Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du 17 février 2022 à 10h30
Combat contre le harcèlement scolaire — Discussion en nouvelle lecture d'une proposition de loi

Jean-Michel Blanquer :

Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est le dernier texte sur l’éducation de la législature. Aussi, permettez-moi de remercier les représentants de la Nation que vous êtes pour leur travail continu et leur engagement sincère sur les sujets d’éducation.

Je me réjouis aussi que ce soit précisément cette proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire que nous ayons à examiner aujourd’hui, d’abord parce que la lutte contre le harcèlement en milieu scolaire aura été l’une des grandes causes de mon action pendant ce quinquennat, ensuite parce qu’il s’agit d’un sujet qui, comme souvent lorsqu’il est question de l’école, a vocation à créer de la concorde et à nous rassembler.

Je connais la mobilisation du Sénat sur ce sujet et regrette évidemment qu’une motion tendant à opposer la question préalable ait été déposée. Ce texte émane d’une initiative parlementaire, celle du député Erwan Balanant. Nous l’avons accueillie favorablement, comme nous l’avons fait chaque fois que des propositions allaient dans le bon sens – et ce fut souvent le cas, je tiens à le souligner, de la part des représentants de la chambre haute.

La lutte contre le harcèlement, nous en sommes tous d’accord, est un enjeu de société. Cet enjeu dépasse largement le cadre scolaire et nécessite une mobilisation générale ; il renvoie tout simplement à la valeur de fraternité qui est le ciment de notre nation.

Si les actions menées depuis 2017 ont permis de contenir le harcèlement « physique » entre élèves, la progression rapide et exponentielle du cyberharcèlement nous appelle à redoubler d’efforts et de vigilance.

Nous ne nous habituerons jamais à ce que des vies d’enfants et d’adolescents soient brisées, abîmées, parfois de façon irrémédiable, par ce fléau. Nous lutterons donc sans relâche et avec la dernière énergie contre ce phénomène. En la matière, nous avons d’ailleurs beaucoup avancé.

Nous ne nous résignerons pas. Nous pouvons atteindre un objectif de zéro harcèlement à l’école, c’est possible ! Certains pays, certains établissements, certains professeurs y réussissent chaque jour, y compris en France. Cet objectif est donc à notre portée. Et je me réjouis que cette proposition de loi nous permette d’avancer en ce sens.

Du plan de lutte contre le harcèlement à l’école, en 2018, à la généralisation du programme de lutte contre le harcèlement à l’école (pHARe), en 2022, nous n’avons pas attendu pour prendre à bras-le-corps ce phénomène.

Dès 2018, nous avons engagé un plan volontariste et ambitieux pour combattre le harcèlement à l’école autour de trois grands axes : prévenir, intervenir, former.

Prévenir, tout d’abord : nous avons pris en la matière un certain nombre de mesures fortes, comme l’interdiction du téléphone portable au collège, qui est désormais effective – c’est très important –, le dialogue avec les plateformes de réseaux sociaux, le lancement de cinq campagnes de prévention autour des thèmes suivants : revenge porn, rôle des témoins, dynamiques de groupe, école primaire, cyberharcèlement. J’ai effectué, sur cette question, de nombreux déplacements au sein des établissements, souvent avec Mme Macron, qui en a fait un thème de mobilisation.

Face à ces agissements, nous l’avons toujours dit, aucun élève ne doit être laissé seul. C’est pourquoi le ministère finance deux numéros d’écoute, le 3020 pour le harcèlement et le 3018 pour le cyberharcèlement, en partenariat avec l’association e-Enfance.

J’étais justement en déplacement avec Mme Macron, tout récemment, pour promouvoir une nouvelle étape du 3018 via le lancement d’une application pour téléphone mobile permettant aux élèves de signaler en temps réel un cyberharcèlement dont ils sont l’objet. Cette application est facile d’accès et d’utilisation ; elle permet notamment les échanges par courriel, tchat et WhatsApp.

Il est nécessaire aussi de développer un réseau d’acteurs dont la prise en charge du harcèlement est en quelque sorte le « métier ». C’est pourquoi nous avons travaillé à améliorer la prise en charge des situations de harcèlement en renforçant la formation initiale et continue des professeurs, qui intègre désormais cette dimension de façon systématique, et en développant le dispositif des élèves ambassadeurs, qui permet la sensibilisation entre pairs, mais aussi en publiant des ressources et des guides pour les personnels, les élèves et leurs familles.

Nous avons également, à la rentrée 2021, complété le dispositif en lançant ce que nous appelons le « carré régalien », organisé selon quatre axes ayant trait à la vie scolaire des élèves : la laïcité et les valeurs de la République, la lutte contre la radicalisation, la lutte contre les violences, la lutte contre le harcèlement. Des professionnels affectés au traitement de ces sujets viennent en appui des établissements dès que cela s’avère nécessaire.

À la rentrée 2022, nous aurons franchi un nouveau cap avec la généralisation, au cours de la présente année scolaire, du programme pHARe à toutes les écoles et à tous les collèges. Celui-ci s’inspire en partie du programme finlandais KiVa, la Finlande faisant partie des pays qui ont particulièrement bien réussi dans le domaine de la lutte contre le harcèlement. Notre pays peut devenir ainsi un exemple de ce qui se fait de mieux au monde en la matière.

