Nous accueillons ce matin Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, dans le cadre des auditions sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit « 3DS », anciennement intitulé « 4D ». Nombre de nos collègues participent à nos travaux en visioconférence.
Monsieur le président, je vous remercie beaucoup de cette invitation qui me donne l'occasion d'échanger sur le projet de loi « 4D », désormais « 3DS » relatif à la politique de simplification et de décomplexification que je conduis pour l'ensemble du Gouvernement au bénéfice de nos concitoyens.
J'ai une conviction, c'est que la simplification n'est pas un objet technocratique, elle ne résulte pas d'une obsession qui complexifierait en prétendant simplifier. C'est un sujet éminemment politique, et je sais, madame, monsieur les rapporteurs, que vous partagez cette vision. Il me semble légitime qu'il fasse l'objet d'un vrai débat, de portée politique, devant le Parlement, car la simplification évoque trop souvent dans nos esprits, et malheureusement aussi pour nos concitoyens, les lois obsolètes qu'il faut abroger, les 69 000 pages de droit disponibles sur Légifrance, les commissions Théodule, ou les chevauchements administratifs. À mes yeux, la simplification a au contraire trait au vécu quotidien des Français, à la capacité que nous avons et qui est au coeur de notre engagement personnel de le modifier et de l'améliorer. Cette question a toute sa place dans le présent projet de loi porté à titre principal par Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales que je salue, car elle poursuit des objectifs d'ensemble pour ancrer davantage l'action publique dans le réel et la vie quotidienne en parachevant l'organisation de la décentralisation, en renforçant la place de l'État aux côtés des collectivités par la déconcentration et en ouvrant des opportunités nouvelles pour différencier les interventions publiques en fonction des besoins des territoires.
Ces questions, vous le savez - j'ai déjà été auditionnée au Sénat à ce sujet par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation -, sont au coeur de l'ambition de mon ministère, celui de la transformation et de la fonction publiques : mobiliser le numérique, les ressources humaines, les fonctionnaires pour mieux servir nos concitoyens, en étant dans cette logique de bienveillance, de proximité et d'efficacité. Le Président de la République a d'ailleurs fait de ces trois mots la matrice de l'ambition qu'il a fixée à tous les « cadres dirigeants » de l'État le 8 avril dernier. Tels sont les axes de l'action que je conduis. Je les illustrerai brièvement en explicitant les articles qui prouvent que, derrière les mots, nous mettons bien des actes.
Premièrement, nous voulons utiliser l'ensemble des leviers, en particulier numériques, à notre disposition pour simplifier effectivement la vie de nos concitoyens. Les articles 50, 51 et 52, qui visent notamment à accélérer les partages de données entre administrations et acteurs publics, déjà autorisés dans le code des relations entre le public et l'administration, permettront de passer d'une interdiction, sauf exception autorisée par un décret en Conseil d'État - donc par un acte réglementaire - pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour chaque échange, à un partage de données qui devient la règle par défaut, et ce dès lors qu'il est réalisé au bénéfice de l'usager. J'ai d'ailleurs mis à jour en avril dernier ledit décret tendant à autoriser le partage de données sur les diplômes, les situations de famille, les statuts de demandeur d'emploi, les droits sociaux, etc. Cette procédure est aujourd'hui très lourde, et l'article 50 du projet de loi instaure un véritable changement de paradigme qui dispensera les usagers, lors de leurs démarches administratives, de fournir des informations déjà détenues par l'administration. Il s'agit donc de la véritable mise en oeuvre du principe « Dites- le nous une fois ».
La mise en oeuvre des interfaces de programmation applicative -ou Application Programming Interface (API) en anglais - facilitera la détermination des droits ouverts aux usagers et fera passer les services publics au XXIe siècle.
