Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 8 février 2022 à 14h30
Activité professionnelle indépendante — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire (CMP) chargée d’examiner les dispositions du projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante est parvenue, sans grande difficulté, à l’adoption d’un texte commun.

Les objectifs de ce projet de loi sont parfaitement consensuels : faciliter la vie de nos 3 millions de travailleurs indépendants ; aider ces travailleurs indépendants à créer leur entreprise, à la développer et à la transmettre ; mieux les protéger contre les aléas de la vie économique.

Parmi les dispositions relevant du champ de compétence de la commission des lois, la plus importante réside, sans conteste, dans la création du nouveau statut de l’entrepreneur individuel, doté de deux patrimoines, l’un personnel, l’autre professionnel. Cette dualité de patrimoines permettra de mieux protéger les travailleurs indépendants en cas de faillite, puisque leurs biens personnels seront désormais à l’abri des poursuites de leurs créanciers professionnels.

Il ne faut pas, néanmoins, en attendre de miracles, car les créanciers professionnels les plus importants, notamment les banques, continueront d’exiger des sûretés spéciales sur certains biens de l’entrepreneur, y compris ses biens personnels. Ils pourront également lui demander de renoncer à leur profit au bénéfice de la séparation de ces deux patrimoines, afin de pouvoir saisir n’importe lequel de ses biens dans le cas où leur créance resterait impayée.

Si la plus-value réelle de cette réforme reste donc à démontrer, elle n’en constitue pas moins une véritable révolution juridique qui rompt avec les principes les mieux établis de notre droit privé.

Ces principes pluriséculaires sont littéralement fondamentaux. Ils fondent la responsabilité de chacun vis-à-vis d’autrui, dans la vie sociale et économique, et ils sont par conséquent au fondement de la confiance sociale et du crédit, qui n’existent que parce que la responsabilité des personnes est elle-même bien établie.

Il ne faut donc toucher à ces principes que d’une main tremblante, en prenant garde aux multiples répercussions que cela peut avoir sur les équilibres de notre droit.

Je dois dire, monsieur le ministre, que le texte initial du Gouvernement nous est apparu assez bâclé.

Il était certes compréhensible que le Gouvernement veuille faire un geste à l’égard des 3 millions d’indépendants et de leurs familles, à quelques mois d’élections importantes. Mais de là à présenter devant le Parlement un texte à trous…

Dans les deux semaines qui lui étaient imparties pour examiner le projet de loi, le Sénat s’est attaché autant que possible à en combler les lacunes. Nous avons presque entièrement réécrit les dispositions relatives au nouveau statut de l’entrepreneur individuel.

L’Assemblée nationale, par la suite, est revenue à un texte plus proche de celui du Gouvernement. Elle a néanmoins conservé certaines dispositions introduites par le Sénat qui nous paraissaient particulièrement importantes pour garantir la sécurité juridique de la réforme.

Je pense notamment à l’articulation entre le nouveau statut de l’entrepreneur individuel et les régimes matrimoniaux, car nous ne voulons pas que le nouveau statut introduise du désordre dans les familles où les époux sont mariés sous le régime de la communauté des biens.

Je pense aussi : au principe selon lequel la dualité patrimoniale n’est opposable aux créanciers qu’à compter du moment où l’entreprise a une existence publique, notamment du fait de son immatriculation ; à plusieurs dispositions visant à clarifier le régime du transfert universel du patrimoine professionnel, qui était particulièrement inabouti dans le texte initial ; à la clarification des règles applicables en cas de cessation d’activité.

Sur deux autres points, nous avons pu parvenir en commission mixte paritaire à une rédaction de compromis.

Le Sénat avait également souhaité inscrire directement dans la loi les dispositions visant à adapter les procédures collectives de surendettement au nouveau statut de l’entrepreneur individuel, plutôt que de s’en remettre à une énième ordonnance.

En effet, ces dispositions constituent le corollaire indispensable d’une telle réforme : le nouveau statut n’aura fait ses preuves que s’il est capable de protéger efficacement l’entrepreneur en cas d’insolvabilité. Là encore, l’Assemblée nationale nous a suivis.

Grâce aux échanges que nous avons eus avec la rapporteure de l’Assemblée nationale, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, et le ministère de la justice, nous sommes parvenus en commission mixte paritaire à une rédaction satisfaisante.

L’autre sujet relevant de la compétence de la commission des lois et qui a animé nos discussions en CMP réside dans la réforme de l’exercice en société des professions libérales réglementées. Une nouvelle fois, l’impréparation du Gouvernement l’avait conduit à nous demander une très large habilitation à redéfinir par ordonnance les règles applicables en la matière.

En première lecture, le Sénat avait supprimé cette habilitation.

La question de savoir, par exemple, si des fonds d’investissement peuvent entrer au capital d’une société d’officiers ministériels ou de médecins libéraux, et dans quelles proportions, n’est pas une question simplement technique, monsieur le ministre, mais une question pleinement politique.

Pour la sécurité de tous, et pour ne pas ruiner la confiance que les Français ont envers leur notaire ou leur médecin, nous avons le devoir de garantir l’indépendance des professionnels libéraux dans l’exercice de leur profession. Sur ce sujet, j’ai dû me résoudre à un compromis qui ne me satisfait pas entièrement.

À la demande de l’Assemblée nationale, l’habilitation prévue à l’article 6 a été rétablie. Mais le texte adopté par la commission mixte paritaire interdit au Gouvernement d’élargir par voie d’ordonnance la part du capital ou des droits de vote que des investisseurs étrangers au monde des professions libérales peuvent détenir au sein d’une société d’exercice libéral. C’est la moindre des garanties.

Ce projet de loi a suscité beaucoup d’attentes de la part des travailleurs indépendants. Certaines d’entre elles seront peut-être déçues, mais grâce aux évolutions que le texte a connues au cours de son examen parlementaire, on peut escompter qu’il ne fera pas de mal et qu’il aura même quelque utilité.

Je tiens, pour conclure, à remercier mes collègues Frédérique Puissat et Serge Babary pour le travail qu’ils ont accompli et pour les concessions qu’ils ont pu faire en commission mixte paritaire, et qui paraissent constituer un honnête compromis.

J’invite donc le Sénat à adopter le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire.

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