Intervention de Pierre Bernard-Reymond

Réunion du 17 février 2011 à 9h00
Coordination des politiques économiques au sein de l'union européenne — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Pierre Bernard-ReymondPierre Bernard-Reymond :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les conditions qui ont présidé à la création de l’euro, étape essentielle de la construction européenne, éclairent en partie les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui.

Il faut se souvenir de ce que représentait à l’époque, pour nos amis allemands, l’abandon du mark.

À côté de Français qui disposaient d’autres attributs importants de souveraineté et de moyens de rayonnement dans le monde, en particulier un siège au Conseil de sécurité des Nations unies et une force de frappe indépendante, l’Allemagne était sollicitée pour fondre son seul grand moyen de puissance et de reconnaissance internationale – le mark – dans une monnaie communautaire.

On comprend, dans ces conditions, que l’Allemagne ait prioritairement exigé à l’époque que tout ce qui faisait la force du mark puisse se retrouver dans l’euro, en particulier l’indépendance stricte de la Banque centrale et la lutte contre l’inflation qui rappelait les mauvais moments de la République de Weimar.

Le débat s’est donc alors focalisé sur l’aspect purement monétaire du problème. Certes, le volet économique n’a pas été complètement oublié, avec l’instauration du pacte de stabilité, mais la gouvernance économique n’est pas apparue comme une priorité.

C’est le péché originel de l’euro.

Cela ne l’a d’ailleurs pas empêché de devenir la deuxième devise de réserve mondiale, de renforcer l’intégration des économies européennes, de contenir l’inflation et d’obtenir des taux d’intérêt très bas. Je pense toutefois que l’on n’a pas suffisamment perçu, à l’époque, le fait que la monnaie unique allait autoriser ou camoufler provisoirement le laxisme budgétaire, les écarts de compétitivité, autant de dysfonctionnements qui, sans monnaie unique, apparaissent plus clairement et plus rapidement et qu’il est plus facile de redresser par la dévaluation ou l’inflation. Nous en avons eu un exemple dans notre pays au début des années quatre-vingt.

C’est ainsi qu’il a fallu le tsunami de la crise de 2007, venu des États-Unis, pour faire apparaître au grand jour la dissimulation statistique de la Grèce, les bulles, immobilière en Espagne et financière en Irlande.

Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’auparavant des libertés avaient été prises par d’autres États, par l’Allemagne et la France en 2003, par exemple, lorsque ces deux pays avaient demandé l’assouplissement du pacte de stabilité.

Ce couple a, depuis, fait acte de contrition puisque c’est lui qui apparaît aujourd’hui le plus dynamique dans la formulation des propositions pour l’avenir.

Tout a été dit sur ce couple indispensable. On est en droit de se demander où en serait l’Europe s’il n’existait pas. En même temps, il doit prendre garde à deux excès : celui de trop réduire le rôle de la Commission et celui d’indisposer les autres partenaires. Il faut trouver les moyens de mieux associer les uns et les autres dès le départ au processus de réflexion franco-allemand.

Le temps où certains ont pu croire que le pouvoir exécutif européen naîtrait de la Commission est révolu. C’est au sein du Conseil européen que se développe le pouvoir exécutif de l’Union. Mais il faut se garder de deux évolutions exagérées : la Commission ne doit pas être réduite au niveau d’un secrétariat permanent et le Conseil européen ne doit pas prendre prétexte de ce qu’il est l’exécutif pour en rester, dans bien des domaines, au niveau de l’intergouvernemental.

Sur ce point, heureusement, la crise est un bon aiguillon et l’on n’aurait jamais osé imaginer, avant qu’elle n’intervienne, que l’on puisse discuter de tout ce qui est sur la table aujourd’hui : l’instauration du semestre européen, qui établira une meilleure transparence entre les États et vis-à-vis des institutions en incitant à un meilleur autocontrôle, la création du Fonds européen de stabilité financière, la conviction qu’il faut en accroître les moyens et le pérenniser au-delà de 2013 à un niveau suffisant.

