Les premières vigies du changement climatique, ce sont bel et bien nos agriculteurs !
Comprenez-moi bien : l’adaptation aux aléas climatiques ne date pas d’hier. Cela fait bien longtemps que la profession sème sans savoir ce qu’elle va récolter, et recommence année après année. S’il y a bien une profession qui sait que le risque zéro n’existe pas, loin de l’illusion du principe de précaution, c’est la profession agricole.
Mais chaque année les aléas sont de plus en plus fréquents, de plus en plus intenses et de plus en plus étendus, créant des dommages croissants dans les fermes.
Ces aléas, comme l’épisode de gel qu’a connu notre pays au printemps 2021, rappellent combien le travail paysan est un trésor vulnérable qu’il convient de préserver.
À moyen terme, la carte de la France agricole sera redessinée par les évolutions climatiques, et c’est un immense défi que le monde agricole aura à relever, d’autant plus vertigineux que le changement d’allocation des terres sera mondial et que le monde va être confronté à la plus grande croissance démographique qu’il ait connue.
S’agissant d’un tel défi se pose la question de la préservation des capacités de production agricole françaises, dans un contexte où elles se trouvent fragilisées de toutes parts : fragilisées par une concurrence déloyale venue de l’étranger sans contrôles suffisants quant aux normes de production ; fragilisées par une remise en cause sociétale de la part de certains activistes dont les actions illégales ne sont jamais menacées ; fragilisées par une hausse des charges considérable, alimentée entre autres, monsieur le ministre, par votre gouvernement, qui a augmenté la redevance pour pollutions diffuses, supprimé les remises, rabais et ristournes sur les intrants, ambitionné la création d’une taxe sur les engrais ou rendu impossible la séparation de la vente et du conseil de produits phytopharmaceutiques, ce qui a abouti à moins de conseil et autant de ventes !
Les capacités de production agricole françaises, disais-je, sont fragilisées ; elles le sont également par des recettes qui peinent à augmenter, car plusieurs milliers d’agriculteurs ne font pas le poids face à quatre géants de la distribution ; elles le sont, enfin, par des aléas climatiques qui, bien souvent, dans ce contexte déjà difficile, découragent les exploitants.
C’est de ce dernier point que nous devons débattre aujourd’hui.
Le doublement des sinistres, du côté des assureurs, et son augmentation de 50 %, du côté du FNGRA, ont mis le système historique d’indemnisation des risques climatiques en agriculture à bout de souffle. D’un côté, l’assurance récolte peine à se diffuser davantage, jugée trop chère, peu avantageuse et peu adaptée aux besoins des exploitants. De l’autre, les indemnisations publiques sont de plus en plus contestées, d’autant que certaines filières en sont exclues depuis 2010, comme les grandes cultures ou la viticulture. Ces deux systèmes concurrents ne fonctionnent plus ; ils devraient être plus complémentaires.
Telle est l’ambition de ce projet de loi, à laquelle nous souscrivons, monsieur le ministre : davantage de simplicité pour l’exploitant ; davantage de justice ; davantage d’incitation à s’assurer. Le système universel à trois étages proposé, superposant une part à la charge de l’agriculteur, une autre relevant de son contrat d’assurance et une autre relevant de la solidarité nationale – en cas de pertes importantes –, est très attendu par nos agriculteurs.
La réussite de ce système universel dépend de trois facteurs.
Il est indispensable, premièrement, de réussir son lancement les premières années. Il faut pour ce faire garantir que la solidarité nationale interviendra en cas de crise majeure, mais aussi que les assureurs joueront le jeu sans augmenter artificiellement leurs primes au détriment des exploitants, comme cela s’est passé en début d’année. Avec le texte de la commission, une telle opération ne sera plus possible.
La réussite de ce nouveau système exige, en outre, de ne pas déshumaniser les procédures d’expertise. La commission estime que faire reposer l’évaluation des pertes sur la seule exploitation d’images satellitaires, comme cela est prévu dans certaines filières, n’est pas normal : elle a prévu un droit pour les exploitants, en cas de contestation de groupe, de solliciter une contre-expertise de terrain en vue de vérifier le niveau des pertes.
La réussite de la réforme suppose, deuxièmement, d’inventer un système dans lequel les assureurs retrouvent de la rentabilité. Tel est l’objectif de l’article 7, qui habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toute mesure susceptible d’accroître la mutualisation des données et des risques entre assureurs. De vrais doutes existent sur la compatibilité de cet article avec le droit de la concurrence, ce que la commission a tenté de conjurer, confirmant par là son soutien au dispositif envisagé tout en le solidifiant juridiquement.
Troisième facteur clé de succès : on ne saurait s’arrêter à cette réforme. Celle-ci ne doit être qu’une étape, certes nécessaire pour amorcer le système. Il faut donc aller plus loin.
Au niveau européen, tout d’abord, il est nécessaire de faire évoluer des points de blocage majeurs qui, à défaut, freineront durablement le recours au contrat d’assurance. Je pense au système de la moyenne olympique, qui pénalise considérablement nos exploitants.
Monsieur le ministre, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), vous engagez-vous à porter haut ce problème pour que s’engage au niveau mondial une réforme de cette moyenne olympique ?
Au niveau national, ensuite, il faudra développer une véritable politique d’anticipation et de prévention. Aujourd’hui, un obscurantisme déguisé de ses plus beaux atours décroissants entrave volontairement le progrès. Mais, disons-le clairement, la prévention est la seule solution pour augmenter la résilience de notre agriculture. À l’échelle de ce texte, la commission a proposé un principe simple et réellement incitatif : garantir que les primes d’assurance baisseront pour les exploitants ayant mis en place des mesures de prévention.
Enfin, il convient de tendre vers un système assurantiel à la carte. En d’autres termes, les agriculteurs recourront massivement à l’assurance quand ils auront la certitude que les produits d’assurance qui leur sont proposés répondent vraiment à leurs besoins. À cette fin, la commission a proposé plusieurs mesures d’assouplissement.
J’ajouterai pour conclure un quatrième facteur clé de succès, sans doute le plus important : celui de la visibilité du système proposé. Comment peut-on s’engager sur plusieurs années dans un contrat d’assurance en sachant que les variables clés du système, comme le niveau de la franchise, le taux de subvention ou le niveau d’intervention de l’État, peuvent varier du jour au lendemain ? Cela n’est pas concevable ! C’est pourquoi la commission a adopté le principe d’une fixation des taux pour cinq ans. Davantage de visibilité et davantage de consultation des exploitants et des assureurs, cela donne de la confiance.
De la confiance, toutefois, ce projet de loi n’en offre pas suffisamment, car les ambitions ne sont pas clairement affichées. La multitude de renvois à des décrets et à des ordonnances donne l’impression d’un texte peu abouti, que l’on fait passer en toute hâte à quelques jours du salon de l’agriculture et à quelques semaines de l’élection présidentielle. J’ajoute qu’il était impossible aux parlementaires d’en préciser les dispositions en raison de l’article 40 de la Constitution…
Si nous comprenons le besoin de souplesse – que le législateur, notamment, n’ait pas à déterminer, mois après mois, tous les taux applicables pour toutes les filières françaises, c’est entendu –, nous ne pouvons accepter de voter un projet de loi dénué de direction claire.
C’est un peu comme si vous nous demandiez de vous donner les clés du camion, libre à vous, ensuite, de le piloter comme bon vous semble. Nous souhaitons aujourd’hui vous indiquer clairement le chemin, en vous donnant le GPS.