Je prendrai quelques exemples très concrets qui découlent de cette mise en oeuvre dans le cadre du plan de relance. Quand vous souhaitez inscrire votre enfant à la crèche ou à la cantine scolaire, il ne sera plus utile que votre collectivité, mairie ou intercommunalité, vous demande de fournir un avis d'imposition ou un justificatif de votre quotient familial, alors que ces documents ont d'abord été produits par une administration. Il en est de même pour votre date de naissance, celle de vos enfants ou encore votre adresse, informations que, par définition, l'administration détient déjà. Aller au-devant des usagers pour les informer de manière proactive sur leurs droits à des prestations, telles que l'éligibilité à des bourses étudiantes ou à une prime écologique, constituera également un moyen de lutter contre le non-recours aux droits. Ce sont autant de sujets qui sont au coeur des politiques publiques déployées par les collectivités.
Parallèlement à l'élaboration de cet article, en étroite collaboration avec la CNIL, nous avons revu, en vue de leur simplification et de leur modernisation, les procédures de contrôle, de correction et de sanction par la CNIL. C'est bien la preuve que simplifier pour l'usager, n'est pas synonyme de renoncement à l'application du droit et au respect de nos principes.
J'entends aussi approfondir la transformation souhaitée par le Président de la République vers un État plus bienveillant, qui sert et conseille l'usager. L'innovation numérique joue un rôle central pour améliorer la qualité des services publics. Nous nous sommes engagés pour atteindre en 2022 l'objectif de numérisation des 250 démarches les plus usuelles des Français pour qu'elles soient accessibles en ligne dans des conditions similaires et satisfaisantes pour les usagers. Nous nous attachons à garantir à tous les Français un guichet physique et/ou un accueil téléphonique et, au travers du réseau France Services, l'accès aux services publics partout sur le territoire. Ce sont 88 millions de crédits que nous mobilisons dans le cadre du plan de relance pour accélérer la transformation numérique des collectivités locales. Cela représente cinq à six ans d'investissement, et c'est inédit.
Deuxièmement, nous oeuvrons pour le développement de l'expérimentation au service de l'innovation. Le titre VII du projet de loi porte cette ambition. Trop souvent, la loi n'a, par définition, pas prévu les évolutions de demain. Elle peut donc devenir bloquante et empêcher les projets innovants d'émerger. C'est pourquoi nous avons souhaité ouvrir dans ce texte, au chapitre VI, un nouvel appel à projets France expérimentation de niveau législatif, à travers deux expérimentations qui favoriseront le secteur agricole ainsi que le mécénat de compétences de fonctionnaires vers des associations et fondations d'utilité publique. J'ai appelé les entreprises, les services déconcentrés, les élus locaux, les parlementaires à faire remonter leurs besoins pour que ce guichet trouve toute son utilité. L'objectif consiste à identifier les projets innovants et ambitieux et à leur permettre de se développer par l'attribution de dérogations temporaires à certaines dispositions législatives ou réglementaires. Il s'agit d'accompagner les entreprises pour interpréter le droit et, à terme, le simplifier et l'adapter aux évolutions techniques. Il me semble que la proposition de loi, récemment examinée par votre commission et le Sénat à l'initiative de Vincent Delahaye, tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, et plus largement la mission dite « Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles » (Balai) conduite par votre assemblée contribuent pleinement à cet effort.
Cette démarche France expérimentation a été lancée en 2016 ; 300 projets, dont 25 % provenant de start-up, ont été revus, et la moitié d'entre eux ont obtenu de notre part une dérogation pour se développer via un arbitrage, une expérimentation juridique ou une évolution durable du droit. C'est grâce à une meilleure prise en compte des enjeux économiques et territoriaux, qu'il s'agisse de la transition écologique, du logement, des transports, de la santé, des solidarités, de la réutilisation des eaux usées ou encore de la mobilisation des logements vacants, que nous ouvrirons le droit aux innovations de demain.
Dans cette recherche de transformation de l'action publique au plus près des besoins des territoires, nous mettons en avant la transparence dans les résultats de l'action publique, département par département, dont le baromètre a tout de même été consulté par 680 000 Français depuis le mois de janvier. J'espère que vous en faites partie et que vous avez pu prendre connaissance dans vos départements respectifs des résultats des 36 politiques prioritaires en 2017, aujourd'hui, et à l'horizon de 2022. Les multiples disparités que vous constaterez justifient la différenciation de l'action publique pour garantir aux Français un bilan homogène.
