Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain renouvelle son opposition à ce projet de loi, en particulier à son article 1er, dont l’adoption aurait pour effet d’entériner la création d’un tiers-statut pour les travailleurs des plateformes, alors même que le risque d’expansion du phénomène d’ubérisation pèse sur un nombre croissant de secteurs d’activité.
L’idée d’un tiers-statut recule dans la plupart des pays européens, à la suite de la multiplication des décisions de justice reconnaissant le lien de subordination des travailleurs de ces plateformes, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne, en Allemagne ou encore, récemment, aux Pays-Bas.
Dans son rapport, Jean-Yves Frouin a également clairement écarté ce statut dès décembre 2020, en proposant de salarier les travailleurs des plateformes via le portage salarial ou une coopérative d’activité et d’emploi.
C’est cette seconde option que nous préconisons depuis plusieurs années, afin de sécuriser la relation juridique des travailleurs tout en leur apportant de l’autonomie – ils y sont attachés – dans l’exercice de leur activité et en développant un modèle de plateforme numérique plus vertueux, s’inscrivant dans l’économie sociale et solidaire.
La proposition de loi de notre groupe visant à lutter contre l’indépendance fictive, portée par Olivier Jacquin et dont je fus le rapporteur, prévoyait en outre des mesures adaptées et efficaces.
Elle prévoyait, premièrement, la création d’une action de groupe au profit des travailleurs de plateformes, qui permettrait de les requalifier en tant que salariés ; deuxièmement, l’instauration d’une présomption de salariat dès lors que la majeure partie du revenu est issue de l’exploitation d’un algorithme, la charge de la preuve se trouvant ainsi inversée ; troisièmement, la capacité pour les conseils de prud’hommes de se prononcer sur les demandes de requalification et d’exiger la production des algorithmes utilisés.
Je rappelle que ces solutions sont déjà mises en œuvre dans d’autres pays européens, notamment en Espagne, et qu’elles sont préconisées par le Parlement européen, ainsi que par la Commission européenne dans la proposition de directive qu’elle a présentée le 9 décembre dernier.
Cette proposition vise à garantir la bonne détermination du statut professionnel des travailleurs de plateformes par le biais d’une présomption de salariat, pour laquelle elle fixe des critères d’appréciation. Elle inverse à son tour la charge de la preuve : il reviendra à la plateforme qui contesterait le statut de salarié de prouver qu’il n’existe pas de relation de salariat.
La Commission européenne fait ainsi clairement le choix du salariat, conformément au positionnement du Parlement européen et aux revendications des syndicats, et rejette le tiers-statut.
Elle propose en outre de renforcer la transparence dans l’utilisation des algorithmes par les plateformes de travail numériques et de créer le droit pour les travailleurs de contester des décisions automatisées.
Ce projet de directive va donc dans le sens que nous défendons et non dans la direction retenue dans le présent projet de loi.
Enfin, nous sommes opposés à l’article 2 du projet de loi, qui habilite le Gouvernement à compléter par voie d’ordonnance les règles organisant le dialogue social entre les travailleurs et les plateformes à l’échelon sectoriel.
Cet article intègre une partie des dispositions de l’article 3, qui a été supprimé, en prévoyant que l’ordonnance définira les thèmes et la périodicité de la négociation obligatoire.
Parmi ces thèmes figurent les modalités de détermination des revenus des travailleurs. Le Conseil d’État estime à cet égard que ce sera d’application incertaine, l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne permettant pas à des indépendants de dialoguer entre eux concernant leur rémunération. La question de la constitutionnalité de cette disposition peut donc être posée.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre les conclusions de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi et rappelle qu’il est urgent d’améliorer la protection de ces travailleurs précaires, qui sont malheureusement de plus en plus nombreux dans notre pays.