Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver ce soir pour cette nouvelle étape de la navette parlementaire de la proposition de loi visant à réformer l’adoption.
Le temps des regrets quant à l’échec de la commission mixte paritaire à un article près est passé. Il importe maintenant par-dessus tout de poursuivre le débat dans les meilleures conditions possible, de continuer à discuter des enjeux du texte, si possible de l’enrichir encore, et de nous projeter vers son adoption définitive et sa mise en œuvre, tant elle est attendue par de nombreuses familles, de nombreux professionnels et tant elle profitera à de nombreux enfants.
Les enfants à qui le texte profitera sont, bien entendu, ceux qui, malgré les améliorations successives de notre système d’adoption, sont encore trop nombreux à ne pas bénéficier du projet de vie qui, pourtant, pourrait répondre à leurs besoins et à leurs attentes.
Ce n’est en effet pas faire insulte à notre politique d’adoption, faite de nombreux contrôles et de vérifications nécessaires, que de dire qu’elle suscite des espoirs parfois déçus. C’est un système avec ses forces, ses succès, mais qui ne remplit pas encore entièrement les quatre objectifs fondamentaux sur lesquels nous devrions tous nous rejoindre. Je les rappelle.
Le premier objectif est de rendre davantage d’enfants adoptables dans notre pays.
On constate en effet aujourd’hui un manque de dispositions claires permettant de donner une famille à chaque enfant qui n’en aurait pas ou dont la famille ne serait plus en mesure de s’occuper de lui. Ce manque constitue une terrible rupture d’égalité, dont les conséquences peuvent être lourdes sur le développement personnel, affectif, psychologique de l’enfant.
C’est la force de ce texte que de rendre possible l’adoption de davantage d’enfants pour lesquels celle-ci représente un horizon souhaitable. C’est bien l’objet de l’article 4 : permettre à des enfants qui étaient privés jusqu’à présent d’une telle possibilité d’être adoptés de manière plénière après 15 ans par leurs beaux-parents, lorsqu’ils sont pupilles de l’État ou lorsqu’ils ont été judiciairement déclarés délaissés et sont donc dans des parcours de fragilité qui n’étaient pas suffisamment pris en compte.
J’insiste sur cette troisième possibilité, car elle vient évidemment compléter la loi de 2016 relative à la protection de l’enfant, qui a institué la procédure de délaissement. Celle-ci s’installe dans la pratique – je vous ai fait part des chiffres en première lecture – et permet de plus en plus de mettre fin au bon moment aux relations toxiques qui existent parfois – nous le savons – entre un enfant et ses parents. Il sera donc possible demain pour ces enfants, y compris au-delà de 15 ans, de s’inscrire dans des parcours beaucoup plus adaptés à leurs attentes et à leurs besoins. C’est là une grande avancée.
Je souligne également la force de l’article 8, qui permet au tribunal de prononcer l’adoption, si elle est conforme à l’intérêt de l’adopté, d’un mineur âgé de plus de 13 ans ou d’un majeur protégé hors d’état d’y consentir personnellement, après avoir recueilli l’avis d’un administrateur ad hoc ou de la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne. C’est une mesure juste, simple, claire, sécurisante.
Le deuxième objectif sur lequel nous devrions nous rejoindre est de corriger un certain nombre d’incohérences ou de défaillances en matière d’adoption et, ce faisant, de sécuriser encore et toujours les parcours des enfants.
Cela passe avant tout par des règles claires, du type de celles que l’on retrouvera demain, grâce à ce texte. Celles-ci concernent d’abord les agréments, avec des conditions de candidature, de formation et d’accompagnement des futurs adoptants plus étoffées. Elles concernent ensuite la prohibition de l’adoption entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs, afin d’éviter le brouillage des lignes générationnelles. Elles concernent enfin le consentement des uns et des autres ; nous aurons, je le crois, l’occasion d’en débattre tout à l’heure.
Je pense tout d’abord au consentement des enfants, avec une prise en compte accrue de leur parole, par exemple en ce qui concerne le changement de nom. Je songe évidemment aussi au consentement des parents biologiques. J’ai bien noté que des inquiétudes s’exprimaient ici et à l’Assemblée nationale sur l’article 13 ; il convient évidemment de les dissiper pour ne pas laisser s’installer de malentendus ou prospérer de fausses informations.
C’est à cet effet que, par cohérence, le Gouvernement a déposé un amendement à l’article 13. Cela me donnera l’occasion d’entrer une nouvelle fois dans le détail de la mesure envisagée, qui doit être perçue non pas comme une quelconque remise en question des uns ou des autres, notamment des parents biologiques, mais bien plutôt comme une sécurisation des parcours.
