Intervention de Daniel Gueret

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 29 juin 2021 à 13h30
Projet de loi relatif à la différenciation la décentralisation la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale — Examen du rapport pour avis

Photo de Daniel GueretDaniel Gueret, rapporteur pour avis :

Il me revient de vous présenter mon rapport pour avis sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale. La naissance de ce projet de loi, très attendu des élus locaux, a été pour le moins mouvementée : après deux années d'incertitude et alors qu'il semblait enterré, le projet de loi a été inscrit à l'ordre du jour de cette fin de session ordinaire. Les hésitations du Gouvernement se lisent jusque dans l'intitulé du projet de loi, tantôt appelé « 4 D » ou « 3 DS ». Nous le désignerons « 3 DS », le mot baroque de « décomplexification » ayant été retoqué par le Conseil d'État au profit du terme de « simplification ». Ces fluctuations sémantiques témoignent en tout cas de la difficulté du Gouvernement à porter ce projet avec lisibilité.

Compte tenu de la diversité des sujets abordés, quatre commissions ont été chargées d'examiner ce texte : la commission des lois, saisie à titre principal, la commission des affaires économiques, celle des affaires sociales et la nôtre. Comme l'a rappelé le président, notre commission s'est vu déléguer l'examen de 4 des 83 articles qui constituent le projet de loi : il s'agit des articles 9, 13, 61 et 62, qui se partagent en deux thématiques.

La première a trait aux infrastructures de transport : l'article 9 complète le transfert des petites lignes ferroviaires aux régions qui avait été introduit par la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019, dite « LOM ». Il permet le transfert de la gestion et de la propriété des lignes d'intérêt local et régional, dans l'objectif de revitaliser les lignes de desserte fine du territoire. L'article 61 porte quant à lui sur le transport routier : il vise à permettre aux personnes publiques autres que l'État et les collectivités, ainsi qu'aux personnes privées de contribuer au financement d'ouvrages et d'aménagements autoroutiers sur le réseau concédé.

La seconde vise la protection de la biodiversité : l'article 13 prévoit le transfert de l'État vers les régions de la gestion des sites Natura 2000 terrestres - 1 419 des 1 760 sites que compte notre territoire se verront ainsi transférés. Enfin, l'article 62 concerne le régime de protection des alignements d'arbres qui font partie du patrimoine culturel et paysager national.

Notre commission s'est également saisie pour avis de 25 autres articles touchant à ses compétences en matière de transport routier et fluvial, de transition énergétique, de gestion de l'eau et d'aménagement du territoire.

Ainsi que l'a indiqué Madame la ministre Jacqueline Gourault lors de son audition devant notre commission le 9 juin dernier, ce texte « n'est pas un grand soir de l'organisation territoriale ». Le Conseil d'État lui-même indique dans son avis l'« ampleur limitée » des mesures portées par ce projet. Certaines seront mises en oeuvre de façon progressive, comme le transfert de certaines routes nationales aux régions prévu sous la forme d'une expérimentation. D'autres portent sur des sujets très ponctuels, comme le transfert aux régions de la gestion des zones Natura 2000.

Nombre d'acteurs de terrain - à commencer par les élus - m'ont fait part de leur déception vis-à-vis de ce texte qui se borne à opérer des ajustements sans porter un renouveau de la démocratie locale, contrairement à ce qu'avait annoncé le Président de la République au sortir de la crise des « Gilets jaunes ». Forts de ce constat, je me suis fixé l'objectif, aux côtés de mes collègues rapporteurs des autres commissions, de renforcer l'ambition de ce texte. Les quelque quinze auditions que j'ai conduites m'ont permis d'identifier trois leviers d'action, alliant des objectifs de réduction des fractures territoriales et de renforcement de la gestion de nos infrastructures.

Premier axe de proposition : renforcer les outils confiés aux collectivités locales en matière de mobilités et de gestion des infrastructures.

S'agissant d'abord du transport ferroviaire, je vous proposerai plusieurs amendements à l'article 9 qui concerne le transfert des petites lignes ferroviaires et de leurs gares aux régions.

Je suis favorable à l'idée de transférer les petites lignes vers les régions : après des décennies de sous-investissement chronique, elles se trouvent pour la plupart dans un état de dégradation avancé. De nombreuses lignes sont même menacées de fermeture. Or, à l'heure où nous désirons promouvoir les mobilités propres, soutenir le transport ferroviaire local est une nécessité. La mission d'information sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, qui a rendu ses conclusions en mai dernier et dont j'ai fait partie, a d'ailleurs mis en avant le développement du transport ferroviaire comme un levier essentiel de la décarbonation du transport dans notre pays.

