Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons essayer de retrouver un peu de calme après ces quelques mots sur la théorie du « grand remplacement ».
Je me réjouis, tout d’abord, que la navette parlementaire ait suivi son cours – cahin-caha, comme l’a rappelé précédemment Mme la rapporteure – afin que ce texte puisse être adopté et entrer en vigueur dans les meilleurs délais.
Néanmoins, je déplore qu’une nouvelle fois la majorité sénatoriale ait déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur ce texte. Nous nous rappelons bien qu’ici même, il y a moins d’un an, le groupe Les Républicains du Sénat avait déjà refusé tout débat en séance sur la question pourtant fondamentale du droit à l’IVG.
En instaurant l’allongement du délai de recours à l’IVG de douze à quatorze semaines de grossesse, ce texte représente une réelle avancée pour le droit des femmes.
Chaque année, quelques milliers de femmes se retrouvent hors délai pour avorter. Parmi ces femmes, certaines sont forcées de poursuivre leur grossesse et celles qui en ont les ressources se rendent dans des pays étrangers où la législation autorise un avortement au-delà de douze semaines – comme le Royaume-Uni, l’Espagne ou les Pays-Bas. Elles sont environ 2 000 Françaises chaque année dans ce cas.
L’expression « délai légal dépassé » recouvre une multitude de réalités.
Certaines patientes ne se savaient pas enceintes et ont donc découvert leur grossesse tardivement. En effet, les trois quarts des femmes qui effectuent des interruptions de grossesse disposaient d’une contraception.
D’autres patientes savaient qu’elles étaient enceintes, mais n’ont pu être reçues en consultation dans les temps en raison de l’organisation du système de soins de leur lieu de résidence.
Il y en a enfin d’autres qui vivent des violences conjugales ou des carences affectives ou matérielles majeures, et que la poursuite de cette grossesse mal investie expose à de graves difficultés.
Comme les orateurs précédents l’ont rappelé, en décembre 2020, le CCNE, interrogé par le Gouvernement, a considéré qu’il n’existait « que peu, voire pas de différence de risque pour la femme avortant entre douze et quatorze semaines de grossesse » et n’a donc émis aucune objection éthique à l’allongement de ce délai.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutient l’initiative du rallongement du délai d’accès à l’IVG en France.
Par ailleurs, le texte prévoit de permettre aux sages-femmes de réaliser, comme les médecins, des IVG chirurgicales dans les hôpitaux et les cliniques après la dixième semaine. Il s’agit d’une reconnaissance du rôle majeur des sages-femmes.
Le texte vise également à pérenniser l’allongement du délai de recours à une IVG médicamenteuse en ville à sept semaines de grossesse ; à supprimer le délai de réflexion – pour le moins infantilisant, il faut le dire – de deux jours, imposé afin de confirmer une demande d’avortement ; à préciser que le pharmacien refusant la délivrance d’un contraceptif en urgence sera en méconnaissance de ses obligations professionnelles ; et à créer un répertoire recensant les professionnels et structures pratiquant l’IVG.
Cet ensemble de mesures représente une avancée importante.
Malheureusement, le texte présente, à son retour de l’Assemblée nationale, deux dispositions que nous ne pouvons accepter.
En effet, la mise en œuvre du tiers payant pour les IVG a été supprimée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
De plus, les députés ont rétabli la clause de conscience spécifique à l’IVG, qui n’apporte aucune liberté supplémentaire.
Ces dispositions, qui constituaient une solution de compromis pour Mme Veil en 1974, apparaissent comme une volonté de conserver un statut à part pour l’acte d’IVG. Cela induit l’idée que l’IVG n’est pas un droit et un acte de médecine comme les autres.
Comme l’a déjà évoqué à différentes reprises Mme la rapporteure Laurence Rossignol, nous devons mettre en place une politique nationale et proactive pour notre offre de soins en orthogénie et, plus largement, en matière de santé sexuelle et reproductive.
Il est en effet indispensable d’améliorer l’information dans les lycées et les collèges, et de lutter contre l’absence d’éducation à la vie sexuelle et affective. Plus d’un quart des établissements scolaires n’en dispensent pas, alors que c’est une obligation.
Il existe en outre de nombreuses inégalités.
Il s’agit d’abord d’inégalités territoriales. Entre 2007 et 2017, 70 centres ont fermé en France métropolitaine. Ainsi, 37 départements compteraient moins de 5 professionnels de santé libéraux pratiquant les IVG médicamenteuses. Ce manque de structures et les disparités qui existent entre les territoires restreignent de fait la liberté des femmes à recourir à la méthode d’IVG de leur choix.
À ces inégalités territoriales s’ajoutent celles qui sont liées au niveau de vie des femmes. En effet, à groupe d’âge et situation conjugale comparables, les femmes dont le niveau de vie se situe dans les 10 % les moins élevés ont une probabilité supérieure de 40 % de recourir à l’IVG par rapport à celles dont le niveau de vie est classé parmi les 10 % les plus élevés.
Un pilotage national est donc indispensable pour organiser l’effectivité du droit à l’IVG pour toutes les femmes de France.
Ce droit fondamental à l’avortement a été rappelé ce matin même par le Président Macron au niveau européen, lorsqu’il a proposé de l’inscrire dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Nous saluons cette volonté.
Cependant, comme nous avons pu le souligner en commission, l’allongement du délai d’accès à l’IVG ne constitue pas l’alpha et l’oméga de la réponse à cette question, mais il en est un élément majeur, aux côtés d’un meilleur maillage territorial et d’une démarche de réduction des inégalités.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra cette proposition de loi et, en conséquence, votera contre la motion tendant à opposer la question préalable.