Intervention de Toine Bourrat

Réunion du 27 janvier 2022 à 10h30
Combat contre le harcèlement scolaire — Discussion générale

Photo de Toine BourratToine Bourrat :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, devant l’urgence, devant les drames qui blessent l’enfance, devant la tragédie de jeunesses fracturées, je voudrais croire que nous partageons tous ici la conviction suivante : il est absolument nécessaire d’agir pour mettre un terme à l’impéritie collective qui depuis trop longtemps nous empêche d’instaurer des mesures concrètes, efficaces et cohérentes de lutte contre le fléau du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement.

Je voudrais croire que nous partageons tous ici une même vision de l’école délestée de la violence, redevenue ce sanctuaire du savoir, cet espace préservé où se forge la future vie d’adulte.

Nos enfants sont des êtres sociaux en construction, trop faibles pour lutter dans une école dont ils ne peuvent s’extraire. Madame la ministre, mes chers collègues, réveillons-nous ! Ne commettons pas les mêmes erreurs que celles qui ont été faites envers les femmes harcelées ou victimes de violences ! Sortons du silence, des non-dits, et passons enfin à l’action, une véritable action !

On ne le martèlera jamais assez : chaque année, le harcèlement scolaire fait près d’un million de victimes, soit deux à trois enfants par classe en moyenne !

Ce phénomène concerne aussi les jeunes enfants : plus d’un élève sur dix, scolarisé en CE2, CM1 ou CM2, est victime de ce fléau qui cause près d’un quart de l’absentéisme recensé dans les établissements du premier degré. Depuis mon arrivée au Sénat, je n’avais sans doute jamais éprouvé avec une telle intensité la dimension tragique du mandat de législateur.

Mais nous ne sommes pas là pour constater : nous ne siégeons pas pour déplorer – encore moins pour décrire – une réalité que chaque famille, chaque foyer, chaque établissement connaît de près ou de loin. Et ce texte est l’occasion d’un sursaut. Il n’annonce pas d’un grand soir, mais apporte des réponses précises à des maux très concrets ; il ne s’agit pas de postures, mais de solutions utiles.

Je vous proposerai donc d’adopter des amendements visant à garantir aux chefs d’établissement la stabilité statutaire des assistants d’éducation qu’ils recrutent, c’est-à-dire à renforcer ceux qui protègent nos enfants, ainsi qu’à adapter le règlement intérieur à l’évolution du mal que nous combattons pour y faire figurer le droit à une scolarité sans cyberharcèlement, mais aussi les risques et sanctions encourus lorsqu’un élève harcèle un pair par voie numérique. Ce règlement, mes chers collègues, est en quelque sorte le code civil de nos établissements.

Ne nous y trompons pas, néanmoins : nous devrons aller plus loin pour créer un « choc des responsabilités ».

Il est deux acteurs jusqu’à présent trop oubliés dans le traitement de ce fléau sociétal.

Les parents, tout d’abord, sont les premiers garants du bon usage des outils numériques qu’ils mettent entre les mains de leurs enfants. Il leur appartient de les accompagner dans cet usage et d’en définir les règles, heures de déconnexion, durée d’utilisation, présence du téléphone dans la chambre la nuit.

Il est du devoir des institutions de rappeler cette responsabilité aux parents via la création d’un document opposable en cas de conseil de discipline – je pense par exemple à une charte d’engagement civique obligatoirement cosignée par les parents et par les enfants à chaque rentrée scolaire. Une telle avancée matérialiserait la responsabilité parentale, trop souvent éludée, et rendrait tangible le devoir de respect entre pairs, condition de la vie citoyenne.

Les plateformes, ensuite ; c’est bien sûr à l’échelon européen qu’elles doivent être rappelées à leurs obligations civiques, morales et sociétales. Comment comprendre en effet que les réseaux sociaux, sur lesquels naviguent et souvent se noient nos enfants, ne se voient imposer aucune responsabilité sociétale dès lors qu’un jeune est victime de leurs travers ?

Cela se pourra en harmonisant le droit communautaire, comme le prévoit le Digital Services Act, qu’il revient au Gouvernement de faire aboutir, madame la ministre, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, en l’affermissant de surcroît dans le sens que proposait devant nous la lanceuse d’alerte Frances Haugen.

Aujourd’hui, nous avons la possibilité d’agir sur ce texte ; nous en avons aussi l’ardent devoir. La politique n’est pas l’affaire de coups d’éclat, mais au contraire de petits pas, de jalons sûrs et progressifs. Saisissons-nous de cette occasion, non pour grossir encore la panoplie des lois inexécutées, mais pour forger enfin les outils qui nous manquent !

C’est dans cet esprit – je crois pouvoir le dire, en leur présence – que nos rapporteurs ont travaillé à ce que l’amélioration collective et tangible voulue par les auteurs de ce texte ne soit pas un vain mot. Merci, mes chers collègues, d’avoir prouvé que la constance ne modère en rien l’ouverture aux tierces propositions. Si le Parlement échouait à protéger l’avenir de la Nation qu’elle représente, que pourrions-nous dire à cette jeunesse en construction ? Comment justifierions-nous notre inaction là où est en jeu l’éclosion de sa conscience civique ?

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