« Aux combattants, je veux dire notre reconnaissance. Nous n’oublierons pas. Aux combattants abandonnés […], je demande pardon. Nous n’oublierons pas. […] La France a manqué à ses devoirs envers les harkis, leurs femmes, leurs enfants. »
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tels furent les mots du Président de la République en septembre dernier. En 2016, François Hollande avait engagé cette reconnaissance de la responsabilité de la France dans le sort réservé aux harkis ; et en 2018 le Conseil d’État avait reconnu la responsabilité de l’État, condamné à indemniser un fils de harki en réparation du préjudice subi par celui-ci.
Les derniers débats, au sein de notre assemblée, sur la reconnaissance du massacre d’octobre 1961 ont montré combien les blessures de la guerre d’Algérie restaient vives.
Pourtant, à l’approche des soixante ans des accords d’Évian, les conditions inacceptables dans lesquelles les harkis furent accueillis en métropole exigeaient, de toute évidence, une reconnaissance et une réparation.
Ce projet de loi était demandé par les associations représentant les harkis et leurs descendants ; mais il ne répond pas vraiment à leur attente.
Grand espoir soulevé par les paroles que j’ai citées à l’instant, déception presque aussi grande suscitée par le texte initial : oserai-je dire que j’ai reconnu là la patte du Président de la République et de son gouvernement ?
Tout d’abord, sur la forme, de nombreuses associations, dont je salue la présence aujourd’hui en tribune, regrettent le manque de concertation dans la rédaction de ce projet de loi. Critiquant une écriture bâclée, beaucoup, le jugeant restrictif, discriminant et injuste, demandaient qu’il ne soit pas étudié en l’état, mais réécrit avec leur participation.
La première incompréhension a trait aux restrictions à la fois géographiques et temporelles qui limiteront le champ des bénéficiaires.
Comment le Gouvernement justifie-t-il de ne pas étendre cette reconnaissance et cette réparation à l’ensemble des harkis, y compris à celles et à ceux qui sont parvenus en métropole par leurs propres moyens après 1975 ? Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas entendu la revendication d’une extension de cette reconnaissance et de cette réparation à l’ensemble des harkis, qu’ils aient vécu dans des camps, dans des hameaux ou ailleurs ?
L’indignité des conditions de leur accueil dans les camps et autres structures particulières comme les hameaux de forestage était bien sûr un point essentiel, mais on ne saurait limiter la question de cet accueil indigne à ces seules structures. Comme l’indique notre rapporteure, « le champ de la reconnaissance n’inclut pas les 40 000 rapatriés d’origine algérienne n’ayant pas séjourné dans ces structures, mais dans des cités urbaines, où les conditions de vie ne se sont pas toujours avérées plus confortables, mais où ils n’étaient pas privés de la liberté de circulation ».
Si les réparations proposées constituent une avancée majeure, ce n’est pas par leur montant. Les sommes prévues doivent absolument être à la mesure des pertes de chance qu’elles sont censées compenser, celles de toute une génération ; il faut tenir compte, entre autres, de la déscolarisation et des atteintes aux libertés individuelles endurées par toutes ces familles.
Ces réparations constituent bel et bien une avancée, malgré tout, car elles diffèrent des systèmes d’allocations qui, tout utiles qu’ils aient pu être, ne se fondaient que sur le principe d’une solidarité sociale, non sur celui de la compensation des défaillances de l’État.
À cet égard, nous avons entendu les craintes des associations quant au risque d’une certaine fongibilité entre des allocations relevant de l’exercice de la solidarité nationale, d’une part, et la réparation d’un préjudice subi, de l’autre.
C’est pourquoi, une nouvelle fois, je salue la position de notre commission, dont la rapporteure a précisé que les réparations prévues dans ce projet de loi ne sauraient constituer un « solde de tout compte ».
Il est essentiel que l’évaluation des préjudices subis puisse être menée de la manière la moins restrictive possible ; mais comment améliorer ce texte ? Qu’il s’agisse des périodes ouvrant droit à réparation, des critères d’instruction des demandes, de l’inclusion dans la détermination de la somme des années passées dans les prisons algériennes, de la réparation due aux veuves ou même de la création d’une fondation mémorielle, nos amendements ont été jugés irrecevables pour raison financière.
Nous demandons donc au Gouvernement d’assumer ses responsabilités en reprenant ces amendements à son compte. Puisqu’il le peut, il le doit ! Dans le même esprit, nous défendons la création d’une commission indépendante et diverse dans sa composition.
Ce texte de loi pourrait aussi être l’occasion de réparer certains préjudices spécifiques subis, certes à la marge, par quelques dizaines de harkis ; ces situations méritent l’attention du Gouvernement. Nous avons déposé deux amendements à cette fin, mais eux aussi ont été déclarés irrecevables.
Oui, ce texte est incomplet et doit faire l’objet de modifications. Nous l’améliorerons donc ensemble ; je demande au Gouvernement de nous y aider. C’est notre travail d’œuvrer en ce sens. Nous le devons bien aux harkis, à leurs enfants, à leurs petits-enfants.
Ainsi ce texte viendrait-il couronner une réflexion longue sur la place que notre pays n’a pas su leur octroyer. Mais il doit être bien plus que cela : il doit montrer notre volonté de nous confronter à notre histoire, si difficile soit-elle.
En des temps où la réécriture du passé entache la démarche de vérité que nous nous devons à nous-mêmes, où les révisionnismes en tout genre tentent de gommer le travail de nos historiens, il m’apparaît judicieux de soutenir ce texte.
Les harkis ont souffert des décisions de notre État. Leur abandon, péché originel, n’a pas été la dernière humiliation que la France leur a fait subir. Ils ont aussi été maltraités et oubliés, sans que tous ces préjudices soient reconnus ni réparés. Ce projet de loi doit permettre d’y pourvoir enfin, non un peu ou à contrecœur, mais clairement, complètement et avec conviction !
Aussi voterons-nous ce texte enrichi des amendements de la commission, à condition qu’il le soit aussi de ceux qui vont être présentés par notre groupe et par de nombreux autres sénateurs.