Parmi les sujets de discussion figurent aussi la réflexion sur un pacte pour la compétitivité et, ajouterai-je volontiers, pour la convergence, ainsi que la perspective d’inscrire dans la Constitution de chacun de nos États le respect de l’équilibre budgétaire, qui n’est, somme toute, qu’un appel à plus de responsabilité et qui devra tout de même ménager la possibilité d’engager des politiques contracycliques.

Ce sont autant de décisions et de réflexions qui vont dans le bon sens. Elles constituent des acquis que l’on n’aurait jamais obtenus sans la crise.

Certes, des questions importantes restent à régler. Quelles sanctions appliquer ? Quel doit être le montant minimal du Fonds européen de stabilité financière ? L’annonce de son probable doublement me paraît une bonne nouvelle. Dans quels domaines doit s’appliquer le pacte de compétitivité : fiscalité, salaires, retraites, finances publiques ? À quel rythme doit-on faire progresser la convergence ? Je pense que cette question du rythme est aussi importante que celle des domaines à privilégier.

On ne peut pas aider l’Irlande et lui demander, le même jour, de renoncer à son dumping fiscal. Mais, à terme, cette situation devra être revue.

De même, doit-on commencer à interdire l’indexation des salaires chez ceux qui y sont encore très attachés, au point d’en faire un dogme ? Elle est notamment en vigueur dans un pays qui n’a pas de gouvernement depuis de nombreux mois…

Ne faut-il pas aussi que nous balayions devant notre porte en termes de convergence ? À l’intérieur du seul couple franco-allemand, la croissance a été en 2010 de 3, 6 % en Allemagne, qui a touché ainsi les dividendes d’une politique de rigueur instaurée par le gouvernement socialiste de M. Schroeder, et de 1, 5 % en France. Quant au commerce extérieur, il affiche également de fortes disparités auxquelles nous devons remédier.

Enfin, au-delà des sujets sur la table du prochain sommet, n’y a-t-il pas quelques autres questions à se poser, dont certaines ont d’ailleurs été évoquées par notre collègue Richard Yung et moi, dans le rapport que nous avons publié sur ce sujet ?

Ne faut-il pas élargir les objectifs initialement dédiés à la Banque centrale européenne ? La Cour des comptes européenne ne pourrait-elle pas se voir confier un rôle dans la surveillance du respect du pacte de stabilité ? Ne faut-il pas créer un Observatoire de la compétitivité plus indépendant de toutes les institutions ?

Enfin, d’une manière générale, à un horizon plus large et plus lointain, on peut se demander comment faire vivre l’Europe des trois cercles qui existent de fait – le noyau franco-allemand ; l’Europe communautaire de l’euro, qui représente 65 % de la population et 75 % du PIB de l’Union ; l’Europe des Vingt-sept – et, dans le même temps, simplifier l’architecture extrêmement complexe des institutions européennes. Comment assurer à cet ensemble une croissance solide et durable à l’heure de la mondialisation ?

Dans l’état actuel, il n’y a aucune raison pour que la « Stratégie Europe 2020 » n’aboutisse au même échec que la stratégie de Lisbonne.

Si l’on ne choisit pas quelques secteurs privilégiés tels que l’énergie, les transports, les biotechnologies, l’espace, la communication et les technologies de l’information, auxquels on appliquerait une politique plus intégrée que coordonnée dans le domaine de la recherche et du développement, je crains que l’Europe n’ait du mal, dans les décennies à venir, à jouer sa partition dans les affaires du monde. Dans ce cas, c’en serait fini de son modèle social !

Dans ce contexte, pourra-t-on longtemps se contenter d’un budget européen qui représente 1 % du PIB et qui a vu fondre ses ressources propres comme neige au soleil ? Ne doit-on pas s’interroger également sur la capacité d’emprunt de l’Europe ?

Voilà, me semble-t-il, quelques questions auxquelles l’Europe ne pourra échapper dans les prochaines années et dont les réponses vont être déterminantes pour notre avenir.

Je remercie ceux de nos collègues qui ont pris l’initiative de cette proposition de résolution, laquelle nous a permis ce débat. Ils comprendront toutefois que nous n’approuvions pas leur analyse et leurs conclusions.

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