Le troisième objectif est de faire évoluer les pratiques – la loi peut y contribuer –, pour garantir à la fois la sécurité et l’égal traitement des enfants.
Cela implique de faire la lumière sur un certain nombre de pratiques ne répondant pas aux standards de sécurité et de qualité élevés qui doivent être ceux d’un pays comme le nôtre en matière de protection de l’enfance.
Il en est ainsi de l’activité des organismes autorisés pour l’adoption (OAA). Je me permets de récuser une nouvelle fois le jugement peut-être un peu hâtif selon lequel l’encadrement de cette activité serait une condamnation ou une critique.
La grande majorité des OAA mènent un travail sérieux, salué par les acteurs du secteur de l’adoption. La majorité présidentielle a d’ailleurs tenu à le pérenniser en l’inscrivant dans la loi. C’est vrai à l’échelon national, via l’accompagnement que les OAA proposent aux départements – ce sera renforcé par ce texte, mais à sa juste place –, comme à l’international, en matière d’intermédiation des adoptions.
La France a développé un système, celui de l’aide sociale à l’enfance, dont l’existence même signale la préoccupation collective de garantir une intervention, un regard, une garantie publique de la sécurité des enfants. Ce système répond à un nombre de réglementations suffisant pour garantir la sécurité des enfants, même s’il faut toujours l’améliorer. Encore une fois, c’est ce que propose ce texte.
Il faut que toutes les démarches d’adoption, donc tous les enfants, puissent bénéficier des mêmes conditions de sécurité. Aucune situation ne peut justifier que certains enfants bénéficient du statut de pupille de l’État quand d’autres en seraient privés, quelles qu’en soient les raisons. Le statut de pupille de l’État est le plus protecteur pour les enfants.
L’autre part d’ombre sur laquelle j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer ici a trait aux adoptions internationales illégales. Je connais la préoccupation d’un certain nombre d’entre vous sur cette question.
J’ai annoncé que le Gouvernement lancerait des travaux afin de faire œuvre de transparence, de clarté et d’objectivité sur ces histoires, qui concernent un nombre important de nos concitoyens. Certains d’entre eux ont récemment pris la parole dans les médias ou sont venus me voir.
Les enjeux sont nombreux et le dialogue se poursuit en la matière entre les administrations concernées, c’est-à-dire mes services, mais également le ministère des affaires étrangères et le ministère de la justice.
Je souhaite que la démarche retenue puisse être clarifiée dans les prochaines semaines et que les travaux débutent avant la fin de ce mandat. Tel sera le cas.
Le dernier objectif tient à l’importance du combat collectif que nous devons mener pour faire progresser les droits des familles, de toutes les familles, pour reconnaître leur diversité et pour répondre à leurs attentes.
En ouvrant enfin l’adoption aux couples non mariés, ce texte est cohérent avec l’évolution de la société. Il reconnaît les attentes de nouveaux modèles familiaux tout aussi légitimes, portant tout autant de promesses que les autres. Il était temps, même si cela gênera peut-être un certain nombre d’acteurs opposés à plus d’inclusion dans notre société.
En assurant la cohérence avec la loi relative à la bioéthique, le texte apporte une solution adaptée aux difficultés rencontrées par certaines femmes ayant eu recours, avec l’entrée en vigueur de cette loi, à l’assistance médicale à la procréation (AMP) à l’étranger. Il le faut : c’est dans l’intérêt de l’enfant.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne puis que regretter le choix fait de nouveau par votre commission des lois de supprimer l’article 9 bis. En cohérence avec la position que nous avons défendue depuis le début, je vous proposerai de le rétablir.
Enfin, en renforçant la diversité des conseils de famille et en réaffirmant un certain nombre de principes déontologiques, le texte garantit une meilleure prise en compte de la spécificité des multiples modèles familiaux qui font la richesse de notre société. C’est indispensable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à de très nombreux titres, les mesures du texte permettent d’ancrer fermement et définitivement l’adoption dans la protection de l’enfance et dans une modernité soucieuse du bien-être de tous les membres de notre société, en particulier des plus jeunes et des plus fragiles. Toutes ces dispositions sont pensées pour le seul bénéfice d’enfants pour qui l’adoption est un horizon synonyme d’épanouissement et de familles, pour qui celle-ci représente un horizon lumineux. De nombreux enfants l’attendent encore. De nombreuses familles sont prêtes à le faire. À nous de leur en donner enfin la possibilité.