Les lignes de desserte fine constituent également un formidable atout pour la réduction des fractures territoriales. Elles permettent aussi bien d'atteindre le coeur de grandes métropoles que de desservir des communes rurales plus reculées. Le maintien des petites gares est un enjeu tout aussi stratégique : la gare est bien souvent un lieu vital pour les habitants d'une commune et pour son attractivité. Je souhaite que le transfert de ces infrastructures aux régions permette de les revitaliser et d'en faire des instruments d'aménagement du territoire.

Toutefois, cet article 9 m'inspire certaines inquiétudes, dont le risque bien réel d'un éclatement du réseau si nous ne prenons pas toutes les précautions qui s'imposent pour organiser ce transfert : les lignes de desserte fine constituent non pas un réseau étanche, mais bien des segments du réseau national. Il me semble indispensable d'assurer la cohérence du réseau national en dépit du transfert. Bien sûr, les régions devront adapter la gestion de l'infrastructure à certaines spécificités locales. Toutefois, je ne souhaite pas que les futurs gestionnaires partent d'une feuille blanche pour élaborer les référentiels qui encadreront la gestion de ces infrastructures : je vous proposerai donc un amendement visant à imposer un « socle commun » de règles en matière de maintenance et de sécurité aux régions qui se verront transférer des petites lignes ferroviaires, sur la base des référentiels techniques appliqués par SNCF Réseau.

Je vous proposerai un autre amendement destiné à favoriser la viabilité économique du transfert et à donner de la latitude aux régions. L'article 172 de la LOM a prévu la possibilité de transférer à une région des missions de renouvellement de l'infrastructure ferroviaire. Toutefois, la loi impose actuellement, dans ce cas de figure, l'interruption totale de la circulation des trains pendant la période des travaux. Or la régénération des petites lignes ferroviaires nécessitera d'importants investissements. Je vous proposerai donc un amendement visant à assouplir ce dispositif, en prévoyant la possibilité d'aménager la circulation des trains durant la période de travaux plutôt que sa stricte interdiction. Cela permettrait une gestion plus souple de l'infrastructure tout en garantissant la sécurité à la fois des agents intervenant sur les voies et des trains.

S'agissant du transport routier, je vous soumettrai plusieurs amendements sur les articles 6 et 7 du projet de loi qui concernent le transfert aux départements, métropoles et régions de certaines routes nationales sur la base du volontariat :

À l'article 6, je vous soumettrai un amendement visant à assurer la transmission par le préfet de toutes les informations nécessaires à l'appréciation du transfert - notamment s'agissant de l'état du réseau - par les collectivités territoriales intéressées. Je vous proposerai également un amendement visant à allonger à un an - au lieu de trois mois - le délai laissé aux collectivités pour formuler une demande de transfert de certaines routes ou segments de routes. Enfin, je vous proposerai un troisième amendement tendant, en cas de demandes de transfert concurrentes entre métropole et département, à assouplir la priorité donnée à la métropole et à instaurer un mécanisme de concertation locale, afin de trouver la situation la plus appropriée dans chaque territoire.

À l'article 7 qui prévoit la mise à disposition de routes aux régions sous la forme d'une expérimentation, je vous soumettrai un amendement tendant à l'allongement de la durée de l'expérimentation à huit ans au lieu de cinq ans. Cette durée me semble nécessaire pour que les régions acquièrent une expertise technique, et, surtout, plus propice à la conduite d'investissements.

S'agissant plus généralement des infrastructures et de l'ingénierie territoriale, nous avons décidé, avec mes collègues rapporteurs de la commission des lois, de vous soumettre un amendement visant à introduire « en dur » dans la loi la réforme du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui était prévue par ordonnance à l'article 48 du projet de loi. Nous proposons un système de gouvernance partagée entre l'État et les collectivités, afin de garantir à ces dernières un accès facilité au Cerema et une influence décisive sur les décisions prises.

Deuxième axe de proposition : mieux territorialiser les politiques environnementales et sanitaires.

S'agissant des politiques environnementales, je vous soumettrai principalement quatre amendements.

Les deux premiers porteront sur l'article 13 : l'un autorisera les régions à proposer la création de zones Natura 2000 aux services de l'État, et l'autre prévoira la consultation des régions pour la création de toute zone Natura 2000 sur leur territoire. Ces deux propositions vont dans le sens de l'affirmation du rôle de chef de file des régions en matière de biodiversité.

