Intervention de Amélie de Montchalin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 juin 2021 à 10h30
Projet de loi relatif à la différenciation la décentralisation la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale — Audition de Mme Amélie de Montchalin ministre de la transformation et de la fonction publiques

Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques :

Monsieur le président, je vous remercie beaucoup de cette invitation qui me donne l'occasion d'échanger sur le projet de loi « 4D », désormais « 3DS » relatif à la politique de simplification et de décomplexification que je conduis pour l'ensemble du Gouvernement au bénéfice de nos concitoyens.

J'ai une conviction, c'est que la simplification n'est pas un objet technocratique, elle ne résulte pas d'une obsession qui complexifierait en prétendant simplifier. C'est un sujet éminemment politique, et je sais, madame, monsieur les rapporteurs, que vous partagez cette vision. Il me semble légitime qu'il fasse l'objet d'un vrai débat, de portée politique, devant le Parlement, car la simplification évoque trop souvent dans nos esprits, et malheureusement aussi pour nos concitoyens, les lois obsolètes qu'il faut abroger, les 69 000 pages de droit disponibles sur Légifrance, les commissions Théodule, ou les chevauchements administratifs. À mes yeux, la simplification a au contraire trait au vécu quotidien des Français, à la capacité que nous avons et qui est au coeur de notre engagement personnel de le modifier et de l'améliorer. Cette question a toute sa place dans le présent projet de loi porté à titre principal par Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales que je salue, car elle poursuit des objectifs d'ensemble pour ancrer davantage l'action publique dans le réel et la vie quotidienne en parachevant l'organisation de la décentralisation, en renforçant la place de l'État aux côtés des collectivités par la déconcentration et en ouvrant des opportunités nouvelles pour différencier les interventions publiques en fonction des besoins des territoires.

Ces questions, vous le savez - j'ai déjà été auditionnée au Sénat à ce sujet par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation -, sont au coeur de l'ambition de mon ministère, celui de la transformation et de la fonction publiques : mobiliser le numérique, les ressources humaines, les fonctionnaires pour mieux servir nos concitoyens, en étant dans cette logique de bienveillance, de proximité et d'efficacité. Le Président de la République a d'ailleurs fait de ces trois mots la matrice de l'ambition qu'il a fixée à tous les « cadres dirigeants » de l'État le 8 avril dernier. Tels sont les axes de l'action que je conduis. Je les illustrerai brièvement en explicitant les articles qui prouvent que, derrière les mots, nous mettons bien des actes.

Premièrement, nous voulons utiliser l'ensemble des leviers, en particulier numériques, à notre disposition pour simplifier effectivement la vie de nos concitoyens. Les articles 50, 51 et 52, qui visent notamment à accélérer les partages de données entre administrations et acteurs publics, déjà autorisés dans le code des relations entre le public et l'administration, permettront de passer d'une interdiction, sauf exception autorisée par un décret en Conseil d'État - donc par un acte réglementaire - pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour chaque échange, à un partage de données qui devient la règle par défaut, et ce dès lors qu'il est réalisé au bénéfice de l'usager. J'ai d'ailleurs mis à jour en avril dernier ledit décret tendant à autoriser le partage de données sur les diplômes, les situations de famille, les statuts de demandeur d'emploi, les droits sociaux, etc. Cette procédure est aujourd'hui très lourde, et l'article 50 du projet de loi instaure un véritable changement de paradigme qui dispensera les usagers, lors de leurs démarches administratives, de fournir des informations déjà détenues par l'administration. Il s'agit donc de la véritable mise en oeuvre du principe « Dites- le nous une fois ».

La mise en oeuvre des interfaces de programmation applicative -ou Application Programming Interface (API) en anglais - facilitera la détermination des droits ouverts aux usagers et fera passer les services publics au XXIe siècle.

Je prendrai quelques exemples très concrets qui découlent de cette mise en oeuvre dans le cadre du plan de relance. Quand vous souhaitez inscrire votre enfant à la crèche ou à la cantine scolaire, il ne sera plus utile que votre collectivité, mairie ou intercommunalité, vous demande de fournir un avis d'imposition ou un justificatif de votre quotient familial, alors que ces documents ont d'abord été produits par une administration. Il en est de même pour votre date de naissance, celle de vos enfants ou encore votre adresse, informations que, par définition, l'administration détient déjà. Aller au-devant des usagers pour les informer de manière proactive sur leurs droits à des prestations, telles que l'éligibilité à des bourses étudiantes ou à une prime écologique, constituera également un moyen de lutter contre le non-recours aux droits. Ce sont autant de sujets qui sont au coeur des politiques publiques déployées par les collectivités.

