Des centaines de millions ?
Dr Patrick Pelloux. - Oui ; au moment de la recomposition des urgences, les enveloppes ont été affectées au SAS. Il faut payer l'organisation, les médecins qui y participent... Mais tout cela a été acté par la loi. Des expérimentations ont été menées, comme celle que décrit le docteur Richard. Si cela fonctionne, j'en prends acte ; mais le problème est que cela ne fait pas baisser la fréquentation des urgences.
Dr Olivier Richard. - C'est le début...
Dr Patrick Pelloux. - Pour l'instant, la fréquentation ne baisse pas parce que c'est un système très complexe. Nous souhaitons tous que les maisons communes en cogestion fonctionnent, mais il y a des rapports de force entre la médecine de ville, les hôpitaux participant au service public, les hôpitaux lucratifs, les CPTS, les maisons de santé, etc.
Il est vrai que ce système dégage des plages de rendez-vous - une sorte de Doctolib du SAS. Pourquoi pas, mais cela ne fait pas baisser la fréquentation des urgences, parce que les malades sont devenus complexes, et que l'hôpital veut désormais aller très vite.
La médecine va vers le soin ambulatoire, les opérations ambulatoires, sans se rendre compte que les gens ne se réduisent pas à un tableau Excel. Il y a de l'aléatoire, or dans tous ces systèmes, y compris les opérations ambulatoires, on n'a pas prévu, justement, que le malade ne va pas bien ; et le malade qui ne va pas bien se rend aux urgences...
Ainsi, depuis 2003 et la fin de l'obligation des gardes pour les médecins libéraux, les urgences sont devenues la variable d'ajustement de tous les dysfonctionnements.
Autre exemple, la psychiatrie. Lorsque les lois de 1992 et 1996 organisant les urgences ont été votées, un psychiatre était prévu dans chaque service. On l'a ensuite retiré, et désormais il est extrêmement difficile d'accéder aux urgences psychiatriques - sans parler de la pédopsychiatrie et de la psychiatrie des adolescents... Et lorsque ces malades se rendent aux urgences, on a recours à la sédation, faute de psychiatres, puisqu'il n'y en a plus dans certains secteurs.
Autre problématique de spécialité très pertinente pour la permanence de soins : la traumatologie, dont relèvent 50 % des malades qui viennent aux urgences. Sauf en mars 2020, lors du premier confinement, où l'on ne voyait plus arriver, à Paris, que cinq à six personnes par jour, qui se blessaient chez elles...
Jadis, la traumatologie était traitée par l'orthopédie publique, qui est désormais sinistrée : tous les chirurgiens orthopédistes sont partis vers le privé, pour l'attractivité de la rémunération et les moyens mis à disposition. C'est pourquoi les patients de traumatologie qui arrivent aux urgences sont transférés vers les cliniques privées, avec l'attente que cela engendre.
La direction générale de l'offre de soins (DGOS) avait conçu un indicateur intéressant, celui du besoin journalier en lits. Il donnait une vision mathématique : tel service d'urgence aurait besoin de vingt ou vingt-cinq lits pour fonctionner chaque jour. Mais l'indicateur n'a pas été mis en place parce qu'il aurait impliqué de rouvrir des lits, ce que l'on ne voulait pas.
Un mot sur la démographie médicale. L'obligation de faire des gardes, cette contrainte au temps, n'est plus d'époque. Lorsque la spécialité de médecine d'urgence a été mise en place, le principal syndicat représentant les internes en a tiré un argument pour refuser les gardes aux urgences. Il est extrêmement difficile de motiver les jeunes générations pour les gardes. Ainsi, on perd des heures à trouver un lit d'hospitalisation, faute de place aux urgences.
Dernier point, le SAS comme permanence de soins des Ehpad - un sujet qui a fait l'actualité ces derniers jours. La prescription par les médecins coordinateurs a été votée, mais c'est encore balbutiant. Il n'a pas accès aux dossiers médicaux. Enfin, au moment d'envoyer un Smur pour un départ, l'aide-soignante ou l'infirmière demande au médecin de faire le point sur un grand nombre de malades.
Il y a eu des expériences positives, notamment à Amiens ; mais cela reste extrêmement compliqué. On sait bien que les urgences ne sont pas une destination adéquate pour les personnes âgées Gir 1 ou Gir 2, c'est-à-dire démentes ou grabataires.
Il faut une refonte du système, mais elle ne se fera qu'avec des femmes et des hommes qui veulent s'investir dans la permanence des soins. Ils ne le feront que si c'est attractif. Or la permanence de soins est défiscalisée, pour les médecins libéraux, sur une partie de leur rémunération, ce qui n'est pas le cas pour les médecins du public. Quant à la progression de l'indemnisation, un praticien hospitalier touche deux cents euros de moins qu'un universitaire pour une garde nuit.
Au moment du Ségur, le Gouvernement voulait une égalité de rémunération pour le même travail. Cela a été refusé par les syndicats de praticiens hospitaliers, à l'exception du syndicat national des praticiens hospitaliers, anesthésistes réanimateurs (SNPHAR-E), parce qu'ils voulaient gagner un échelon.
En matière de permanence de soins, tout est lié : même si votre volonté est sincère, le SAS rénové ne se fera pas sans les femmes et les hommes. Or la contrainte au temps, le travail le week-end ou la nuit, ne sont plus acceptés par les jeunes générations - y compris pour les visites à domicile qu'évoquait Serge Smadja. Or la question est liée à celle du maintien à domicile. Il n'y a pas de solution facile.