants nés sans vie — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’objet de la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier est volontairement très circonscrit : il s’agit de donner un nom aux enfants nés sans vie pour mieux accompagner les familles qui subissent un deuil périnatal. C’est cela, tout cela, mais rien que cela qui nous occupe ce matin.

La notion d’enfant sans vie est une notion juridique issue de l’article 6 de la loi du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales, qui a distingué les enfants sans vie des enfants nés vivants et viables, dotés, eux, d’une personnalité juridique.

Bien que les enfants sans vie ne se voient reconnaître aucune personnalité juridique, le législateur a fait le choix d’accompagner les parents dans leur deuil, en permettant l’enregistrement de ces enfants à l’état civil.

L’acte d’enfant sans vie est directement inscrit dans le registre des décès. Il s’agit, pour les parents, d’un acte optionnel qui n’est soumis à aucun délai particulier, contrairement à l’acte de naissance qui doit être établi dans les cinq jours après l’accouchement.

Les parents sont désignés, dans l’acte, sous l’appellation de « père » et « mère », ce qui peut sembler paradoxal puisque l’enfant, n’ayant pas de personnalité juridique, n’a pas de filiation. Nous aurons un débat tout à l’heure sur cette notion de « père » et « mère » ; le sujet n’est pas là et cette question ne doit pas compliquer l’examen de la présente proposition de loi.

L’inscription à l’état civil vient ici donner l’apparence d’une existence juridique et l’apparence d’une filiation, bien que celles-ci ne soient en réalité que mémorielles. Il y va d’« un accompagnement bienveillant » par le droit, selon l’expression utilisée par un universitaire que nous avons auditionné, une sorte d’« accommodement raisonnable » du droit.

Depuis 2008, l’acte d’enfant sans vie est conditionné à la production d’un certificat médical attestant de l’accouchement de la mère, que celui-ci ait eu lieu de manière spontanée ou ait été provoqué pour raison médicale, selon un modèle défini par arrêté du ministre de la santé.

N’ouvrent pas la possibilité d’un tel certificat d’accouchement, et donc d’une inscription à l’état civil, les interruptions de grossesse du premier trimestre, c’est-à-dire les interruptions spontanées précoces – les fausses couches – et les interruptions volontaires de grossesse. Je précise qu’auparavant une circulaire imposait aux officiers de l’état civil d’appliquer les seuils de viabilité reconnus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soit un poids de 500 grammes ou une aménorrhée de vingt-deux semaines. Mais la Cour de cassation, par trois arrêts du 6 février 2008, a jugé qu’une simple circulaire ne pouvait limiter les droits des parents ni ajouter au texte des conditions qu’il ne prévoit pas. C’est donc désormais aux médecins qu’il revient de constater s’il y a eu ou non accouchement.

Depuis 2008, les couples non mariés dont le premier enfant est mort-né ou non viable peuvent également se faire délivrer un livret de famille par l’officier de l’état civil afin d’y inscrire leur enfant, ce qui n’était possible auparavant que pour les couples mariés ou ayant déjà un enfant.

Une circulaire du 19 juin 2009 a ensuite reconnu aux parents le droit de choisir un ou des prénoms pour leur enfant sans vie. Les parents peuvent également organiser des funérailles et bénéficier de certains droits sociaux tels que les congés de maternité et de paternité ou le congé de deuil.

L’auteure de cette proposition de loi veut autoriser l’inscription de l’enfant sans vie à l’état civil sous un nom. Elle souhaite par ailleurs inscrire dans la loi, et non plus dans une simple circulaire, la possibilité de lui donner un prénom.

L’intention de l’auteure est de limiter la portée de l’attribution d’un nom au seul acte d’enfant sans vie, afin d’éviter tout effet de bord potentiellement indésirable. La rédaction proposée précise à cette fin que l’acte d’enfant sans vie « emporte uniquement modification de l’état civil de l’enfant ».

La question qui se pose à nous est celle de savoir si nous souhaitons aller plus loin dans la reconnaissance de l’enfant sans vie. Les parents peuvent déjà inscrire leur enfant à l’état civil sous un prénom, l’inscrire sur leur livret de famille et organiser pour lui des funérailles. Faut-il leur accorder le droit supplémentaire de lui donner un nom ?

Oui, a répondu la commission des lois. Elle a estimé qu’il était légitime d’aller au bout du processus d’identification de l’enfant mort-né ou non viable pour mieux l’inscrire dans l’histoire familiale et matérialiser symboliquement le lien de filiation du père, ce dernier n’ayant pas le même rapport charnel avec l’enfant que la mère, qui a accouché.

Par ailleurs, donner un nom en plus du prénom rendrait plus cohérente la reconnaissance symbolique de l’enfant sans vie et procéderait de la même logique compassionnelle que celle qui présida à la création par le législateur de l’article 79-1 du code civil en 1993. Les familles ne comprennent pas « l’entre-deux » actuel, en vertu duquel on peut choisir un prénom, mais pas un nom.

Toutefois – c’est un point important –, la commission a souhaité inscrire expressément dans le texte le caractère symbolique de ce pas supplémentaire. Il ne s’agit pas d’ouvrir la voie à la reconnaissance d’une personnalité juridique à l’enfant sans vie via l’attribution de prénoms et d’un nom.

Le prénom et le nom sont des attributs de la personnalité juridique. C’est parce qu’il y a personnalité juridique que la personne peut avoir un prénom et un nom, puis une filiation, et ainsi entrer en ligne de succession.

À l’inverse, si le législateur décide de donner un prénom et un nom à une personne dépourvue de personnalité juridique, cette attribution lui confère-t-elle de facto une personnalité juridique ? Les professeurs de droit que j’ai entendus ont estimé que non. En droit français, seul le fait d’être né vivant et viable confère la personnalité juridique.

Néanmoins, pour éviter tout risque de construction prétorienne et dans la mesure où l’auteure de la proposition de loi s’était déjà engagée dans cette voie, la commission a ajouté la précision selon laquelle « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ». Ainsi se trouverait expressément écarté tout éventuel effet, en matière de filiation et de succession notamment, sans qu’il soit fait mention, comme initialement proposé, d’un « état civil » dont l’enfant sans vie est dépourvu, car – je vous le rappelle – il n’a pas de personnalité juridique.

Compte tenu de la valeur simplement mémorielle de l’acte d’enfant sans vie, cette mention écarterait également l’application de l’alinéa 3 de l’article 311–21 du code civil en matière de dévolution du nom de famille – « le nom précédemment dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs » –, ce qui n’empêcherait évidemment pas les parents de choisir le même nom de famille pour leurs enfants nés postérieurement.

Enfin, conformément à la volonté initiale de l’auteure, la rédaction adoptée par la commission marque de manière plus claire le caractère optionnel de l’attribution d’un ou de prénoms et d’un nom à l’enfant sans vie. Par ailleurs, elle précise les modalités du choix du nom par les parents.

Au bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose d’adopter la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier, ainsi modifiée avec son assentiment.

Je veux le répéter encore : il s’agit simplement d’offrir un accompagnement à ces familles qui sont et resteront pour toujours pleines de larmes. Aidons-les un tout petit peu dans ce deuil impossible qu’est le deuil de l’avenir.

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