Je vous proposerai également deux amendements sur l'article 12 concernant l'Agence de la transition écologique (Ademe), qui constitue un acteur-clé des politiques environnementales locales.

D'une part, je vous propose de renforcer la place des élus dans la gouvernance de cette agence. Le projet de loi prévoit la présence d'un représentant intercommunal au sein de son conseil d'administration. Dans l'esprit du Gouvernement, cette évolution doit se faire à effectif constant ; le représentant de l'EPCI devrait donc remplacer l'un des trois représentants des collectivités qui siègent actuellement dans cette instance. Je souhaite que le représentant intercommunal s'ajoute à la composition actuelle - je vous proposerai un amendement en ce sens.

D'autre part, je vous proposerai un amendement autorisant la délégation aux régions de tout ou partie de la gestion des fonds « chaleur » et « économie circulaire » gérés par l'Ademe, et pas uniquement la délégation d'un cinquième des montants comme le prévoit le projet de loi. Pour mémoire, il s'agit d'une proposition issue du rapport publié en juillet 2020 par le Sénat sur les « cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales ». Ces propositions ont été élaborées en collaboration étroite avec mes collègues rapporteurs de la commission des lois.

S'agissant à présent des politiques sanitaires, je vous proposerai également deux amendements.

D'une part, au travers d'un amendement à l'article 31 concernant la gouvernance des agences régionales de santé, je souhaite prévoir l'instauration d'une présidence partagée de leur conseil de surveillance - qui deviendra un conseil d'administration - entre le préfet de région et le président du conseil régional. Cet amendement est inspiré de préconisations du Sénat, notamment le rapport sur les « cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales », qui a prévu de confier la présidence du conseil de surveillance au président du conseil régional. Afin d'assurer la cohérence de l'action des ARS avec la politique de santé nationale, il m'a semblé opportun de prévoir une co-présidence avec le préfet. Cette proposition s'inscrit dans la droite ligne de la position d'Alain Milon, également rapporteur de ce texte pour la commission des affaires sociales.

D'autre part, je vous proposerai un amendement visant à instituer des commissions de la démographie médicale au niveau de chaque département, afin de favoriser la lutte contre la désertification médicale et de rapprocher la politique de soins des territoires. Cette suggestion est inspirée d'une proposition de loi récemment déposée par Philippe Folliot.

Troisième levier d'action : assurer l'effectivité du projet de loi.

Je vous proposerai deux mesures visant à sécuriser juridiquement le texte qui nous est soumis.

À l'article 11 qui concerne Voies navigables de France, je vous proposerai un amendement visant à préciser que la sanction en cas d'installation irrégulière d'ouvrages de prise et de rejet d'eau prend en compte non pas la « situation économique » de l'auteur de l'infraction, comme le propose le Gouvernement, mais sa situation individuelle globale. Le principe de nécessité des sanctions serait ainsi garanti. Par ailleurs, je souhaite que le montant des sanctions prononcées en cas d'installation irrégulière sur le domaine public fluvial ne puisse dépasser le montant maximal de l'une des sanctions encourues, afin d'assurer le respect du principe de proportionnalité des peines. Là aussi, ces propositions ont été travaillées avec mes collègues rapporteurs de la commission des lois.

Enfin, à l'article 62, je vous soumettrai un amendement visant à préciser que le régime de protection dont font l'objet des alignements d'arbres et qui interdit l'abattement d'arbres ne s'applique qu'aux voies ouvertes à la circulation publique. Mon objectif est d'assurer un équilibre satisfaisant entre protection de l'environnement et respect du droit de propriété.

Les amendements COM-499, COM-551, COM-636, et COM-581 ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution.

Je soumets à présent à la commission la proposition du périmètre qui sera faite à la commission des lois pour l'établissement du texte au regard de l'article 45 de la Constitution et de l'article 44 bis du Règlement du Sénat s'agissant des cavaliers. Je vous propose de retenir dans le périmètre du texte les sujets afférents au transfert aux régions des petites lignes ferroviaires et de leurs installations, aux compétences des collectivités territoriales relatives aux zones Natura 2000, à la participation de personnes publiques et privées au financement d'ouvrages et d'aménagements dans le cadre des contrats de concession autoroutière, au régime de protection des alignements d'arbres et à la procédure administrative permettant d'autoriser l'atteinte à une allée d'arbres.

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