Intervention de Émilienne Poumirol

Réunion du 25 janvier 2022 à 14h30
Harkis et autres personnes rapatriées d'algérie — Discussion générale

Photo de Émilienne PoumirolÉmilienne Poumirol :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer les représentants des associations de harkis présents aujourd’hui en tribune. Devant vous, je veux les remercier des éclairages et des propositions qu’ils ont apportés lors des auditions de la commission. Notre travail a été nourri par ce qui a été leur vie ou celle des leurs.

Je remercie également l’ensemble de mes collègues de leur engagement et de leur participation à un texte aussi important, en particulier Mme la rapporteure.

Nous examinons un projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers l’ensemble des supplétifs qui ont servi la France en Algérie et que celle-ci a abandonnés. Ce texte reconnaît également – il faut nous en féliciter ! – la responsabilité de l’État français dans l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire réservées aux anciens supplétifs et à leurs familles, hébergées dans des structures fermées.

Ce projet de loi s’inscrit dans la continuité des discours présidentiels, notamment celui de François Hollande, qui, pour la première fois en 2016, a reconnu explicitement la responsabilité des gouvernements français dans l’abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France.

Les dispositions débattues aujourd’hui sont très attendues par les anciens harkis et leurs familles. Elles marqueront – je l’espère – une étape sur le chemin de l’apaisement des mémoires.

Près de soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la douleur est toujours vive, les plaies peinent à cicatriser et les mémoires sont encore troublées.

L’histoire des harkis, c’est l’histoire de la France, de notre Nation, qu’il nous faut regarder avec lucidité. C’est l’histoire de ces Français, nés en Algérie, qui ont été recrutés pour appuyer l’armée française durant la guerre d’Algérie. Ils sont encore aujourd’hui appelés des supplétifs, terme les rabaissant au rôle d’auxiliaires, d’hommes de second rang, alors même que leur action fut souvent essentielle au sein des forces armées françaises. Auparavant, beaucoup d’entre eux avaient d’ailleurs servi lors d’autres conflits où la France était engagée.

L’histoire des harkis est aussi celle d’un abandon. À la fin de la guerre, le gouvernement français ordonne à l’armée de désarmer les harkis et de limiter strictement leur rapatriement : il a, de fait, laissé sur place une grande partie d’entre eux. Seuls sont rapatriés les Français d’origine européenne et une partie des anciens supplétifs, dont la sécurité est menacée en Algérie.

Les anciens harkis, considérés comme des traîtres en Algérie, sont victimes d’exactions et de massacres sur le sol algérien.

L’histoire de cet abandon se poursuit sur le sol français : sont frappés ceux qui ont réussi à être rapatriés, souvent grâce à la désobéissance de certains officiers français, hommes d’honneur qui, faisant fi des ordres donnés, ont organisé eux-mêmes le rapatriement de leur harka.

Selon l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONACVG), entre 80 000 et 90 000 anciens supplétifs, épouses et enfants se sont réfugiés ou ont été rapatriés en France.

À leur arrivée, plus de la moitié d’entre eux furent relégués dans des camps et des hameaux de forestage. Ils y vécurent dans des conditions de vie inhumaines, soumis à un régime dérogatoire du droit commun, isolés à plusieurs kilomètres des villages, devant subir un couvre-feu et le contrôle de leurs déplacements. Ils connurent des conditions d’hygiène déplorables et subirent le manque de scolarisation de leurs enfants.

Exilés, marginalisés, oubliés, devenus invisibles, tous les harkis et leurs proches ont souffert de traumatismes durables.

En se bornant à reconnaître le préjudice des personnes passées dans les camps, ce projet de loi est incomplet. En effet, le champ de la reconnaissance n’inclut pas les 40 000 personnes n’ayant pas séjourné dans ces structures, alors que leurs conditions de vie ne se sont pas toujours révélées plus dignes.

De plus, au-delà des sommes allouées, le système de forfait n’est pas à la hauteur des préjudices dont furent victimes les harkis et leurs familles. Il n’est en aucun cas une reconnaissance par la Nation des violences vécues. Un tel forfait, c’est l’acceptation d’un préjudice sans la reconnaissance de la culpabilité.

Tous les anciens harkis et leurs familles méritent que leur histoire et leurs souffrances soient entendues et bénéficient d’une réparation individuelle, fondée sur ce que chacun d’entre eux a réellement subi.

La dernière partie de ce texte porte sur la reconnaissance mémorielle. À ce titre, je salue le travail remarquable déjà effectué par l’ONACVG : cet office organise des expositions, des recueils de témoignages et des interventions à quatre voix dans les établissements scolaires. Mais il faut aller plus loin encore et faire vivre cette mémoire commune, qui participe de notre richesse, celle de la réconciliation nationale et du vivre ensemble.

Ce texte constitue une avancée, mais il ne saurait être un solde de tout compte. Dans cet esprit, nous veillerons à ce qu’il ne reste pas purement déclaratif : nous proposerons un certain nombre de modifications, même si la plupart de nos amendements ont été déclarés irrecevables ou rejetés en commission.

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