Intervention de Annie David

Réunion du 6 mai 2008 à 21h45
Modernisation du marché du travail — Article 4

Photo de Annie DavidAnnie David :

Depuis des années, le patronat exige que les règles relatives au licenciement soient considérablement assouplies, afin que leur usage soit simplifié du point de vue administratif et rendu moins coûteux, quitte à limiter les possibilités d’exercer un recours en justice pour les salariés.

Tel est d’ailleurs le sens de l’un des amendements déposés par M. le rapporteur, qui aurait pour effet, s’il était adopté, de faire du conseil de prud’hommes le premier et le dernier recours du salarié. En l’espèce, cela ne figure pas dans l’accord national interprofessionnel !

Cet article 4 offre l’exemple parfait de ce que j’ai dénoncé au cours de la discussion générale en mettant en exergue des dispositions en apparence généreuses pour les salariés, mais dans les faits inutiles, insatisfaisantes ou, comme pour le reçu pour solde de tout compte, contraires à leurs intérêts.

De plus, et cela ne vous étonnera pas, chers collègues, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC sont hostiles au changement de vocable opéré au travers du présent projet de loi, dont la rédaction recourt à la notion de « justification » de préférence à celle de « motivation » du licenciement.

Il a été impossible de supprimer la référence explicite à la « cause réelle et sérieuse », bien que ce soit le souhait du patronat. Les exemples du contrat première embauche et du contrat nouvelles embauches nous ont appris que vous étiez prêts à satisfaire cette exigence, mais les syndicats s’y étaient alors fortement opposés ! Il ne reste donc qu’à supprimer l’obligation de motivation du licenciement, pour la remplacer par celle de justification.

Outre que la justification ne fait l’objet d’aucune reconnaissance juridique par la jurisprudence ou par la loi, qui ignore ce concept en droit du travail, cela fait craindre une limitation du champ de la mission de contrôle du juge prud’homal, qui sera invité non plus à contrôler la motivation du licenciement, c’est-à-dire son fondement, mais à vérifier que la justification a été effectivement opérée auprès des salariés. Le risque est donc grand de passer progressivement d’un contrôle de fond à un contrôle d’opportunité, ce que nous ne pouvons que dénoncer. C’est pourquoi il nous semble plus opportun de recourir à la notion de « motivation ».

De la même manière, nous sommes opposés au caractère libératoire du reçu pour solde de tout compte.

Tout d’abord, la rédaction que vous proposez représente, pour les salariés, un recul considérable les ramenant des années, pour ne pas dire des décennies, en arrière. Vous ne reprenez pas les précisions et clarifications exigées par la jurisprudence antérieure à l’année 2002, qui sont pourtant importantes, et vous n’en prévoyez pas de plus protectrices. Pourquoi ne pas exiger que soit précisé le fondement des sommes dues ? Pourquoi ne pas mentionner sur le reçu pour solde de tout compte les délais pour agir ? Pourquoi les avoir limités à une durée si courte ? Enfin, pourquoi ne pas avoir interdit la signature du reçu pour solde de tout compte durant la période d’existence contractuelle, c’est-à-dire tant que persiste le lien de subordination ?

En outre, nous sommes également opposés à cette disposition parce que le délai de six mois prévu nous paraît très largement insuffisant et semble s’inscrire dans une démarche identique à celle qui a inspiré le dépôt de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile, à savoir la diminution du délai d’action.

Enfin, je voudrais revenir sur la création étonnante d’une indemnité de rupture interprofessionnelle unique. Celle-ci était prévue à l’article 11 de l’ANI, et vous n’avez naturellement pas oublié de la retranscrire dans le projet de loi. Cela aura pour effet d’entraîner, outre la réduction des périodes d’ancienneté, qui peut apparaître positive, la suppression de la majoration prévue pour les salariés licenciés après plus de dix ans d’ancienneté, particulièrement quand il s’agit de salariés licenciés pour motif économique, qui vont perdre le bénéfice de la majoration de deux quinzièmes de mois supplémentaires par année d’ancienneté.

À ce propos, M. le ministre m’a répondu tout à l’heure, à la suite de la discussion générale, que les présidents des groupes avaient reçu le projet de décret, qui devrait me rassurer sur le point que cette anomalie ne durerait que le temps du débat. Or mon groupe n’a absolument rien reçu, si ce n’est un courrier concernant trois autres décrets en date du 17 avril dernier, donc bien antérieur à votre audition par la commission et à ma demande relative audit décret, et dans lequel vous précisez que le quatrième projet de décret portant sur le montant des indemnités de licenciement fait l’objet de discussions avec les signataires. Je n’ai donc pu obtenir la confirmation que ce décret réglera l’anomalie et ne l’aura laissée vivre que le temps du débat.

Certes, cette nouvelle mesure que vous prenez fera bénéficier le salarié qui n’a qu’une année d’ancienneté de la somme de 400 euros, alors qu’aujourd’hui il ne perçoit rien. Toutefois, ce sera au détriment des autres catégories de salariés licenciés. Votre politique consiste, en la matière, à remédier à une injustice par une autre injustice, puisque vous amputez considérablement les indemnités des salariés licenciés justifiant de plus de dix ans d’ancienneté.

Cela est intolérable et témoigne une nouvelle fois de votre politique comptable, selon laquelle toute mesure un tant soit peu sociale doit impérativement être compensée par la réduction d’autres acquis sociaux. Je pense ici aux franchises médicales ou à la tentative, plus récente encore, de suppression de la carte « famille nombreuse » ! Nous nous sommes d’ailleurs entretenus tout à l’heure avec Martin Hirsch du revenu de solidarité active, qui se substituera pour une part à la prime pour l’emploi.

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