Le travail de la Haute Assemblée est d’essayer de trouver cette vérité constitutionnelle à laquelle nous aspirons.
Dans les propos tenus au cours de la première lecture et réitérés il y a quelques minutes, le Gouvernement nous dit qu’il entend rehausser la protection de l’environnement ; il ajoute, quelques secondes plus tard, que cette garantie ne changera finalement pas grand-chose ; enfin, il affirme qu’il s’agit d’exiger quasiment une obligation de résultat…
De deux choses l’une, soit « garantir » a un vrai sens et une vraie portée, et alors il faut s’en expliquer clairement, soit nous sommes là pour entériner ce que la Convention citoyenne a proposé, dans une démarche que l’on peut estimer légitime, mais dont il nous revient à nous, parlementaires et constitutionnalistes pour la circonstance, d’apprécier la réalité des effets.
Nous avons toujours dit à cette tribune que nous souhaitions naturellement que les parlementaires assument cette responsabilité de constitutionnalistes, en ne permettant pas au Conseil constitutionnel de devenir un véritable gouvernement des juges. C’est pourquoi la précision est nécessaire.
Le Sénat est donc saisi, en deuxième lecture, d’un projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, modifié par l’Assemblée nationale en deuxième lecture le 11 mai dernier.
La commission des lois n’a pu que constater, à regret, que les conditions d’un accord entre les deux assemblées sont encore très loin d’être réunies.
Je vous rappelle que le projet initial du Gouvernement, décalque de l’une des 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat, prévoyait d’insérer à l’article 1er de notre Constitution une phrase selon laquelle la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. » Il avait été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, sans modification.
Saisi de ce texte, le Sénat avait observé que la rédaction proposée avait une portée juridique beaucoup trop vague pour pouvoir être adoptée en l’état.
Comme le soulignait alors la commission, et contrairement aux allégations qui ont été exprimées, les pouvoirs publics sont d’ores et déjà soumis à de fortes obligations de valeur constitutionnelle ayant pour objet la protection de l’environnement, obligations qui découlent de la Charte de l’environnement de 2004.
En revanche, compte tenu, notamment, de l’emploi du verbe « garantir » et du défaut d’articulation avec la Charte, il avait paru impossible à notre commission de déterminer avec un tant soit peu de précision les effets des dispositions envisagées, d’une part, sur l’engagement de la responsabilité des personnes publiques, et, d’autre part, sur la validité des actes des pouvoirs publics.
Le Sénat avait donc substitué aux dispositions proposées une phrase selon laquelle la France « préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».
Cette rédaction supprimait la référence à la notion de « garantie » et levait, grâce à un renvoi exprès, tout problème d’articulation entre l’article 1er de la Constitution, modifié, et la Charte de l’environnement, partie intégrante du bloc de constitutionnalité.
La substitution du verbe « agir » au verbe « lutter », déjà suggérée par le Conseil d’État, visait seulement, quant à elle, à éviter un effet rhétorique dénué de toute portée juridique. Je veux bien que nous soyons « en guerre » contre bien des choses, y compris contre le dérèglement climatique, mais, dans la loi fondamentale, nous préférons la sobriété du style aux effets de manche.
En deuxième lecture, l’Assemblée nationale, sous couleur de rechercher un terrain de compromis avec le Sénat, a presque intégralement rétabli le texte initial, en acceptant seulement le remplacement du verbe « lutter » par le verbe « agir », un point tout à fait accessoire en réalité.
Le texte adopté par les députés, aux termes duquel la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique », ne lève aucune des zones d’ombre du projet initial, et ses effets juridiques restent tout aussi indéterminés.
Les députés n’ont pas cherché à répondre aux arguments juridiques exposés par le Sénat. Bien au contraire, les débats en deuxième lecture à l’Assemblée nationale n’ont fait qu’entretenir le flou sur les effets que le Gouvernement et sa majorité attendent de ce projet de révision.
Permettez-moi d’en citer quelques exemples. Le Gouvernement, après avoir répété à qui voulait l’entendre que son texte visait à instituer « un véritable principe d’action des pouvoirs publics » en faveur de la protection de l’environnement, a enfin reconnu devant la commission des lois de l’Assemblée nationale que la Charte de l’environnement s’applique aux autorités publiques depuis seize ans. Dont acte ! C’est une avancée que nous relevons.
Alors qu’il prétendait auparavant que le projet de révision visait à assigner aux pouvoirs publics une « quasi-obligation de résultat » en matière de protection de l’environnement, le Gouvernement ne parle plus désormais que d’une « obligation de moyens renforcée ». Il faudrait savoir ce que cela veut dire et quel est le sens de cette notion, qui n’a ni source ni signification.
En effet, les notions d’« obligation de moyens », d’« obligation de moyens renforcée », d’« obligation de résultat » ou encore d’« obligation de résultat atténuée » n’ont pas tout à fait la même acception.
Pour donner corps à cette notion, le Gouvernement déclare que son objectif est d’inverser la charge de la preuve et d’obliger ainsi les pouvoirs publics, si leur responsabilité est recherchée en justice, à établir eux-mêmes la démonstration qu’ils ont accompli toutes les diligences raisonnables pour assurer la préservation de l’environnement.
Soit, mais il faut tout de même beaucoup d’imagination pour faire produire au verbe « garantir » de tels effets sur le régime de la preuve dans le procès administratif. La notion de garantie, dans le langage courant comme dans le langage juridique, a une autre signification.
Pendant ce temps, le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale prétend toujours que le texte aurait pour effet « d’ériger la protection de l’environnement en principe constitutionnel », ce qui est tout simplement faux ou relève d’une ignorance de sa part. En effet, chacun sait que la Charte de 2004 fait partir du bloc de constitutionnalité et a valeur constitutionnelle.
Il a également déclaré que le texte adopté par les députés pourrait constituer « le support d’actions en carence contre le législateur », ce qui, pour le coup, constituerait une nouveauté, puisque, dans notre État de droit et conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, aucune juridiction n’a le pouvoir d’adresser des injonctions au législateur non plus d’ailleurs que de condamner l’État à réparer les dommages causés par d’éventuelles carences du législateur. Il est bien évident que la disposition proposée ne suffirait pas, à elle seule, à opérer un tel bouleversement juridique.
Si l’on en croit les déclarations faites en séance publique par le rapporteur de l’Assemblée nationale, la prétendue concession faite au Sénat serait l’expression de « l’esprit de dépassement et de rassemblement » qui, comme chacun sait, anime le parti majoritaire… §Au moins, cela ne manque pas d’humour.
Eh bien, monsieur le garde des sceaux, nous avons, nous aussi, le souci du « dépassement » et du « rassemblement ». Pour tout vous dire, nous sommes surtout assez impatients que ce débat constitutionnel entre enfin dans le dur et devienne, plutôt qu’une opération de communication, un véritable débat de droit.
Nous nous posons aujourd’hui la question : s’agit-il de gagner la bataille de la communication ou celle du droit ? Pour notre part, nous avons fait le choix de défendre le droit, conformément à notre mission première.
La commission a donc déposé un amendement dont la rédaction est légèrement différente de celle qui a été adoptée par le Sénat en première lecture.
Nous proposons d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la France non plus « préserve », comme dans notre première rédaction mais « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ». Telle est la proposition que la commission des lois a acceptée et qui est adressée au Sénat cette après-midi et.
J’ai entendu, il y a quelques jours, et ce matin encore, de la part de deux membres du Gouvernement – pas vous, monsieur le garde des sceaux – des propos extrêmement désagréables à l’égard du Sénat.