Intervention de Annie David

Réunion du 27 novembre 2008 à 9h45
Revenus du travail — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Annie DavidAnnie David :

Oui, madame le rapporteur, parce que le Gouvernement et sa majorité entendent ainsi faire varier la rémunération de l’ensemble des salariés de manière individualisée. Et les critères sur lesquels est assise cette rémunération sont profondément discriminants, car, après tout, comme ce fut le cas avec l’instauration de la prime exceptionnelle de 1 000 euros, l’employeur n’est pas tenu de l’accorder uniformément.

Face au principe simple et égalitaire de la rémunération collective, vous promouvez des règles toujours plus individuelles, espérant trouver là les outils nécessaires à la déconstruction d’une solidarité salariale.

Avec cette méthode, comme avec la suppression des horaires collectifs du travail, vous répondez, encore une fois, à une commande patronale : l’individualisation des relations entre employés et employeurs, afin, notamment, de réduire le poids des premiers dans leur rapport de force avec les seconds.

Ces mécanismes sont, en outre, dépourvus d’intérêt pour les salariés parce que ces primes permettent aux employeurs de contourner leur exigence légitime de voir croître leurs salaires, au motif que la compétitivité française – en fait, avant, les résultats des entreprises – rend l’augmentation collective des salaires impossible.

Pourtant, certaines et certains voient croître considérablement leurs rémunérations. Ainsi, selon une enquête publiée par le magazine Capital dans le courant du mois d’octobre 2008, la rémunération moyenne mensuelle des dirigeantes et dirigeants industriels de notre pays serait de 383 000 euros, soit plus de 310 SMIC. Toujours selon cette étude, les rémunérations des employeurs ont connu une hausse moyenne de plus de 20 %.

À cet égard, le deuxième patron le mieux payé de notre pays est un cas d’école : sa rémunération a bondi, entre 2007 et 2008, de 32 %, alors même que le profit de sa société n’augmentait que de 8 %.

Pour M. Pierre-Henri Leroy, président et fondateur de Proxinvest, société privée de conseils en direction des investisseurs, « ces rémunérations ne sont pas choquantes », et, toujours selon lui, « la hausse des profits des sociétés en 2007 légitime cette progression modérée ». À ses yeux, une hausse de 20 % est donc une hausse modérée ! À ce compte, les salariés de notre pays sauraient se satisfaire d’une « augmentation modérée » de leurs salaires, tout comme les salariés privés d’emploi sauraient se contenter d’une « augmentation modérée » de leurs indemnités et les retraités, de leur pension.

J’en viens à la disposition, introduite en cours de débat parlementaire, tendant à conditionner l’octroi d’actions à titre gratuit aux employeurs à des mécanismes d’intéressement ou de participation, voire à la distribution de stock-options à l’ensemble des salariés. Dans le contexte de crise que nous traversons, c’est une véritable provocation !

Tout d’abord, vous généralisez la règle de l’actionnariat salarié, sans l’encadrer par des mesures de protection des salariés. Vous faites ainsi de chaque salarié détenteur d’actions le responsable de son propre licenciement.

Nous le voyons bien, la recherche effrénée du profit pour ne servir que quelques bénéficiaires, c'est-à-dire les actionnaires majoritaires, ceux qui sont notamment présents dans les conseils de surveillance, conduit à la compression des salaires et à la réduction des coûts, dont les salariés sont toujours les victimes. Or la détention d’actions de leurs entreprises ne les protégera aucunement des licenciements boursiers.

De plus, quelle serait la situation des salariés de notre pays si, comme vous entendez le faire ici, une partie de leurs rémunérations était assise sur les placements boursiers ? Pour répondre à cette question, il suffit, me semble-t-il, de regarder les effets de la crise boursière, notamment l’effondrement des actions. Aux États-Unis, les retraités qui ont été contraints de placer une partie de leurs pensions sur des fonds spéculatifs en actions, le regrettent amèrement. Et pourtant, au cœur de la crise, vous entendez transposer cette mesure catastrophique à nos salariés, en généralisant la distribution d’actions gratuites.