Le pilotage de l'action publique doit prendre en compte les effets évalués au plus près des territoires. Nous avons donc renforcé les moyens d'action, notamment des préfets et de tous les échelons déconcentrés départementaux, en leur donnant des marges de manoeuvre en termes budgétaires ou de ressources humaines, et en les dotant - c'est une innovation depuis 1964 - d'une feuille de route interministérielle. Signées par le Premier ministre, elles seront envoyées au cours du mois de juillet et comprendront les priorités fixées pour chaque département au vu des résultats. Cela répond aux engagements que nous avions pris au mois de février dernier lors du cinquième comité interministériel de la transformation publique (CITP) à Mont-de-Marsan concernant la différenciation de l'innovation, de l'expérimentation et du pilotage.
En conclusion, le Président de la République s'est engagé depuis 2007 à construire une action publique plus proche des citoyens et plus efficace, les besoins devenant plus prégnants du fait de la crise sanitaire. Les citoyens nous font confiance, puisqu'ils sont passés de 69 % à 72 % à avoir une bonne opinion des services publics. Ce taux atteint même 76 % pour les entreprises. Pour que ces résultats progressent encore, nous devons continuer à agir, certes par le droit, mais également par une action publique quotidienne faite de bienveillance, de proximité et d'efficacité.
Pour reprendre un terme entendu hier dans l'hémicycle, je ne suis pas grincheuse, mais il faut reconnaître que ce texte, anciennement « 4D » et désormais « 3DS » n'apporte aucunement satisfaction s'agissant, selon le cas, de la décomplexification ou de la simplification de l'action publique. Or je sais, madame la ministre, combien vous défendez avec ardeur et pertinence cet objectif de simplification qui se veut utile pour nos concitoyens et doit servir tous les acteurs de l'action publique, l'État, mais aussi les collectivités locales.
Au-delà de cette simplification, je souhaiterais vous poser quatre questions.
Le projet de loi aborde les différents aspects de l'évolution du statut du personnel et de la gestion des ressources humaines dans plusieurs fonctions publiques. Il porte sur la mise à disposition de personnels d'État dans les départements autour de la direction des établissements d'accueil de la petite enfance, mais aussi, et le Sénat sera particulièrement attentif à ce dossier, sur la capacité des présidents de département et de région à exercer leurs obligations législatives et réglementaires, en disposant d'une réelle autorité sur les gestionnaires de collèges et de lycées. Il serait à nos yeux assez judicieux d'aller un peu plus loin au nom de la cohérence et de l'efficacité de l'action publique. Il serait en effet délicat de demander à un président de département d'assumer sa mission de prévention et d'accompagnement de la petite enfance quand il ne recrute ni n'évalue le directeur de la structure visée. Nous soutiendrez-vous dans cette démarche à propos de laquelle nous avons averti Jacqueline Gourault ?
L'article 69 évoque la mise à disposition des fonctionnaires d'État auprès des associations pour un mécénat de compétences. L'idée nous paraît intéressante. Des fonctionnaires territoriaux pourraient-ils être inclus dans cette démarche ?
Quant à l'article 50, est-il vraiment miraculeux ? Nous avons auditionné la CNIL hier. S'il suffisait d'adopter des dispositions pour qu'elles se concrétisent, ça se saurait... Sans être, à nouveau, grincheuse, je pense que cela nécessite une organisation de l'ensemble des services de l'État et des capacités matérielles. Il faudrait peut-être aller plus loin pour les collectivités en alimentant systématiquement les communes afin qu'elles aient une connaissance précise des enfants scolarisés sur leur territoire. Cela complèterait utilement l'obligation du maire relative à l'instruction des enfants, d'autant que, nul ne l'ignore, les maires ne connaissent que les habitants qui s'inscrivent sur les listes électorales. Accepteriez-vous cette mesure qu'appellent de leurs voeux la CNIL et les associations d'élus ? Il y va de l'efficacité et la sécurité du processus.
