Intervention de Philippe Bas

Réunion du 5 juillet 2021 à 16h00
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Adoption en deuxième lecture d'un projet de loi constitutionnelle modifié

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, grâce à la Charte de l’environnement, voulue par le président Jacques Chirac, la protection de l’environnement est une exigence constitutionnelle depuis 2005.

Aussi, pourquoi cette nouvelle réforme constitutionnelle ? Que va-t-elle changer ? Quelles nouvelles obligations implique-t-elle ? Personne, monsieur le garde des sceaux, n’a été capable de le dire, ni la Convention citoyenne pour le climat, ni le Gouvernement, ni même le Conseil d’État, qui a cependant exprimé avec netteté ses réserves.

C’est que les implications de ce texte sont, en réalité, inconnues et même imprévisibles.

Ce que nous avons, tout d’abord, c’est que l’article 1er de la Constitution n’a pas plus de valeur juridique que la Charte de l’environnement. La distinction entre une règle constitutionnelle et un objectif à valeur constitutionnelle ne dépend pas de la localisation de la norme constitutionnelle dans les textes fondamentaux.

Le nouvel article 1er et la Charte sont contradictoires, telle est notre deuxième certitude. L’article 6 de la Charte prévoit en effet que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. »

Quant à l’article 1er, il prévoirait, si ce texte était adopté, que « la République garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique ». Chaque mot compte en droit ! Celui de « préservation » est plus fort que ceux de « protection » et de « mise en valeur ».

Ce n’est cependant pas l’essentiel, car le verbe « garantir » exclut le verbe « concilier ». La garantie de la protection et de la mise en valeur de l’environnement ne serait donc pas corrélée, comme dans la Charte, à l’exigence de conciliation avec le développement économique et le progrès social. Tel est le choix politique qui est opéré. Et c’est la raison pour laquelle, en effet, monsieur le garde des sceaux, votre projet ne peut pas être sans conséquence.

Un troisième élément de certitude tient à ce que la combinaison de l’article 6 de la Charte et du nouvel article 1er sera par conséquent impossible. Ce sera l’un ou l’autre. Et puisque la nouvelle règle fixée à l’article 1er sera la plus récente, elle s’imposera normalement pour trancher le conflit de normes, en donnant nécessairement un effet utile à la modification du texte dont nous délibérons.

Dans le cas contraire, la rédaction qui nous est proposée serait pratiquement dépourvue de toute portée ; ce serait un coup d’épée dans l’eau qui ne mériterait ni un vote du Parlement ni, encore moins, le recours au référendum. Le peuple français ne saurait être convoqué pour ne rien décider. Un référendum ne peut se réduire à une simple opération de communication.

Cependant, j’ai compris, monsieur le garde des Sceaux, que vous ne vouliez pas de cette option. Le rideau de fumée répandu autour de ce projet de loi constitutionnelle ne semble pas vous déranger. Loin de le dissiper et de nous éclairer sur la portée réelle du texte, vous vous en remettez, en quelque sorte, à la sagesse du Conseil constitutionnel, pour déterminer a posteriori le contenu du changement proposé. Cela s’appelle un saut dans l’inconnu.

Vous paraissez vous accommoder de cette incongruité. Elle n’a pourtant aucun précédent dans notre histoire constitutionnelle. Elle laisserait le législateur de demain dans l’incertitude et elle placerait les législateurs d’hier et d’aujourd’hui sous la menace de nouvelles questions prioritaires de constitutionnalité, au résultat tout aussi incertain.

Après la deuxième lecture de l’Assemblée nationale, qui en réalité n’a tenu aucun compte de nos travaux, le choix entre les verbes « lutter » et « agir » étant en réalité accessoire s’agissant du réchauffement climatique, nous devrions adopter ce texte comme s’il était à prendre ou à laisser – en somme, à l’aveugle ! Nous devrions renoncer à exercer pleinement notre responsabilité de constituants et accepter ce cas singulier d’incompétence constitutionnelle, comme il y a des cas d’incompétence législative, que nulle juridiction ne pourrait évidemment censurer.

Cependant, si nous n’avons pas le droit d’adopter une loi floue, à plus forte raison devrions-nous nous interdire de voter une règle constitutionnelle ectoplasmique. Un objectif à valeur constitutionnelle clair, comme celui de la Charte, vaudra toujours mieux qu’une règle constitutionnelle indéterminée et ambiguë.

Cette révision constitutionnelle est à la Constitution ce que les montres de Dali sont à l’horlogerie.

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