Intervention de Jean-Pierre Bel

Réunion du 17 février 2011 à 9h00
Coordination des politiques économiques au sein de l'union européenne — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Jean-Pierre BelJean-Pierre Bel :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui, grâce à l’initiative de notre collègue Yvon Collin, traite d’un sujet capital.

Elle intervient alors que notre continent et le monde traversent l’une des pires crises économiques de l’Histoire moderne et, en tout état de cause, la pire crise que le monde ait connue depuis les années 1920.

Cette crise, d’abord financière, puis économique et sociale, met l’Europe au défi : au défi d’être à la hauteur des enjeux ; au défi de faire face ; au défi d’inventer de nouvelles politiques et de nouveaux instruments de délibération et d’action.

En effet, nous le savons, l’échelon européen est pertinent pour agir et pour obtenir des effets sur l’économie, à condition de le vouloir et de s’en donner les moyens.

Aujourd’hui, la coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne se fait essentiellement – on peut le déplorer – par des interdictions et des sanctions. C’est vrai, en particulier, pour les États membres de la zone euro, soumis au pacte de stabilité et de croissance qui encadre les politiques budgétaires des États et prévoit le déclenchement de sanctions en cas de dépassement des seuils prescrits. Il s’agit d’une sorte de coordination « par défaut ». En effet, la monnaie commune n’est pas accompagnée d’un budget commun ; seules des règles strictes, inscrites dans les textes, fixent un cadre commun pour éviter les tentations de « cavalier seul ».

Cette coordination a fait la preuve de ses limites et de ses insuffisances. Nous l’avons vu au moment de la crise grecque, dont Jean-Pierre Chevènement a écrit dans son dernier ouvrage qu’il s’agissait d’une « répétition générale des crises à venir ». Au moment où cette crise a éclaté, l’Europe était dépourvue de tout moyen de réponse rapide, adéquate et efficace. Nous le voyons chaque jour depuis des années : la coordination, telle qu’elle existe actuellement, ne permet pas à notre vieux continent de tirer le meilleur de lui-même.

Les mécanismes existants ont échoué dans la mise en place de politiques d’avenir. Ils ne permettent pas de conduire, à l’échelle du continent européen, des politiques keynésiennes. Tout le monde reconnaît pourtant aujourd’hui que ces politiques sont les seules capables de surmonter la crise, de soutenir la recherche et l’innovation, et de préparer les emplois de demain !

De nombreuses propositions sont sur la table. Je pense au paquet législatif proposé par la Commission européenne en septembre dernier. Je pense également au rapport du groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy et aux propositions du Parlement européen faites en octobre dernier. Je pense aussi aux propositions des socialistes européens qui, sur bien des points, sont proches de l’état d’esprit des mesures proposées aujourd’hui par nos amis du RDSE.

Nous plaidons pour de nouvelles modalités de coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne.

Le premier souci de la nouvelle coordination doit être celui de la démocratie. C’est, me semble-t-il, l’un des messages forts de cette proposition de résolution. Comme je l’ai indiqué, le pacte de stabilité et de croissance encadre fortement les politiques budgétaires nationales.

Le « semestre européen », institué lors du Conseil ECOFIN du 7 septembre dernier, va dans ce sens. Il prévoit en effet une mise en cohérence accrue entre les procédures budgétaires nationales et l’agenda européen.

Indispensable dans son principe, une telle coordination comporte cependant un risque évident : celui de contourner purement et simplement, en fait sinon en droit, comme l’ont dénoncé nos collègues députés européens, le Parlement européen lui-même. Un tel état de fait priverait le « semestre européen » de toute légitimité démocratique et serait, à terme, préjudiciable à sa pérennité. Il faut en conséquence conforter la dimension parlementaire nationale du « semestre européen », et le doter d’une dimension parlementaire européenne clairement assumée.

De cela découle l’importance de la tenue d’une réunion, au moins une fois par an, de représentants des parlements nationaux et du Parlement européen, afin d’avancer ensemble.

Nous devons donc parvenir à concilier deux exigences qui risquent de s’opposer : d’une part, l’exigence de souveraineté, puisque le premier rôle des parlements nationaux est bien de voter le consentement à l’impôt et le budget ; d’autre part, l’exigence d’une coordination des politiques en Europe dans un contexte tendu.

De surcroît, la coordination des politiques économiques doit être, pour nous, un moyen de sortir par le haut de la situation économique actuelle. En effet, la coordination n’est pas une fin en soi. Nous ne la souhaitons pas par simple goût des procédures. Elle doit être mise au service de politiques publiques. Ainsi, la coordination est réussie dès lors qu’elle permet aux Européens de faire face, ensemble, à des défis communs, et de tout mettre en œuvre pour aller de l’avant dans une dynamique collective. À cet égard, plusieurs pistes doivent être explorées.

D’abord, nous devons aller vers la mise en place d’un mécanisme permanent de gestion des crises. Un premier pas a été fait, il faut le reconnaître, avec la mise en place du Fonds européen de stabilité financière. Ses opérations sont encore exclusivement des plans de sauvetage – souvent assortis de contreparties drastiques –, et il ne prévoit pas encore d’instruments de convergence économique.

En outre, la question des investissements d’avenir est essentielle pour notre continent. L’investissement public et le soutien à l’investissement privé, notamment dans les secteurs de la recherche, du développement et de l’innovation, conditionnent la réussite de la stratégie Europe 2020. Leur insuffisance explique, en partie, le relatif échec de la stratégie de Lisbonne.

Pour ces raisons, il nous faut poser clairement la question d’un éventuel emprunt européen. Les États pourraient ainsi procéder collectivement à des emprunts pour financer de grands projets d’investissement d’intérêt européen.

Enfin, nous pouvons imaginer d’aller plus loin encore, en mutualisant les budgets nationaux sur des sujets d’intérêt commun en lien, ici encore, avec la stratégie Europe 2020. De telles mesures ne devraient pas être soumises aux règles du pacte de stabilité.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution aujourd’hui examinée est un marqueur.

Elle acte des principes et des propositions qui nous permettent d’aller de l’avant. À nous de suivre le bon chemin, en démocratisant la gouvernance pour la mettre au service de l’emploi et de la croissance, en remplaçant les procédures de coordination par des politiques publiques ambitieuses, en conciliant souveraineté, démocratie et volontarisme politique.

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