Je terminerai par la question de l'évaluation. Les ministres et le législateur ont toute compétence en la matière et ont tout intérêt à évaluer. L'expérimentation est utile, mais un rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) publié en 2020 a souligné les marges très significatives d'amélioration de l'évaluation publique partagée. Je m'inquiète beaucoup de l'absence de politique commune entre l'État et les collectivités sur ce sujet. Pendant la crise, les agences régionales de santé (ARS), qui exerçaient comme les présidents de département la tutelle sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ont travaillé du mieux qu'elles ont pu, mais sont restées dans leur coin, de telle sorte que certains présidents de département ont appris par la presse l'existence d'un cluster et de décès dans tel Ehpad. La systématisation du partage des compétences constituerait un facteur positif en direction de la décentralisation.
Si certaines dispositions vont assurément dans le bon sens, il est un sujet qui est traité de façon superficielle au regard des souhaits clairement exprimés par le Gouvernement : la proximité. Il est singulier de faire du préfet de département la « porte d'entrée » pour les élus, pour nos concitoyens sur le territoire, et ce lien agile entre les élus et l'État territorial. Pourquoi renforcer le rôle du préfet de région dans l'octroi des subventions des agences de l'eau, alors que le préfet de département serait potentiellement plus légitime ? Pourquoi ne pas faire du préfet de région ou de département le délégué territorial de l'Office français de la biodiversité (OFB), sur le modèle de ce qui est fait par le projet de loi s'agissant des directions régionales de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ? Cette problématique trouverait toute sa place dans ce texte. Il en est de même pour le sous-préfet, considéré comme un acteur majeur, qui doit être conforté dans la politique de relance. Je pousse ce matin un cri du coeur afin que le Gouvernement se saisisse de ces sujets, largement portés par la Haute Assemblée.
Il est par ailleurs essentiel que le pouvoir dérogatoire des préfets soit accru pour renforcer cette agilité et être au rendez-vous des attentes des collectivités. En période de crise, il faut de la réactivité et de l'immédiateté. Or le processus est alourdi par un centralisme parfois trop pesant. C'est l'un des messages les plus forts que nous souhaitons vous adresser ce matin.
Enfin, s'agissant de l'article 49, pourriez-vous nous éclairer sur la question des maisons France Services, car nous avons quelques difficultés à en comprendre l'intérêt sur le fond ?
Je m'arrêterai sur l'article 50 ; il est intéressant, à condition que l'on en mesure toutes les conséquences. À cet égard, j'appuie sans réserve l'observation de Françoise Gatel concernant la possibilité de doter les collectivités territoriales, et plus particulièrement les communes, de la meilleure information possible sur leur population. Depuis dix ans, je dois épuiser tous les ministres de l'intérieur en leur posant la même question : pourquoi ne pas rendre obligatoire un fichier domiciliaire ? Les réponses sont toujours les mêmes, quel que soit le gouvernement ; il serait impossible de le mettre en oeuvre, notamment pour des raisons qui tiennent à la protection des données à caractère personnel. Vous prévoyez donc une mise à disposition des informations en faveur des collectivités territoriales, mais sans aller jusqu'à rendre obligatoire une inscription dans un fichier domiciliaire comme nous l'appelons de nos voeux. Chaque année, le ministère de l'éducation nationale sollicite les communes pour savoir quels sont les enfants non scolarisés. Or il leur est impossible de répondre sans connaître leur population. Sachant que c'est l'une de mes marottes, les maires m'interpellent souvent à ce sujet. Si l'article 50 était assorti d'une mise en commun des différents fichiers, les collectivités locales pourraient alors obtenir une réponse sans que la personne qui vient de s'installer dans la commune soit obligée de s'inscrire.
