Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 17 février 2011 à 9h00
Présomption d'intérêt à agir des parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

… ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État. C’est pourquoi, monsieur le ministre, votre question me paraît inappropriée.

Il a publié, dans le numéro de mai 2010 de la Revue juridique de l’économie publique, un article qui, j’en suis sûr, n’aura pas manqué de retenir votre attention et dont voici un extrait

« On connaît l’objection mise en avant par Jacques Massot et souvent reprise depuis : “… représentant la nation tout entière […], [le parlementaire] fait partie d’un cercle d’intérêt trop vaste pour que son action ne se confonde pas avec l’action populaire.”

« Mais y a-t-il là de quoi écarter autre chose qu’une vision d’une recevabilité “tous azimuts” d’un parlementaire qui tiendrait de son mandat le privilège de pouvoir attaquer tout acte susceptible de recours ? Ce qui ne paraît envisagé par personne et en tout cas ne l’est pas ici, où l’on se borne à suggérer que la réponse à la question de la recevabilité du parlementaire ne passe pas plus par le : “jamais” que par le : “toujours” mais seulement par le : “quand ?” »

C’est exactement ce à quoi M. Collin et M. Lecerf apportent une réponse pertinente.

M. Labetoulle expose ensuite ce que vous avez rappelé, et qui est bien connu, monsieur le ministre : jusqu’à ce jour, le Conseil d’État a pratiqué l’évitement ou le contournement. Nous connaissons tous la fameuse formule : « sans qu’il soit utile de statuer sur la recevabilité des parlementaires »…

Le Conseil d’État s’est appuyé soit sur le fait qu’il y avait d’autres requérants qui n’étaient pas parlementaires, soit sur le fait que le parlementaire requérant possédait une qualité autre. Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’est ainsi vue reconnaître la qualité de téléspectatrice et M. François Bayrou, celle d’abonné au gaz ou plutôt, en l’espèce, d’« actionnaire d’une société d’autoroute ».

Bref, tout cela est proprement ridicule !

D’ailleurs, ce n’est pas moi qui le dis ! M. Daniel Labetoulle, dont nous connaissons l’autorité, rappelle également, en soulignant l’absurdité de la situation, qu’a été reconnue à M. Didier Migaud la qualité de « consommateur de produits pétroliers ». En tant que tel, sa requête avait été déclarée recevable ! Et M. Labetoulle de conclure par ces mots : « Non, décidément, la jurisprudence sur la recevabilité du parlementaire ne peut être aujourd’hui ce qu’on a trop cru qu’elle était. »

Voulez-vous que je vous cite la remarquable analyse conduite par Mme Véronique Bertile dans le numéro daté de 2006 de La Revue française de droit constitutionnel ? « La reconnaissance d’un intérêt pour agir aux membres du Parlement à l’encontre des actes administratifs portant atteinte à leurs prérogatives est indéniablement une étape – et, qui plus est, une étape nécessaire – de l’affermissement du recours pour excès de pouvoir comme véritable recours objectif, destiné à assurer le respect de la légalité par l’administration. »

Monsieur le ministre, je souhaite maintenant évoquer deux affaires concrètes.

Figurez-vous qu’il m’est arrivé de me trouver devant le Conseil d’État porteur d’un recours engagé par 70 sénateurs concernant une ordonnance. Nous avions adopté un texte qui autorisait le Gouvernement à légiférer par ce biais. L’ordonnance fut prise, mais plusieurs de ses dispositions étaient contraires à la loi.

Or l’ordonnance est un texte à caractère administratif tant qu’elle n’a pas été ratifiée. En tant que parlementaires, nous étions donc confrontés à ce texte censé répondre à l’autorisation donnée par la loi, mais contraire, pour plusieurs de ses dispositions, à celle-ci.

Je me suis donc rendu, une après-midi durant, devant le Conseil d’État, ce dont je garde un souvenir… mémorable. Vous savez en effet, monsieur le ministre, que, dans cette assemblée, on ne peut pas parler, ce qui est extrêmement frustrant !

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