Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a largement contribué à faire évoluer dans le bon sens le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Nous avons travaillé rigoureusement, avec une grande exigence et la volonté de faire aboutir une loi sur l’aide publique au développement qui n’avait que trop tardé.
Avec nos collègues de l’Assemblée nationale, nous sommes parvenus, je le pense, à un bon compromis. Je voudrais féliciter les corapporteurs, Hugues Saury et Rachid Temal, qui ont pu, tout au long de nos débats, bénéficier du soutien de la très large majorité du Sénat et, bien sûr, du groupe socialiste.
Grâce à ces travaux, notre assemblée s’est illustrée par des avancées notoires. Nous avons rétabli une trajectoire financière qui n’apparaît plus du tout tronquée, comme c’était le cas dans le projet de loi initial. Nous allons voter des engagements chiffrés, malheureusement en pourcentage seulement, mais jusqu’en 2025, date à laquelle nous devrons atteindre les 0, 7 % du RNB – je rappelle que la Suède, le Luxembourg ou encore le Danemark ont déjà atteint ce seuil.
La clause de revoyure prévue avant la fin de 2022 sera pour nous l’occasion de garantir cette progression. Il nous faudra cependant être particulièrement vigilants, car derrière un affichage qui peut paraître ambitieux aujourd’hui les engagements réels et concrets sont ténus.
Parce qu’il nous est apparu que l’aide française souffrait d’une forte dispersion, ce qui ne favorise pas son efficacité, nous avons souhaité la cibler mieux, comme l’ont dit tous les orateurs. Ainsi, 65 % de cette aide sera consacrée à la composante bilatérale. C’est une avancée majeure, mais qui ne doit pas conduire à une baisse en volume de l’aide multilatérale – là aussi, nous y serons attentifs.
Afin de mieux cibler les pays pauvres, les dons prendront le pas sur les prêts, à hauteur de 70 % au moins, selon les dispositions du projet de loi. Le ciblage de 25 % de l’aide sur les dix-neuf pays prioritaires se fera en direction des populations qui en ont le plus besoin et qui actuellement n’en reçoivent que 13 %.
Sur la demande du groupe socialiste, un article est maintenant dédié aux organisations de la société civile : c’est une avancée majeure dans la reconnaissance de leur rôle, une manière de donner corps à l’ambition qu’avait affichée le Gouvernement de renforcer la dimension partenariale et qu’il n’avait pas su traduire dans le projet de loi initial. Le groupe socialiste avait fait des propositions pour aller plus loin dans la reconnaissance d’un véritable droit d’initiative. Nous reviendrons aussi sur ce sujet, quand nous en aurons l’occasion.
Nous regrettons aussi qu’ait été supprimé l’objectif de porter à 1 milliard d’euros à l’horizon 2025 le montant de l’aide transitant par les organisations de la société civile. La commission mixte paritaire est revenue à la rédaction initiale du texte, c’est-à-dire un objectif de doubler cette aide par rapport à 2017 pour atteindre 620 millions d’euros, ce qui est déjà bien, mais qui laisse la France encore largement derrière la moyenne des pays de l’OCDE.
Nous nous réjouissons qu’une procédure de restitution des biens mal acquis directement aux populations spoliées soit mise en place grâce à ce texte – Jean-Pierre Sueur, qui est présent aujourd’hui, défend cette idée depuis plusieurs années.
Enfin, ce texte comprend des avancées sur l’ensemble des questions de genre et sur une meilleure prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Je dois souligner le rôle très important joué par la délégation aux droits des femmes du Sénat à cet égard. Nous nous félicitons aussi que la France s’engage à promouvoir les principes de la convention d’Istanbul sur la lutte contre les violences faites aux filles et aux femmes.
Tout au long de nos débats, nous avons été, d’une certaine façon, des lanceurs d’alerte, que ce soit sur la levée des brevets, sur les vaccins ou sur la constitution d’états civils fiables, autant de sujets que le Gouvernement n’a pas voulu prendre en compte dans le texte, mais qui sont désormais sur la table des négociations.
La pandémie nécessite des réponses mondiales. Alors que nous avons en France – croyez-moi ! – des débats de riches, les populations des pays pauvres attendent de pouvoir se faire vacciner et ainsi de sauver leur vie.
Enfin, permettez-moi de lister tout ce qui manque, de mon point de vue, dans ce texte, des points sur lesquels les socialistes vont continuer de se battre pour faire bouger les lignes.
Vous avez mis un terme à l’ambition de cibler 60 % de la taxe sur les transactions financières vers le Fonds de solidarité pour le développement, alors même que cette taxe atteint aujourd’hui des montants records : elle a rapporté plus de 1, 7 milliard d’euros en 2020, elle aurait donc permis d’alimenter de façon considérable les ressources affectées à l’aide au développement. Dans six mois, lors de la remise du rapport qui doit porter sur ce sujet, nous aurons l’occasion de vous rappeler ce rendez-vous manqué.
Ce texte de loi aurait mérité un article additionnel instaurant un devoir de vigilance à l’égard de tous les acteurs, publics et privés, qui exercent une influence à l’étranger afin de prévenir, de dénoncer et de sanctionner des atteintes portées aux droits humains, aux libertés fondamentales ou à la mise en danger de la santé, de la sécurité ou de l’environnement. Ce texte est trop faible sur ce sujet et nous restons là encore sur notre faim.
Mais le gros point noir, de mon point de vue, c’est le criblage. « Critériser » l’aide au développement ne permet pas de garantir la protection des personnes les plus vulnérables. Ce n’est pas pour rien que le principe de non-discrimination fait partie des piliers de l’État de droit. Ce principe a été récemment réaffirmé par le Président de la République lors de la conférence nationale humanitaire, mais vous ne l’avez pas traduit dans le texte et il reste extrêmement flou. L’article 13 du présent projet de loi fait référence à un rapport qui va affiner la doctrine française en la matière. Il devrait nous être présenté prochainement – nous l’attendons.
Nous attendons aussi que le Gouvernement s’engage pour sécuriser l’action de l’ensemble des organisations internationales humanitaires, particulièrement dans les zones de conflit et de crise, comme au Sahel.
Mes chers collègues, vous le voyez, pour nous, beaucoup de combats restent encore à mener, mais ce texte permet des avancées qui seront utiles aux acteurs de l’aide publique au développement. Par conséquent, les socialistes le voteront. Ce sera pour nous un geste de fraternité en direction des populations les plus pauvres du monde.