L'article 50, qui suscite de nombreuses interrogations de votre part, est très substantiel. Le but n'est pas de créer des fichiers statiques qui n'auraient pas vocation à être utilisés. La négociation avec la CNIL permet le changement de paradigme, et chaque fois que cela permet une simplification ou un bénéfice pour un usager, alors le partage des données est possible.
Concernant les écoles, on peut considérer que l'usager retire un bénéfice de l'accès facilité à une inscription ou aux services périscolaires. Nous construisons non pas des bases de données, mais un accès automatique à la donnée et, partant, à un service public. Cette mesure est évidemment encadrée par des précautions liées au droit et réservée à ceux qui en ont l'usage.
Notre objectif n'est pas de créer des charges. Personne n'est obligé de fournir des données qu'il n'a pas. En revanche, les échanges de données seront possibles pour tout le monde, entre communes, entre intercommunalités, entre la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et la Caisse d'allocations familiales (CAF) pour justifier de l'invalidité d'une personne et faciliter l'accompagnement à la mobilité des personnes en situation de handicap, etc. Nous nous inscrivons, là encore, dans cette logique de bienveillance, de proximité et d'efficacité dans l'intérêt des usagers, qui sont à la fois des entreprises et des citoyens - combien de fois une entreprise doit-elle aujourd'hui donner son numéro Siret ?
Ces flux d'informations vont pouvoir se réaliser de manière intuitive entre tous les acteurs publics - collectivités, opérateurs, services déconcentrés, administrations centrales ; c'est un point majeur.
Le droit permet déjà un certain de nombre de choses. Dans le cadre du plan de relance, nous donnons aujourd'hui 5 000 euros, de manière forfaitaire, via le site transformation.gouv.fr, à toute commune qui souhaite déployer des API, afin d'avoir accès au revenu fiscal de référence ou au quotient familial. Cela va faciliter le processus d'instruction des dossiers, notamment la cantine, le service périscolaire et autres aides municipales. Le dispositif est très incitatif ; il y a des régions où sa diffusion est rapide - je pense notamment à la région Centre-Val de Loire - et d'autres où elle est plus lente.
Nous soutenons également le déploiement de FranceConnect par lequel 23 millions de Français accèdent aujourd'hui à divers services publics en ligne. Le dispositif facilite le partage de données et les démarches.
Ces éléments très concrets n'entraînent pas de charge supplémentaire pour les collectivités. Avec ces dispositifs, on peut avoir accès aux données pour le bénéfice de l'usager, mais on ne constitue pas des bases de données statiques qui pourraient entraîner des risques de cyberattaques.
Concernant l'évaluation publique, je suis tout à fait d'accord avec vous, madame Gatel. Cela a été mon combat lorsque j'étais députée ; je suis, parmi d'autres, à l'origine du fameux printemps de l'évaluation ; à l'Assemblée nationale, nous consacrons désormais plus de temps à la manière dont l'argent public a été dépensé l'année précédente qu'à celle de le dépenser l'année suivante.
Le baromètre des résultats n'est pas un outil d'évaluation, mais permet ensuite l'évaluation. Toutes les dispositions sur l'activation des chambres régionales des comptes (CRC) à la demande des collectivités vont dans le sens d'une évaluation partagée des politiques publiques.
Concernant les mises à disposition de personnels, je suis très ouverte. Si nous avons un statut unique, nous travaillons sur des dispositions partagées.
L'évolution du statut des directeurs d'instituts départementaux de l'enfance et de la famille (IDEF) et celle des gestionnaires de collèges et lycées sont distinctes. Les directeurs des IDEF étant détachés dans la fonction publique territoriale, cela permettra au président de département de mieux les piloter. Concernant les gestionnaires de collèges et lycées, la mesure prévue à l'article 41 est le résultat d'un dialogue entre les départements, les gestionnaires et les organisations syndicales, qui y sont assez peu favorables. L'état actuel du texte me paraît raisonnable. Ces articles sont portés par Jacqueline Gourault. À ma demande, elle a rencontré les organisations syndicales, notamment pour évaluer les enjeux de sécurisation des éventuels transferts et les changements de périmètre. Je serai à ses côtés lorsque le sujet sera débattu.
