Je tiens moi aussi à saluer nos nombreux échanges et, surtout, notre souci commun de prendre en compte les demandes exprimées par nos concitoyens. Toutefois, nous ne sommes malheureusement pas parvenus à trouver un texte de compromis qui nous semble raisonnable.
Deux points ont été bloquants pour le Sénat.
Tout d'abord, nous estimons que l'intérêt des enfants n'est pas suffisamment pris en compte par ce texte. C'est même un défaut de conception de la proposition de loi, qui considère qu'il serait légitime de changer le nom d'un enfant pour faciliter la vie quotidienne d'un parent, en l'occurrence la mère, qui n'aurait plus à « exhiber » son livret de famille - c'était le sens de la demande du collectif « Porte mon nom ». Ce point reste à démontrer, car un même nom n'est pas toujours synonyme d'exercice de l'autorité parentale, et il est bien des situations où il reste légitime de demander la preuve du lien familial : je pense notamment à une sortie du territoire ou encore à une opération chirurgicale.
Nos travaux, réalisés dans un temps très contraint - nous avons essayé de pallier l'absence d'étude d'impact par l'organisation de nombreuses auditions -, nous ont fait prendre conscience du fait que, pour l'enfant, porter un nom d'usage qui diffère de son nom de famille - même par adjonction d'un nom - équivalait à un changement de nom : un enfant ne fait pas de différence entre son nom d'usage et son nom de famille. J'ai auditionné des instituteurs, des assistantes maternelles et de nombreux autres professionnels de l'enfance qui me l'ont confirmé.
Nos assemblées divergent sur cette appréciation du nom d'usage. Dans l'esprit de nos collègues députés, le nom d'usage ne serait qu'une mention administrative sur une carte d'identité. Or, pour l'enfant, ce sera son nom de tous les jours : le lundi, il s'appellerait Durand, et, le mardi, Durand-Dupré, voire Dupré tout court. Pour cette raison, nous refusons la substitution de nom à titre d'usage pour les mineurs, laquelle risquerait d'ailleurs d'exacerber les conflits familiaux et de générer davantage de contentieux qu'il n'y en a aujourd'hui.
C'est la raison pour laquelle nous refusons également de permettre à un parent d'ajouter unilatéralement son nom à celui de l'enfant - toujours à titre d'usage - moyennant l'information préalable de l'autre parent, qui pourrait saisir le juge aux affaires familiales (JAF) s'il conteste cette initiative. Cette disposition pourrait créer des situations instables dans lesquelles l'enfant serait nommé différemment selon qu'il est chez son père ou sa mère et devrait reprendre son nom d'origine si le juge venait à considérer que l'adjonction de l'autre nom n'est pas dans son intérêt. Le droit existant est finalement plus protecteur pour l'enfant, avec l'exigence d'un accord des deux parents ou, en cas de désaccord, d'une autorisation du JAF.
Je souligne que les situations décrites dans les très nombreux témoignages que nous avons reçus sont presque toutes axées sur les problèmes des adultes et peuvent très souvent trouver des solutions pratiques, sans changer la loi. Je pense à l'obtention de l'exercice exclusif de l'autorité parentale par la mère lorsque le père est absent ou dans l'obstruction systématique, ou encore à la modification du formulaire de saisine du juge aux affaires familiales, qui devrait mentionner le nom d'usage parmi les motifs de la saisine, au même titre que la résidence de l'enfant, le droit de visite et d'hébergement, la pension... Le nom d'usage n'est qu'un élément parmi d'autres de l'exercice de l'autorité parentale : il n'y a pas de raison de le traiter différemment.
À l'article 2, la situation des enfants n'a pas non plus été suffisamment prise en compte à nos yeux - vous savez que c'est mon cheval de bataille. Si l'on peut concevoir qu'un majeur puisse, une fois dans sa vie, choisir son nom par simple déclaration, sans aucune justification, on ne peut accepter que ce changement de nom ait un effet automatique « par ricochet » sur les enfants de moins de treize ans. C'est le cas aujourd'hui pour la procédure de changement de nom par décret, me direz-vous. Mais toute la différence est que, dans ce cadre, le ministère vérifie s'il y a un intérêt légitime ! Ce n'est pas discrétionnaire, comme le serait la nouvelle procédure.
Le second point de blocage, c'est la question de la procédure simplifiée de changement de nom.
Il nous semble totalement anormal que, sous prétexte que la procédure de changement par décret dysfonctionne du fait d'une mauvaise organisation d'une administration centrale, l'on se reporte sur les communes. C'est d'autant plus anormal que cette situation n'est pas nouvelle : le Défenseur des droits l'avait constatée dès 2018. Pourtant, rien n'a été fait depuis. La section du sceau a un an de retard de traitement et a renoncé à l'informatisation qui était prévue en 2019... Le retard va donc s'aggraver.
Tous les arguments invoqués - procédures qui durent sept ans, nécessité de publications préalables au Journal officiel et dans un journal local, coût de 110 euros - reposent sur des éléments qui dépendent de l'administration centrale du ministère de la justice, et relèvent, pour l'essentiel, de dispositions réglementaires. Or que nous propose-t-on pour régler ce problème administratif ? De transférer une partie des demandes sur les services de l'état civil des mairies.
Cela semble d'autant plus incohérent que, en raison de la médiatisation de ce texte, 22 % des Français se déclarent aujourd'hui désireux de changer de nom si la loi permet une procédure simplifiée. Ainsi, après avoir suscité une demande accrue, on demanderait aux communes de supporter cette charge supplémentaire, sans compensation financière ? Cette possibilité semble inconcevable.
En séance, le Sénat a été aussi loin qu'il le pouvait pour faciliter le changement de nom à nos concitoyens, tout en gardant une procédure centralisée et suffisamment formaliste pour garder le caractère exceptionnel d'une telle démarche. D'ailleurs, vous l'avez dit vous-même, monsieur Vignal : un nom, ce n'est pas rien ! C'est même pour cela que vous avez porté cette proposition de loi.
Le Sénat a proposé une procédure simplifiée, qui resterait, comme aujourd'hui, centralisée auprès du ministère de la justice : il y aurait non plus un décret du Premier ministre, mais un simple arrêté, et le ministère pourrait mettre à disposition une téléprocédure, ce qui conduirait à une accélération, avec formulaire Cerfa si cela est source de simplification. Cette solution du « juste milieu », qui était un compromis raisonnable, n'a pas trouvé d'écho auprès de nos collègues députés, ce que je regrette profondément, compte tenu de l'important travail que nous avions réalisé.
Dans ces conditions, vous comprendrez que nous n'ayons pas réussi, Patrick Vignal et moi-même, à élaborer un texte de compromis.