Avant d'entamer l'examen des amendements de séance, je souhaite partager avec vous l'approche que Pascale Gruny et moi-même avons retenue dans le contrôle de la recevabilité de ces amendements au titre de l'article 45 de la Constitution. Comme vous le savez, pour être recevables, les amendements doivent présenter un lien, direct ou indirect, avec une disposition du texte déposé. J'insiste sur ce dernier point : conformément à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la recevabilité s'apprécie au regard de la version initiale de la proposition de loi et non du texte transmis par l'Assemblée nationale.
Parmi les amendements déposés en vue de l'examen en séance, il nous semble que quatre thèmes principaux s'écartent manifestement du champ initial du texte déposé.
Le premier concerne la prévention des violences conjugales, sexuelles et sexistes ainsi que les droits et l'accompagnement des personnes victimes de ces violences. Une quinzaine d'amendements traitent de ce sujet pourtant éloigné des dispositions du texte initial qui portent, je le rappelle, sur l'organisation du système de santé au travail. Bien entendu, nous ne nions pas l'importance de ce sujet et ses répercussions sur la santé et les conditions de travail des salariés. Pour autant, l'enjeu des violences à caractère sexuel ou sexiste n'est abordé que par l'article 1er et sous un angle très spécifique et limité dans sa portée : il s'agit d'harmoniser la définition du harcèlement sexuel entre le code pénal et le code du travail. Nous pensons, par conséquent, que ce texte n'est pas le bon véhicule pour discuter ces propositions qui semblent inspirées par une convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur la violence et le harcèlement.
D'une façon générale, aucune disposition du texte initial n'a pour objet de préciser les conditions de prévention et de protection contre une catégorie déterminée de facteurs de risques professionnels ni d'énumérer ces facteurs de risques. Dans ces conditions, contrairement aux amendements portant sur la définition du harcèlement sexuel au travail, la très grande majorité des amendements tendant à insérer dans la proposition de loi des dispositions relatives à la prévention des violences sexuelles, sexistes ou domestiques ne présentent pas de lien, même indirect, avec des dispositions de la proposition de loi dans sa version initiale. Par conséquent, ils nous semblent devoir être regardés comme irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution.
Suivant ce raisonnement, il devrait en aller de même pour les amendements relatifs à la prévention de certains facteurs de risques liés aux modalités d'organisation du travail, telles que la gestion algorithmique des ressources humaines ou le télétravail. Ces amendements ne sont rattachables à aucune disposition du texte déposé. La mention de l'organisation du travail à l'article 2 résulte d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale et ne vise qu'à rappeler que les employeurs doivent tenir compte de cet enjeu dans l'évaluation des risques professionnels. Elle ne peut pas constituer, sur le plan juridique, une porte d'entrée à l'ajout de dispositions sur des modalités spécifiques d'organisation du travail, modalités qui pourraient, sinon, être déclinées à l'infini.
Un troisième thème s'écartant du champ initial de la proposition de loi concerne les procédures applicables aux employeurs en matière de reclassement des salariés inaptes, puisque le texte déposé ne comporte aucune disposition sur ce sujet.
La proposition de loi, dans sa version initiale, ne comporte aucune disposition relative à l'organisation des instances représentatives du personnel (IRP). Le comité social et économique n'est évoqué à l'article 2 qu'en tant qu'il contribue à l'évaluation des risques professionnels. Une telle disposition ne permet pas d'envisager de revenir, d'une façon générale, sur l'organisation, le fonctionnement et les missions des IRP. Enfin, comme nous l'avions évoqué lors de l'examen en commission, les thèmes de la négociation collective autres que ceux qui sont liés à la santé au travail ne trouvent pas non plus leur place dans cette proposition de loi.
Voici les principaux éléments que je souhaitais porter à votre attention sur le contrôle de la recevabilité des amendements au titre de l'article 45 de la Constitution.