On ne peut le nier : depuis lors, de nombreuses mesures d’aide, de reconnaissance et d’indemnisation ont été déployées pour les anciens supplétifs et leurs ayants droit. Aides sociales à la réinstallation, indemnisation des biens perdus en Algérie, mesures de désendettement, aides au logement, possibilité de rachat de trimestres de retraite pour les enfants ayant séjourné dans les camps, emplois réservés dans l’administration : tous ces dispositifs ont bénéficié à des milliers d’anciens harkis et à leurs familles, en complément de l’aide sociale de droit commun.
En parallèle, le devoir de reconnaissance et de mémoire envers les harkis s’est traduit depuis 2001 dans la parole présidentielle. Les Présidents Chirac, Sarkozy et Hollande ont successivement rendu hommage à l’engagement des harkis et reconnu que la République les avait abandonnés. Le 20 septembre dernier, le Président Macron a réaffirmé cette reconnaissance envers les harkis, en leur présentant, au nom de la Nation, une demande de pardon et en annonçant des mesures de reconnaissance et de réparation qui trouvent leur traduction dans le projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
La reconnaissance de la Nation, exprimée à l’article 1er, recouvre deux aspects.
D’une part, cet article réaffirme la reconnaissance de la Nation envers l’ensemble des supplétifs qui ont servi la France en Algérie et qu’elle a abandonnés. Cette reconnaissance avait déjà été exprimée par la loi en 1994 et en 2005. Elle est complétée à l’article 1er bis par l’inscription dans la loi de la journée nationale d’hommage aux harkis, fixée au 25 septembre.
D’autre part, l’article 1er reconnaît la responsabilité de l’État du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire qui ont été réservées aux anciens supplétifs et à leurs familles hébergés dans des structures fermées où ils ont subi des conditions de vie précaires et des atteintes aux libertés individuelles, à savoir les camps de transit et les hameaux de forestage.
Tirant la conséquence de cette responsabilité de l’État, l’article 2 institue un mécanisme de réparation financière en faveur des rapatriés ayant transité par un camp ou un hameau entre la publication des accords d’Évian, le 20 mars 1962, et la fin de l’année de la fermeture administrative des camps et des hameaux, le 31 décembre 1975. Pourront bénéficier de cette réparation les anciens supplétifs et les membres de leurs familles ayant séjourné dans l’une de ces structures entre 1962 et 1975. Seule la preuve du séjour sera à apporter par les demandeurs, le préjudice qu’ils ont subi dans ces structures étant présumé.
Une somme forfaitaire, versée selon un barème fixé par décret, tiendra lieu de réparation. Le montant maximal devrait ainsi s’élever à 15 000 euros pour un séjour de 1962 à 1975, soit la somme au paiement de laquelle l’État a été condamné par le Conseil d’État en 2018 pour un séjour d’une durée comparable.
La liste des structures concernées, fixée par décret, devrait être identique à celle des camps et hameaux retenus dans le cadre du fonds de solidarité envers les enfants de harkis créé à la fin de l’année 2018. La commission a précisé à l’article 1er qu’étaient concernées des structures de toute nature, afin que certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour rapatriés puissent également être comprises dans la liste des structures retenues.
Le champ de la réparation prévue par le texte n’inclut pas les 40 000 rapatriés d’origine algérienne n’ayant pas séjourné dans ces structures, mais dans des cités urbaines, où les conditions de vie étaient également précaires, mais moins attentatoires aux libertés et droits fondamentaux. En effet, ces cités n’étaient pas soumises à un régime administratif dérogatoire du droit commun, contrairement aux structures fermées. On ne peut donc pas imputer à l’État la même responsabilité que celle qui est reconnue pour son administration des camps. Une telle extension créerait en outre une rupture d’égalité envers les autres personnes ayant séjourné dans ces cités au cours de la même période.
Pour autant, une part importante des rapatriés ayant séjourné dans ces cités y ont été orientés après un passage en camp et pourront, à ce titre, bénéficier du droit à réparation.
Les demandes de réparation seront soumises à une commission de reconnaissance et de réparation, créée par l’article 3, qui aura également la charge de recueillir et de transmettre la mémoire des harkis. L’histoire de ces citoyens français, la tragédie qu’ils ont vécue, la souffrance de leurs enfants et la douleur de leurs petits-enfants doivent être connues de tous.
S’appuyant sur les services de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre pour l’instruction des dossiers, cette commission aura un rôle majeur, ce qui explique aussi la méfiance, voire les suspicions, qu’elle suscite. Sa création montre également que rien n’est figé. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales a souhaité renforcer les garanties de son indépendance.
Enfin, l’article 7, très attendu par la population harkie, lève plusieurs délais de forclusion applicables à l’allocation viagère, servie depuis 2016 aux conjoints et ex-conjoints survivants d’anciens supplétifs ayant fixé leur domicile en France. La commission vous proposera, en accord avec le Gouvernement, d’étendre de quatre ans à six ans la période au titre de laquelle les veuves des anciens harkis pourront solliciter le bénéfice des arrérages de l’allocation viagère. §Je remercie Mme la ministre d’avoir accepté notre demande, qui permettra la récupération des montants de l’allocation depuis sa date de création.
Au total, si le texte qui nous est soumis comporte des avancées importantes pour améliorer la reconnaissance et la réparation envers les anciens supplétifs et les membres de leurs familles, ce projet de loi garde un goût d’inachevé.
D’une part, je comprends parfaitement ceux qui considèrent qu’une somme de 15 000 euros n’est pas à la hauteur des souffrances endurées. Aucun montant ne permettrait de réparer intégralement un tel préjudice.
D’autre part, le texte porte à titre principal sur un préjudice bien spécifique, subi par une partie des harkis et de leurs familles. Dès lors, il donne à certains le sentiment que la reconnaissance ainsi proclamée n’est pas la reconnaissance due à l’ensemble des harkis. Le texte ne parvient donc pas pleinement à apaiser et à réunir la communauté harkie. « La douleur est énorme et si irrépressible qu’il est impossible de la combler » : tels sont les mots de l’historien Gilles Manceron, que j’ai auditionné ; je souscris pleinement à ces propos.
C’est la raison pour laquelle la commission a considéré que, s’il contenait des avancées, ce projet de loi ne pouvait en aucun cas constituer un « solde de tout compte ». Notre discussion permettra – je le crois – de préciser que la réflexion doit se poursuivre sur l’opportunité d’instaurer de nouvelles mesures de reconnaissance et de réparation envers les harkis.
La commission estime donc qu’adopter ce projet de loi permet de réaffirmer la reconnaissance de la Nation envers les harkis et de prévoir la réparation du préjudice subi par bon nombre d’entre eux. Sur ce long chemin de mémoire et de réconciliation, il porte reconnaissance d’une partie – je dis bien une partie – de la dette d’honneur que la France doit à ces citoyens français.