Vous avez donc une bonne visibilité de l'enjeu.
Monsieur Darnaud, un certain nombre de textes font aujourd'hui référence aux maisons de services au public (MSAP), mais France Services a pris la relève. Il nous semble utile de clarifier le droit afin que tout le monde sache bien de quoi l'on parle. De plus, il y a un saut qualitatif en termes de labellisation.
Il s'agit d'un projet politique affirmé, visant à procéder à un remaillage de notre territoire, avec 1 300 espaces France Services - soit des maisons, soit des bus itinérants ; nous souhaiterions atteindre les 2 000 espaces en 2022. Les acteurs du service public s'impliquent beaucoup ; la justice, par exemple, sera accessible dans les 2 000 maisons France Services. Nous avons besoin d'acter dans le droit qu'il ne s'agit pas simplement d'une expérimentation, mais d'une véritable réflexion sur notre service public.
Concernant le remembrement de l'État départemental, je partage vos observations. Le Gouvernement est en rupture sur deux points majeurs dans la manière de concevoir un État départemental.
La première rupture concerne les effectifs. La crise sanitaire a montré que nous manquions parfois de personnels ; nous avons, sur ce point, des faiblesses et des fragilités qui peuvent devenir problématiques. Depuis 2010, les effectifs départementaux de l'État ont baissé de 40 % ; tel est le fruit de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Au début du quinquennat, nous avons commencé par stabiliser les effectifs, et aujourd'hui nous souhaitons les augmenter. Nous sommes en rupture avec une tendance qui a érodé la puissance de l'État.
Seconde rupture, nous assumons politiquement le fait de remembrer l'État. Pendant des années, la mode était à l'« agenciarisation » et à la régionalisation de l'action publique ; nous assumons fortement cette rupture. Le Premier ministre l'a assuré, nous tiendrons un CITP en juillet prochain, dont l'axe principal sera bien la poursuite de nos ambitions sur l'État départemental.
Le niveau départemental permet de constituer des équipes, de se connaître et d'avoir des leviers. Pour l'État, le but de ce remembrement - il fut assumé dans le discours du Président de la République le 8 avril dernier, et déjà dans son discours aux préfets en 2017 - est d'être cohérent. Il ne s'agit pas de placer tout le monde sous une autorité hiérarchique, mais, dans un certain nombre de situations, de clarifier la parole de l'État. À cet égard, nous voulons redonner au préfet son pouvoir d'arbitrage.
Dans notre organisation collective, la simplification de la décision est importante ; il convient de redonner des capacités de décision à ceux qui sont sur le terrain. On ne doit plus considérer les services départementaux comme des endroits où l'on reçoit des dossiers, où on les instruit, mais où on laisse le pouvoir de décision à l'échelon régional ou national. Notre réforme de la haute fonction publique vise à remettre des compétences de haut niveau dans les départements et les services opérationnels, avec des hommes et des femmes en capacité de décider.
Madame la ministre, votre réponse va dans le sens de ce nous appelons de nos voeux au Sénat.
J'ai pris volontairement cet exemple du préfet qui pourrait être délégué territorial de l'OFB. Pour nos élus et nos concitoyens, il faut de la clarté et de lisibilité.
Je souscris à vos propos : il convient de renforcer l'État départemental à la fois en termes de moyens, de compétences et de prérogatives. Il y a aujourd'hui dans notre pays un besoin de proximité qui ne cesse de s'exprimer, et il nous semblait que ce texte pouvait le prendre en compte.
J'ai également pris l'exemple de l'eau, avec une problématique qui va se poser dans la plupart de nos départements. L'idée de privilégier le préfet de département plutôt que celui de région permet de concilier agilité et proximité. Au niveau des commissions pour la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la plupart des élus réclament que l'eau soit un critère éligible au financement de l'État.
