Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 15 juillet 2021 à 14h45
Orientation des finances publiques et règlement du budget et approbation des comptes de 2020 — Débat et rejet d'un projet de loi

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Pour en venir au fond, au moment où il m’incombe de reprendre ce flambeau, la situation des comptes sociaux est particulièrement préoccupante.

Elle l’est dans l’immédiat. Vous l’avez souligné, monsieur le ministre, la sécurité sociale a enregistré en 2020 le plus lourd déficit de son histoire, et de loin : 38, 7 milliards d’euros sur le périmètre du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, et même 39, 8 milliards d’euros si on l’élargit à l’ensemble des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. Cela fait environ 10 milliards d’euros de plus que le précédent record, qui datait de 2010, au plus fort de la crise financière entamée en 2008.

Pour 2021, selon les dernières prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale, le déficit du régime général et du FSV devrait rester stable à environ 38, 4 milliards d’euros, malgré des recettes nettement plus élevées que prévu.

En outre, au-delà de cette photographie de crise, la situation des comptes sociaux est préoccupante à moyen terme. La trajectoire financière pour les quatre prochaines années, annexée à la dernière loi de financement de la sécurité sociale, ne montre pas d’amélioration significative. Ainsi, selon les projections du Gouvernement, le déficit se stabiliserait à près de 20 milliards d’euros à l’horizon 2024, soit un niveau très élevé, voire vertigineux.

Or ce n’est pas en regardant dans le rétroviseur que nous pourrons nous rassurer. En effet, nous devons reconnaître que nous ne sommes pas parvenus à ramener les comptes de la sécurité sociale dans le vert avant la crise sanitaire, une décennie après la crise financière de la fin des années 2000, en partie, monsieur le ministre, parce que le Gouvernement n’a pas souhaité cet excédent et l’a assumé au travers de diverses mesures de non-compensation.

Certes, être dans le rouge, et même dans le rouge vif, ne distingue pas les comptes sociaux de ceux des autres administrations publiques, en particulier de ceux de l’État. Mais il me semble important de rappeler la spécificité des comptes sociaux au sein de l’ensemble des comptes publics, car cette spécificité semble parfois oubliée dans certains ministères au profit de formules faciles se référant à « la même poche ».

Les dépenses de la sécurité sociale, de même que celle des autres régimes d’assurance sociale obligatoires, sont fondamentalement des dépenses de répartition. Des prestations sociales sont versées à partir des produits collectés, c’est-à-dire encore majoritairement des cotisations créatrices de droit et fléchées à cette fin vers un organisme précis.

À l’inverse des dépenses de l’État, il n’y a que très peu de dépenses d’investissement ou même de dépenses d’avenir, comme pour l’éducation, l’enseignement supérieur ou la recherche, susceptibles de rendre légitime la transmission d’une dette aux générations futures, qui bénéficieront du fruit de ces dépenses.

Au contraire, il devrait être de la responsabilité de chaque génération d’assurer elle-même le coût de sa protection sociale, bref de ne pas faire payer à ses enfants le prix de ses feuilles de soins ou des actuelles retraites, par exemple. C’est donc bien la recherche de l’équilibre, au sens strict du terme, qui doit nous guider quand on parle des comptes sociaux.

C’est d’ailleurs ce constat qui a amené votre prédécesseur Jean Arthuis à mettre en place des lois de financement de la sécurité sociale et à créer une caisse dédiée, la Cades, la Caisse d’amortissement de la dette sociale –, dotée d’un impôt spécifique, la CRDS, ou contribution pour le remboursement de la dette sociale, pour amortir en intérêts et capital, le plus vite possible, la dette de la sécurité sociale, ce que l’on n’envisage pas pour l’État.

Monsieur le ministre, Jean-Marie Vanlerenberghe vous avait dit l’année dernière, lors de l’examen des projets de loi relatifs à la dette sociale et à l’autonomie, que, face à l’ampleur des conséquences financières de la crise sanitaire, nous étions en quelque sorte revenus au point de départ en matière de dette sociale, vingt-cinq ans après.

Il était donc temps de se poser de nouveau les questions fondamentales : nous donnons-nous vraiment pour but d’éteindre la dette sociale, dans l’esprit de responsabilité vis-à-vis des générations futures dont je viens de parler ? Le Gouvernement avait répondu par l’affirmative, tout en prolongeant de neuf ans l’existence de la Cades. La commission des affaires sociales et le Sénat avaient partagé cette approche.

Dès lors, nous devons nous montrer cohérents et réellement agir pour atteindre cet objectif. Cela commence par ne pas priver artificiellement la sécurité sociale de ses recettes, par ne pas lui confier par commodité des charges qui étaient jusqu’en 2019 celles de l’État – je pense à Santé publique France, par exemple – et par ne pas faire de la Cades un « fourre-tout », par exemple en la chargeant à hauteur de 13 milliards d’euros du financement des investissements des hôpitaux publics. Sinon, monsieur le ministre, nous n’y arriverons pas, et autant supprimer tout de suite la Cades !

Bien sûr, le respect de ces principes élémentaires de bonne gestion des finances publiques ne suffira pas, à lui seul, à ramener les comptes de la sécurité sociale sur le chemin de l’équilibre. Soyons conscients, mes chers collègues, qu’il faudra prendre, le moment venu, à l’issue de la crise actuelle, des décisions difficiles, notamment en matière d’assurance vieillesse ou de maîtrise des dépenses d’assurance maladie.

Pour nous y aider, et afin que le Parlement dispose des moyens d’exercer pleinement les prérogatives qui devraient être les siennes en matière de finances sociales, nous formulerons des propositions cet automne, dès l’examen de la révision du cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale.

À cet égard, je vous rappelle les principes sur lesquels s’appuie la proposition de loi organique déposée par Jean-Marie Vanlerenberghe et notre présidente Catherine Deroche, cosignée par l’ancien président Alain Milon et l’ensemble des rapporteurs des différentes branches du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Tout d’abord, elle prévoit un périmètre élargi des lois de financement, afin d’inclure à des degrés divers l’ensemble des administrations de sécurité sociale, en particulier l’assurance chômage, dont la situation financière et le niveau d’endettement sont très préoccupants.

Ensuite, elle instaure une normativité renforcée, en particulier par la mise en place de certains crédits limitatifs, notamment pour le financement des agences, afin que le Gouvernement soit obligé de redemander l’autorisation du Parlement quand le budget « explose ».

Les auteurs de cette proposition de loi réclament un contrôle parlementaire renforcé, notamment au travers de l’instauration des lois d’approbation des comptes de la sécurité sociale, sur le modèle de la loi de règlement que le Sénat va examiner à l’issue de ce débat.

Enfin, le texte met en place une « règle d’or » – nous en avions discuté l’année dernière – imposant un équilibre des comptes de la sécurité sociale sur cinq années glissantes, sur le modèle de ce qui était prévu pour le système universel de retraite. Si les modalités et la date de mise en place d’une telle règle peuvent bien sûr être discutées, son principe devrait nous unir, pour peu que nous fondions notre jugement sur nos échecs passés. Ou alors, encore une fois, si nous ne croyons même pas à cet objectif, à quoi bon prolonger la Cades ?

Mes chers collègues, vous le voyez, nous avons beaucoup de travail devant nous dans les mois et les années à venir. J’espère, monsieur le ministre, que vous nous ferez connaître vos propres orientations à l’occasion de ce débat.

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