Parallèlement à l'élaboration de cet article, en étroite collaboration avec la CNIL, nous avons revu, en vue de leur simplification et de leur modernisation, les procédures de contrôle, de correction et de sanction par la CNIL. C'est bien la preuve que simplifier pour l'usager, n'est pas synonyme de renoncement à l'application du droit et au respect de nos principes.

J'entends aussi approfondir la transformation souhaitée par le Président de la République vers un État plus bienveillant, qui sert et conseille l'usager. L'innovation numérique joue un rôle central pour améliorer la qualité des services publics. Nous nous sommes engagés pour atteindre en 2022 l'objectif de numérisation des 250 démarches les plus usuelles des Français pour qu'elles soient accessibles en ligne dans des conditions similaires et satisfaisantes pour les usagers. Nous nous attachons à garantir à tous les Français un guichet physique et/ou un accueil téléphonique et, au travers du réseau France Services, l'accès aux services publics partout sur le territoire. Ce sont 88 millions de crédits que nous mobilisons dans le cadre du plan de relance pour accélérer la transformation numérique des collectivités locales. Cela représente cinq à six ans d'investissement, et c'est inédit.

Deuxièmement, nous oeuvrons pour le développement de l'expérimentation au service de l'innovation. Le titre VII du projet de loi porte cette ambition. Trop souvent, la loi n'a, par définition, pas prévu les évolutions de demain. Elle peut donc devenir bloquante et empêcher les projets innovants d'émerger. C'est pourquoi nous avons souhaité ouvrir dans ce texte, au chapitre VI, un nouvel appel à projets France expérimentation de niveau législatif, à travers deux expérimentations qui favoriseront le secteur agricole ainsi que le mécénat de compétences de fonctionnaires vers des associations et fondations d'utilité publique. J'ai appelé les entreprises, les services déconcentrés, les élus locaux, les parlementaires à faire remonter leurs besoins pour que ce guichet trouve toute son utilité. L'objectif consiste à identifier les projets innovants et ambitieux et à leur permettre de se développer par l'attribution de dérogations temporaires à certaines dispositions législatives ou réglementaires. Il s'agit d'accompagner les entreprises pour interpréter le droit et, à terme, le simplifier et l'adapter aux évolutions techniques. Il me semble que la proposition de loi, récemment examinée par votre commission et le Sénat à l'initiative de Vincent Delahaye, tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, et plus largement la mission dite « Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles » (Balai) conduite par votre assemblée contribuent pleinement à cet effort.

Cette démarche France expérimentation a été lancée en 2016 ; 300 projets, dont 25 % provenant de start-up, ont été revus, et la moitié d'entre eux ont obtenu de notre part une dérogation pour se développer via un arbitrage, une expérimentation juridique ou une évolution durable du droit. C'est grâce à une meilleure prise en compte des enjeux économiques et territoriaux, qu'il s'agisse de la transition écologique, du logement, des transports, de la santé, des solidarités, de la réutilisation des eaux usées ou encore de la mobilisation des logements vacants, que nous ouvrirons le droit aux innovations de demain.

Dans cette recherche de transformation de l'action publique au plus près des besoins des territoires, nous mettons en avant la transparence dans les résultats de l'action publique, département par département, dont le baromètre a tout de même été consulté par 680 000 Français depuis le mois de janvier. J'espère que vous en faites partie et que vous avez pu prendre connaissance dans vos départements respectifs des résultats des 36 politiques prioritaires en 2017, aujourd'hui, et à l'horizon de 2022. Les multiples disparités que vous constaterez justifient la différenciation de l'action publique pour garantir aux Français un bilan homogène.

Le pilotage de l'action publique doit prendre en compte les effets évalués au plus près des territoires. Nous avons donc renforcé les moyens d'action, notamment des préfets et de tous les échelons déconcentrés départementaux, en leur donnant des marges de manoeuvre en termes budgétaires ou de ressources humaines, et en les dotant - c'est une innovation depuis 1964 - d'une feuille de route interministérielle. Signées par le Premier ministre, elles seront envoyées au cours du mois de juillet et comprendront les priorités fixées pour chaque département au vu des résultats. Cela répond aux engagements que nous avions pris au mois de février dernier lors du cinquième comité interministériel de la transformation publique (CITP) à Mont-de-Marsan concernant la différenciation de l'innovation, de l'expérimentation et du pilotage.

En conclusion, le Président de la République s'est engagé depuis 2007 à construire une action publique plus proche des citoyens et plus efficace, les besoins devenant plus prégnants du fait de la crise sanitaire. Les citoyens nous font confiance, puisqu'ils sont passés de 69 % à 72 % à avoir une bonne opinion des services publics. Ce taux atteint même 76 % pour les entreprises. Pour que ces résultats progressent encore, nous devons continuer à agir, certes par le droit, mais également par une action publique quotidienne faite de bienveillance, de proximité et d'efficacité.

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