Par ce texte, la France leur renouvelle sa gratitude ; car l’histoire des harkis est avant tout une histoire de soldats, d’hommes et de femmes servant sous le drapeau français.
L’histoire des harkis, c’est aussi celle d’une tragédie : celle de femmes, d’hommes et d’enfants abandonnés sur leur terre natale ; celle de femmes, d’hommes et d’enfants rapatriés en métropole, déracinés et, pour certains, relégués. Pour toutes et tous, le 19 mars 1962, les accords d’Évian et l’application du cessez-le-feu ont été un tournant.
Nous le savons : la vérité est cruelle. La France a tergiversé pour ouvrir ses portes aux harkis et à leurs familles. Pour ceux qui parvinrent à atteindre les rives du sud de la France, ce fut le début du déchirement et d’un douloureux exil, d’un temps d’incompréhension et d’incertitude. Ils attendaient l’hospitalité et la fraternité : ils ont souvent trouvé l’hostilité, voire l’arbitraire. Pour beaucoup, l’arrivée sur le sol métropolitain marqua le début des meurtrissures et de la marginalisation.
Environ 90 000 harkis, avec leurs proches, leurs enfants, ainsi qu’un certain nombre de veuves, sont arrivés en France après le 19 mars 1962. Près de la moitié d’entre eux a été reléguée, parfois durant des années, dans des camps et des hameaux de forestage. Vous le savez : ils y ont vécu dans des conditions de vie indignes.
C’était en France ; c’était hier. Dans ces lieux, les harkis et leurs familles ont connu l’arbitraire, les barbelés, l’enfermement, le froid, les carences alimentaires, la promiscuité et l’absence d’intimité. Ils ont subi les brimades, les humiliations, les abus et les détournements de prestations ; autant de maux, autant de traumatismes.
Je le rappelle, plusieurs milliers d’enfants ont été déscolarisés, mal accueillis et mal instruits. La France n’a pas été au rendez-vous de la plus belle des promesses républicaines, celle de l’école et de l’instruction.
Ces lieux de bannissement ont meurtri, traumatisé et, parfois, tué. Cette situation, qui a duré, a été à juste titre ressentie et vécue comme une trahison.
Conscient de ces souffrances et de leurs conséquences, notre pays, depuis plusieurs décennies et sous plusieurs gouvernements, a été aux côtés des harkis sur la voie de la justice et de la réparation. À cette fin, l’État a mis en place des dispositifs spécifiques. Il continue à les actualiser et poursuit le travail de mémoire.
Toutes ces actions de mémoire, toutes ces mesures de réparation, nous les avons intensifiées depuis 2017.
Conformément aux conclusions du rapport Ceaux, nous avons créé un dispositif de soutien pour la deuxième génération, pour les enfants de harkis ayant vécu dans les camps et hameaux de forestage. Nous aidons un nombre sans cesse croissant d’enfants de harkis à faire face à des dépenses d’insertion, de santé ou de logement.
Pour les harkis combattants, nous avons mis en œuvre, ces dernières années, la plus forte augmentation jamais décidée des allocations de reconnaissance et des allocations viagères. Le 1er janvier dernier, nous avons encore franchi une nouvelle étape avec le doublement de ces allocations, qui sont passées de 4 200 euros à près de 8 400 euros annuels par combattant ou par veuve. C’est un message clair ; c’est la preuve tangible de la reconnaissance de la Nation envers ces combattants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, par ce projet de loi, la République renouvelle la reconnaissance de ses manquements et couronne l’édifice de réparation.
L’article 1er réaffirme la gratitude de la Nation à l’égard de tous les combattants qui ont servi la France entre 1954 et 1962. De plus, pour la première fois, la nation française reconnaît sa responsabilité dans les conditions indignes, précaires et attentatoires aux libertés pour l’accueil sur notre territoire de certains harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives, accompagnés de leurs familles.
Nous ancrons dans la loi la journée nationale du 25 septembre et nous l’enrichissons d’un hommage aux compatriotes, aux officiers, aux particuliers et aux maires qui ont accompagné des harkis dans leur nouvelle vie sur les plans moral et matériel, pour les accueillir et les aider à s’intégrer. Ces femmes et ces hommes ont fait honneur à la France. Je me réjouis que nous trouvions les moyens de leur témoigner l’estime et la reconnaissance de la Nation.
Ensuite, ce projet de loi précise le périmètre de la réparation des préjudices subis. Sont éligibles au dispositif les harkis et leurs familles ayant séjourné dans des lieux, principalement des camps et hameaux de forestage, qui, du fait de la précarité, de l’enfermement, de la privation de liberté et de l’isolement, contrevenaient à nos principes républicains fondamentaux.
La réparation prend la forme d’une indemnisation forfaitaire et individualisée selon la durée du séjour dans les structures concernées. Les mesures de réparation accordées bénéficieront de règles d’exonération fiscale.
Le texte instaure une commission nationale de reconnaissance et de réparation. Cette instance sera chargée de statuer sur les demandes de réparation après instruction par les services de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Parce que le travail de mémoire est essentiel, la commission mènera également une mission mémorielle pour recueillir, conserver et transmettre la mémoire des harkis.
Enfin, ce projet de loi actualise les dispositifs préexistants et les renforce pour davantage d’équité. Il rend plus favorable le régime d’allocations viagères en supprimant les forclusions. Une telle disposition permet de rouvrir l’octroi de cette allocation aux conjoints survivants qui n’avaient pas présenté de demande dans le délai légal.
Parallèlement, l’accès à l’allocation viagère est étendu aux personnes dont les conjoints décédés ont fixé leur domicile dans un pays de l’Union européenne et par la loi aux veuves des personnes « assimilées » aux membres des formations supplétives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il n’est pas de meilleure reconnaissance que la connaissance. La transmission est donc essentielle et même prioritaire.
L’histoire des harkis est trop méconnue des Français. Nous devons la faire connaître et favoriser son enseignement ; nous devons renforcer le travail mémoriel.
Le souvenir des harkis est désormais rappelé sur les sites où ils ont vécu. Nous avons œuvré pour reconnaître les mémoires les plus douloureuses ; je pense particulièrement au travail accompli autour des cimetières. La maison d’histoire et de mémoire d’Ongles, seul lieu de mémoire uniquement dédié à l’histoire des harkis, est soutenue par le ministère des armées.
De même, un important travail d’archives et de collecte des témoignages a été déployé. Les expositions réalisées par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre sont à la disposition de tous. Elles sont au cœur des actions menées dans les établissements scolaires. Bien sûr, les recueils mémoriels de la commission seront déterminants pour amplifier la transmission.
Je connais l’attachement de la Haute Assemblée au monde combattant et son intérêt fort pour les enjeux de transmission, de reconnaissance et de réparation. Ainsi, ce projet de loi vous offre toute latitude pour renouveler l’hommage aux harkis, acter la reconnaissance de l’accueil indigne, ouvrir un nouveau chemin de la réparation et déterminer les conditions y ouvrant droit. Nous sommes ensemble sur ce chemin.