Intervention de Alain Anziani

Réunion du 17 février 2011 à 9h00
Présomption d'intérêt à agir des parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par M. Yvon Collin, et qui sera sans doute amendée par le rapporteur, me paraît essentielle. En effet, elle a pour but de rétablir l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Monsieur Collin, vous avez eu le mérite de poser le problème avec beaucoup de netteté : ce rééquilibrage des pouvoirs doit-il conduire à recourir au juge ?

J’aborderai ce débat sous deux angles, le premier étant celui de la légalité.

On a dit que ce texte posait un problème de légalité et de constitutionnalité. Ce n’est pas mon sentiment. Le droit est complexe, nous le savons tous, mais il l’est encore davantage en la matière. La jurisprudence du Conseil d’État est elle-même assez composite.

Un arrêt Schwartz de 1981, repris dans ses grandes lignes par un arrêt de 1987 concernant M. Michel Noir, précise qu’il n’existe pas d’intérêt à agir du parlementaire ; je le concède volontiers. Cependant, un arrêt de 1978 avait affirmé qu’un parlementaire peut agir contre un acte réglementaire qui limiterait les pouvoirs du Parlement. Autrement dit, dès lors que l’on porte atteinte aux pouvoirs du Parlement, le parlementaire se voit reconnaître un droit à agir.

En vérité, nous sommes, sinon dans l’hypocrisie, car il y a tout de même derrière la position du Conseil D’État un raisonnement juridique assez charpenté, mais au moins dans une situation paradoxale puisque, dès l’instant que le parlementaire se dépouille de ses attributs de parlementaire, il se trouve en droit d’agir.

Je reprends deux des exemples qui ont été cités. En tant que parlementaire, M. François Bayrou ne peut pas agir, mais en tant qu’actionnaire d’une société d’autoroute, il le peut ! En tant que parlementaire, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ne peut pas agir, mais en tant qu’usager du service public de la télévision, elle le peut !

Reconnaissons que, au-delà des solides soubassements juridiques du raisonnement, c’est tout de même à une forme de schizophrénie que nous conduit la jurisprudence du Conseil d’État !

Pour en revenir à la légalité, je reprendrai les excellents propos de Jean-Pierre Sueur. Quels sont les grands juristes à avoir considéré cette question ? M. Daniel Labetoulle, qui est indiscutablement un grand juriste, qui a une expérience considérable et qui a exercé de très hautes responsabilités au sein du Conseil d’État, affirme que cette question ne présente pas de difficulté constitutionnelle.

Il est quelque peu paradoxal de nous opposer l’atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. En vérité, le problème se pose en sens inverse : c’est le pouvoir exécutif qui limite le pouvoir du Parlement s’il ne prend pas les mesures réglementaires ! Le principe de la séparation des pouvoirs exige que le pouvoir législatif exerce la totalité de ses prérogatives et, donc, qu’il dise au pouvoir exécutif que celui-ci n’a pas à le limiter dans son action.

J’en viens au second angle sous lequel j’aborde ce débat, et je me montrerai là un peu plus polémique.

Monsieur le ministre, j’ai bien entendu votre argumentation, reprise par Laurent Béteille, qui consiste à nous dire : « Vous ne vous rendez pas compte que vous allez renoncer à vos prérogatives parlementaires, et peut-être même dénaturer un peu la fonction de parlementaire si, demain, vous formez un recours pour excès de pouvoir devant les tribunaux au lieu d’exercer ce que la loi vous reconnaît. » Honnêtement, je ne vois pas à quoi nous renonçons !

Aujourd'hui, nos droits consistent à publier tous les ans un excellent rapport sur l’application des lois, ce qui est une très bonne avancée, à poser des questions, sans doute remarquables. En quoi ce texte, si nous le votons, nous privera-t-il de ces droits ? En rien !

Non seulement nous ne renonçons à rien, mais nous souhaitons avoir une prérogative supplémentaire. Nous allons au bout de nos droits.

À cet égard, l’argument qui a été opposé est un peu paradoxal car, dans une démocratie, aller au bout de ses droits implique d’aller devant le juge. Je ne comprends pas le raisonnement qui est tenu. Le problème ne se poserait pas dans un autre pays démocratique. Exercer ses pouvoirs dans un État de droit, c’est, à un moment donné, s’adresser au juge pour qu’il arbitre un litige. Je ne vois là rien de scandaleux, d’anticonstitutionnel ou propre à limiter les libertés du Parlement.

Monsieur le ministre, pardonnez-moi, sauf erreur de ma part, j’ai cru vous entendre dire, dans votre volonté de démontrer, que, de toute façon, le Parlement se situait au-dessus de la justice et qu’il n’avait pas à se mettre en dessous en s’adressant à un juge.

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