Très concrètement, nous dotons les établissements d’un référent harcèlement, de personnels formés à la détection et au traitement des situations, ainsi que d’élèves ambassadeurs pour le signalement. Ce programme est déjà une réalité sur le terrain, dans une bonne partie des établissements.

Les familles sont associées à cet effort collectif, via la mise à disposition de ressources accessibles en ligne ou l’organisation de moments de rencontre avec les professeurs et les personnels de direction. Ces initiatives importantes rejoignent ce que j’avais moi-même mis en place, lorsque j’occupais d’autres fonctions, avec la « mallette des parents », car on sait combien l’implication des familles est décisive pour prévenir ce type de situation.

La méthode utilisée, appelée Pikas, a fait ses preuves, car elle permet aux adultes de repérer les « signaux faibles » et d’intervenir rapidement pour protéger les victimes, tout en amenant les auteurs à une prise de conscience. Lorsque vient le moment de la sanction, en effet, il est souvent déjà trop tard…

Une méthode s’applique, donc, établissement par établissement, avec des équipes formées et un traitement de chaque situation.

L’objectif est très simple : aucun cas de harcèlement ne doit rester sans réponse.

Si nous voulons lutter efficacement contre le harcèlement en milieu scolaire, nous devons sortir d’une logique exclusivement défensive pour passer à l’offensive, ce qui revient à dire que nous menons une politique du « climat scolaire ». En effet, le harcèlement est d’une certaine façon le résultat d’une dégradation du climat scolaire. Ce que nous devons viser, c’est tout simplement l’installation d’un climat scolaire fraternel, à base d’engagement notamment.

Avec le Conseil d’évaluation de l’école, que nous avons créé par la loi pour une école de la confiance, nous sommes désormais en mesure d’évaluer le climat scolaire dans chaque établissement, afin de disposer d’un état des lieux et, le cas échéant, de prendre des mesures adéquates.

Il nous faut également chercher à promouvoir l’engagement des élèves, leur sens de l’intérêt général, du civisme et de l’empathie, ces « compétences douces » qui sont si importantes. C’est ce que nous faisons en menant un travail sur les compétences psychosociales dès l’école maternelle. Lorsque j’ajoute « respecter autrui » à « lire, écrire, compter », cet ajout participe évidemment de cet objectif. Nous élevons ce « respecter autrui » au rang de compétence fondamentale dès l’école primaire ; cela va de pair avec le renforcement de l’enseignement moral et civique et de l’éducation aux médias et à l’information.

Nous avons par ailleurs créé, outre les ambassadeurs « Non au harcèlement », 250 000 écodélégués, afin de diversifier les formes d’engagement des élèves. Nous avons aussi promu les prix « Non au harcèlement », que nous avons étoffés en créant un prix spécifique à la lutte contre le cyberharcèlement. Ces prix donnent lieu chaque année à des travaux remarquables dans les classes ; je vous invite par exemple à consulter la vidéo réalisée par les élèves lauréats du prix « Non au harcèlement » 2020, qui a fait, depuis, le tour du monde – 48 millions de vues !

Il faut citer également, en bout de chaîne, le service national universel (SNU) et les services civiques, à 16 ans et au-delà, qui constituent une forme d’accomplissement du parcours citoyen, avec un effet rétroactif sur tout ce qui précède – le service national universel, rappelons-le, permet d’envoyer un signal quant à l’engagement des élèves en amont du SNU lui-même. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que de jeunes engagés en service civique puissent être mobilisés pour participer à la mise en œuvre du programme pHARe dans les écoles et les établissements – ce sont souvent ces jeunes qui parlent le mieux aux élèves de tels sujets.

La proposition de loi qui vous est soumise vient donc couronner cette dynamique générale.

Elle apporte une nouvelle pierre à l’édifice, en élargissant la base légale du harcèlement scolaire, que nous avions déjà commencé à poser via la loi pour une école de la confiance, et en créant un délit spécifique de harcèlement scolaire.

Sur plusieurs autres points, elle complète l’action engagée à travers le programme pHARe notamment. Je pense en particulier au rôle des associations, dont certaines ont participé activement à l’élaboration de ce dispositif.

Elle permet surtout, mesdames, messieurs les sénateurs, d’envoyer un message très clair à la Nation tout entière : non, le harcèlement n’a pas sa place dans nos établissements. Oui, l’école doit rester, selon la fameuse formule de Jean Zay, cet « asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ».

Durant ces cinq années, nous avons beaucoup fait pour l’égalité : école à 3 ans, classes dédoublées, opérations Devoirs faits et Vacances apprenantes, cités éducatives, internats d’excellence, petits-déjeuners gratuits… Nous avons beaucoup fait, également, pour la liberté : personnalisation des parcours, avec les réformes du lycée et de la voie professionnelle – offrant ainsi beaucoup plus de choix aux élèves –, refonte de l’orientation pour ouvrir le champ des possibles, autonomie accrue des établissements, création d’une fonction de directeur d’école – là aussi, le Sénat a pris toute sa part…

La liberté et l’égalité ont donc été des clés de notre politique scolaire.

Avec cette proposition de loi, on voit aussi que la troisième valeur de notre devise républicaine est au centre de l’action menée. Cette valeur si essentielle pour notre République, donc pour notre école, j’y ai fait référence pour évoquer le climat scolaire ; il s’agit bien sûr, vous l’avez compris, de la fraternité.

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