Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Marie-Pierre Richer, rapporteure de ce texte, pour le travail appliqué et consciencieux qu’elle a mené.
Comment ne pas penser, en cet instant, à ces hommes et à ces femmes qui, nous écoutant, attendent et espèrent ? Ils n’ont rien oublié de ces heures où l’indépendance de l’Algérie a soudain fait basculer plus d’un siècle d’histoire.
S’agissant de moments troubles à propos desquels aucun manichéisme n’est de mise et d’une mémoire officielle et collective qu’aucun oubli ne doit entacher, il faut dire la responsabilité de la France dans ce qui fut un drame français.
Ne rien oublier, c’est se souvenir que les harkis ont toujours cru en la France, s’acquittant de leur devoir envers elle dans les crises et les guerres. Des bords de la Marne au Mont-Cassin, le sang versé par les Algériens a souvent contribué à la destinée de notre pays.
Ne rien oublier, c’est rappeler le courage qu’il fallut aux harkis pour faire ce choix au moment de l’indépendance de l’Algérie : le choix de la France.
Ne rien oublier, enfin et surtout, c’est prendre conscience des conditions difficiles et même dramatiques dans lesquelles arrivèrent un million de femmes, d’enfants et d’hommes, contraints à un exil forcé, douloureux et sans retour. Loin d’un accueil heureux sur le sol métropolitain, c’est bel et bien, malheureusement, d’un exil long et triste de la terre d’Algérie qu’il fut avant tout question.
La France, alors, aurait pu aider les arrivants en soulageant les vicissitudes d’une installation déjà difficile. En tant que parlementaire de Lot-et-Garonne, département au cœur duquel se trouve le camp de Bias, je peux aisément vous dire combien ces lieux d’infortune furent précaires, honteux et misérables. Quel contraste terrible entre ce confinement au long cours et le prétendu confort moderne des Trente Glorieuses !
Dans les deux chambres, l’examen de ce projet de loi a donné lieu à nombre de travaux, débats, auditions et échanges, et aujourd’hui nous nous accordons sur un point : il s’agit là pour la France d’une question d’honneur.
Malgré le temps passé, réparons les erreurs commises ; les harkis ont longtemps attendu une politique publique à la hauteur de ce qu’exigeait, notamment, leur insertion dans notre société métropolitaine.
Certes, la France a mis en place des régimes d’indemnisation ; elle a aidé les veuves des anciens combattants et contribué à l’essor professionnel des enfants de harkis. Mais que l’on considère la force du symbole ou que l’on évalue de façon réaliste le montant de la juste rétribution financière, le compte n’y est pas. La République ne peut s’en satisfaire !
Au fond, mes chers collègues, donner plus à ceux qui ont moins pour compenser le déterminisme social et économique, n’est-ce pas, précisément, être fidèle à l’idéal républicain ?
C’est la raison pour laquelle j’estime que ce texte a le mérite d’exister : il constitue une pièce importante de cette œuvre de réparation. Je regrette néanmoins qu’il s’adresse aux seuls occupants des camps, comme celui de Bias, ou des hameaux de forestage, et non à toutes les victimes – je pense à celles qui arrivèrent ici, sur le sol métropolitain, par leurs propres moyens. Tel est d’ailleurs le sens d’un des amendements que j’ai déposés : il ne faut pas créer une injustice pour en réparer une autre.
Madame la ministre, je salue l’intention du Gouvernement, ainsi que le travail accompli pour rouvrir un chapitre douloureux de notre histoire, dans le cadre d’un projet de loi qui ne saurait en aucun cas en constituer l’épilogue. Le Président de la République a demandé pardon aux combattants abandonnés. Mais que signifie cette demande de pardon si l’on n’est pas capable d’aller jusqu’au bout de ce que nous impose la vérité ?
À la lumière de cette mise en contexte historique et culturelle, je dois vous avouer ma perplexité à deux égards.
D’une part, je pense au calendrier. Il est bien tard pour exprimer aux harkis un intérêt réel, sincère et dénué de tout électoralisme – nous sommes à la fois au crépuscule du quinquennat présidentiel et à l’aube d’une campagne enfin « officielle ». Un tel projet de loi doit se construire en amont, de manière approfondie et avec sérieux, afin de ne rien oublier ; il doit se construire, autrement dit, en début de législature.
D’autre part, je pense au caractère prétendument définitif de ce texte. Les nombreuses auditions conduites ici même, au Sénat, comme les discussions passionnées et passionnantes que j’ai eues et que je continue d’avoir avec les harkis de Lot-et-Garonne, prouvent plutôt que nous avons un devoir à poursuivre !