Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à notre examen vise à « renforcer le droit à l’avortement ». Parmi les mesures envisagées figure notamment l’allongement du délai légal d’interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines.
Dès lors, je m’interroge : en quoi cet allongement de délai permet-il de renforcer le droit à l’avortement ?
La question se pose de la nature des freins qui conduisent des femmes à recourir tardivement à l’avortement, au-delà du délai de douze semaines autorisé par notre législation, et qui obligeraient même certaines d’entre elles à se rendre à l’étranger – démarche qui s’inscrirait dans la même logique que celle qui prévalait avant la loi Veil de 1975.
Notre législation serait-elle si rétrograde qu’elle ne permettrait pas de répondre aux attentes légitimes des femmes, et ce en dépit des différents textes adoptés pour améliorer les conditions d’exercice de ce droit ?
S’interroger sur les raisons de ces IVG tardives, qui justifieraient le passage de douze à quatorze semaines – c’est-à-dire de quatorze à seize semaines d’aménorrhée – me semble un préalable indispensable pour se positionner sur ces délicates questions.
Parmi les raisons invoquées figurent la défiance des femmes, notamment des plus jeunes, à l’égard des contraceptifs hormonaux, un déficit d’information sur les méthodes contraceptives, la précarité financière et sociale, un accès déséquilibré aux professionnels pratiquant les IVG en fonction des territoires, la crise sanitaire, des diagnostics tardifs de grossesse, ainsi que des changements notables dans la situation matérielle, sociale ou affective des patientes.
Il est à relever qu’en 1975, déjà, Simone Veil, dans son intervention à l’Assemblée nationale, faisait état des raisons sociales, économiques ou psychologiques des femmes ayant recours aux avortements clandestins.
En dépit de l’allongement du délai intervenu en 2001, les IVG tardives reposent sur les mêmes causes qu’en 1975. C’est là une vraie question, qui doit nous interpeller fortement.
Toutes ces motivations relèvent de conditions socioéconomiques défavorables et démontrent la nécessité d’adapter et de promouvoir des politiques publiques susceptibles d’apporter des réponses à ces problèmes, qui concernent évidemment l’IVG mais vont bien au-delà de ce seul sujet.
Un renforcement des moyens de l’hôpital visant à assurer l’égal accès à l’IVG sur le territoire est également un préalable à leur résolution, tout comme la garantie de l’accès à une information de qualité et à une contraception adaptée, que nous pourrions sans aucun doute développer sans obérer le recours choisi à l’IVG.
En revanche, allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines soulève de véritables questions spécifiques pour les femmes et pour les praticiens.
Vous me permettrez de reprendre les propos du professeur Israël Nisand, que l’on ne saurait suspecter d’être un anti-IVG, puisqu’il est à l’origine de l’allongement du délai de dix à douze semaines survenu en 2001. Pour lui – et je partage pleinement son point de vue –, plus une IVG est tardive, plus elle est dangereuse physiquement et psychologiquement pour la patiente.
Le col de l’utérus peut être dilaté davantage, induisant un risque de perforation et d’infection postopératoire, d’autant qu’il s’agit non plus d’une IVG médicamenteuse ni même d’une IVG instrumentale par aspiration, mais bien d’une IVG instrumentale chirurgicale.
Quant au fœtus, il mesure déjà douze centimètres, sa tête et ses membres sont ossifiés. Je vous épargnerai donc le détail de l’intervention. Sachez que cette opération est souvent insoutenable pour nombre de professionnels.
Dans ce contexte, le risque est réel de voir le nombre de médecins volontaires pour réaliser cet acte diminuer, les gestes étant difficiles et dangereux.
Nous nous trouverions ainsi dans une situation paradoxale. Alors que l’idée est d’apporter une réponse à un problème réel, le risque serait grand que l’allongement des délais, qui nécessiterait un nombre de praticiens accru, entraîne des délais supplémentaires en raison du refus de médecins de pratiquer de tels actes.
Quelles que soient les évolutions de la société, l’IVG demeure un acte d’une nature particulière.
C’est la raison pour laquelle à la liberté de la femme de disposer de son corps doit répondre la liberté du praticien d’invoquer la clause de conscience.
Le maintien de la clause de conscience spécifique se révèle au demeurant un moyen de protection des femmes, puisqu’en contrepartie le médecin ou la sage-femme concerné doit orienter la patiente vers un confrère. Cette disposition ne pose donc pas de problème, me semble-t-il.
À la lueur des arguments invoqués, vous aurez compris, mes chers collègues, que le groupe Les Républicains votera en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable.
Cette proposition de loi est sans doute un bon coup politique, madame la ministre, mais c’est un mauvais coup pour les femmes. Entre l’humain et le coup politique, sans une once d’hésitation, je défendrai l’humain !