La crise sanitaire a révélé que l'État devait avoir un chef d'orchestre pour harmoniser et décider sur les territoires. Au-delà de la crise, nous avons des exemples dans toutes les communes et les collectivités où les procédures, notamment sur les questions d'urbanisme, sont aujourd'hui très complexes. Les réglementations sont interprétées par des agents de l'État qui n'ont de comptes à rendre qu'à leur ministre et s'avèrent extrêmement zélés dans l'application d'un texte. Les élus frappent à différentes portes, et les réponses apportées sont parfois contradictoires.
Pour une meilleure cohérence, nous avions proposé dans la loi dite « Engagement et proximité » la création d'une conférence de dialogue entre l'Etat et les collectivités. Nous avons l'obsession de l'efficacité de l'action publique et, surtout, du soutien aux élus locaux qui sont comptables devant leurs concitoyens de cette efficacité ; l'État ne doit donc pas leur compliquer la vie, mais entretenir avec eux une relation partenariale.
Le préfet, institution bicentenaire, est attendu avec impatience dans les départements. Pour les élus locaux, il est l'interlocuteur et l'incarnation de l'État.
Je suis en phase avec les objectifs et j'essaie de trouver des manières concrètes de faire vivre des choses qui ont beaucoup de mal à se décréter par une circulaire ou un texte de loi.
Chaque agent public est rattaché à deux autorités : son territoire, son lieu de travail ; et son métier. Hiérarchiquement, il peut être rattaché à l'une de ces deux autorités. Comme il s'agit d'un impensé, il y a beaucoup d'agents publics à qui l'on n'a jamais expliqué ce double rattachement.
Vous dites que le préfet doit être le chef d'orchestre. Évidemment, il a ce rôle d'arbitrage, mais il est aussi un point d'entrée. Le démembrement de l'État donne aujourd'hui une impression de confusion ; pour y remédier, le préfet doit redevenir le point d'entrée.
Vous souhaitez des interlocuteurs uniques ; nous sommes en train de déployer des experts de haut niveau et des directeurs de projets dans l'ensemble du territoire. La démarche est la même que celle qui a été adoptée pour les sous-préfets lors de la relance. Après avoir examiné les résultats départementaux et observé, dans certains territoires, des dispositions qui ne fonctionnaient pas, les préfets nous ont fait part de leurs besoins : soit d'une politique publique, soit d'un grand projet. Le but de cette démarche, en coordination avec la réforme de la haute fonction publique, est de pouvoir redéployer dans les départements des postes de directeurs de projets ou d'experts de haut niveau.
Monsieur Darnaud, il faut de la clarté, de la lisibilité et aussi de la responsabilité. Nous devons être beaucoup plus clairs sur les responsabilités de chacun. La confiance et la responsabilité sont des mots qui peuvent paraître conceptuels, mais qui témoignent d'une réalité. L'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen précise que chaque citoyen peut demander des comptes aux décideurs publics ; mais celui-ci doit savoir qui décide pour pouvoir le faire effectivement.
Concernant les moyens, la méthode est aussi très importante. Nous avons aujourd'hui permis la différenciation budgétaire, en permettant notamment et dans une certaine mesure la fongibilité. Notre soutien doit aller aux départements qui en ont besoin, et nous menons ce travail avec l'ensemble des ministres.
Vous avez évoqué le sujet de l'eau. Le travail que mène actuellement Julien Denormandie avec le « Varenne de l'eau » s'appuie sur celui qui a été réalisé par un certain nombre de préfets à l'échelon départemental ; je pense notamment au travail très innovant mené par la préfète en Corrèze. L'objectif est de sortir de la vision procédurale pour établir également un diagnostic.
Les annonces prévues en juillet, à la suite de celles du mois février, concerneront tout ce qui ne relève pas du domaine de la loi. La véritable capacité à mettre en oeuvre dépend de la pratique et aussi de la nouvelle organisation de l'État concernant les administrations centrales.
Nous vous remercions de ces échanges.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 25.