De plus, je ne vois pas en quoi l’obligation d’adhésion des salariés à un PERCO est de nature à augmenter leur pouvoir d’achat. En revanche, vous pouvez en être sûrs, différents fonds de placement y trouveront leur compte ! Et je parle bien d’« obligation d’adhésion », car le mécanisme habituel et logique, qui consiste à offrir la possibilité d’adhérer, est inversé : le salarié est présumé vouloir adhérer à ces mécanismes de retraite par capitalisation. Tout est fait pour mêler plus encore, dans la tête de nos concitoyennes et de nos concitoyens, retraite par répartition, assise sur la solidarité nationale, et retraite par capitalisation, assise sur la capacité d’épargne de chacun et sur la spéculation.

Par ailleurs, une telle modification, opérée très discrètement par le Sénat, ouvre une brèche dans le droit en vigueur : la question du PERCO ne doit pas être retirée du champ global des négociations collectives, qui portent sur les questions salariales, l’épargne salariale, l’intéressement et, donc, le PERCO. Or les partenaires sociaux n’ont pas été consultés sur ce point.

En outre, votre proposition visant à autoriser le déblocage permanent de l’épargne salariale prouve l’inefficacité du texte. Nicolas Sarkozy y avait déjà eu recours lorsqu’il était ministre d’État, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Plus récemment, le Gouvernement nous l’a resservie au travers de la loi du 8 février 2008 pour le pouvoir d’achat, avec le succès que l’on sait !

Mais vous ne convaincrez personne, surtout pas les salariés, en leur assurant qu’en piochant dans leur épargne ils gagneront durablement du pouvoir d’achat.

Par ailleurs, pour Ephraïm Marquer, membre du comité de direction de l’Association française de la gestion financière, la crise financière pourrait peser sur l’épargne salariale et conduire, en cas de déblocage, à des moins-values. Toujours selon lui, « l’évolution de l’encours d’épargne salariale montre que le phénomène ne devrait pas être rare. Le 30 juin 2007, on fêtait les quarante ans de la participation sur un record historique de l’épargne salariale, lequel affichait, au total, près de 94 milliards d’euros détenus par près de 11 millions de porteurs. À la fin décembre, la valeur de cet encours aurait perdu 9 milliards d’euros. » Et il ne s’agissait là que d’une estimation, alors que nous n’étions encore pas au cœur de la crise actuelle. M. Marquer considérait pourtant, à l’époque, que « les systèmes d’épargne salariale ne sont pas des systèmes sur lesquels il faut faire des interventions conjoncturelles pour régler des questions de pouvoir d’achat ».

Il est bien dommage, monsieur le secrétaire d'État, que vous ne l’ayez pas alors entendu !

Enfin, je m’étonne de l’adoption, par la commission mixte paritaire, d’un amendement déposé par un député. Lorsque nous vous proposions de rendre obligatoire la tenue de réelles négociations sur les conditions salariales, vous nous répondiez qu’il était impossible, pour le Gouvernement, de s’immiscer dans la relation contractuelle liant l’employeur au salarié. Comme si l’augmentation générale des salaires obtenue en mai 1968 n’avait pas résulté de l’implication directe de l’État, sous la pression des organisations syndicales et des manifestants ! Pourtant, la commission mixte paritaire a décidé de créer le Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié, présidé par le Premier ministre, qui sera chargé de promouvoir l’intéressement et la participation auprès des employeurs et, sans doute, des salariés.

Dès lors qu’il s’agit de favoriser votre conception de la rémunération, l’immersion dans une relation privée, contractuelle, ne vous effraie plus. Je vois là une contradiction de plus ; c’est bien regrettable !

Ce projet de loi ne sera donc pas bénéfique pour les salariés. En revanche, il s’avérera utile au patronat, qui se voit offrir un nouvel outil de pression pour maintenir les bas salaires, en privilégiant les primes, et qui profitera en outre – comme si les quelque 42 milliards d’exonérations sociales ne suffisaient pas ! – d’un nouveau crédit d’impôt, bref, d’une nouvelle exonération fiscale.

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