« Bonjour ! Comment vous appelez-vous ? » « Et toi, c’est quoi ton nom ? » Telles sont les premières questions que l’on pose. Le nom, c’est notre identification et notre différenciation.
Aussi, je voudrais saluer Mme le président – Mme Gruny –, M. le garde des sceaux – M. Dupond-Moretti –, M. le président de la commission des lois – M. Buffet –, et vous tous, mes chers collègues, individuellement – je n’ai pas le temps, bien que j’en aie l’envie, de vous citer personnellement.
L’annonce que vous avez faite, monsieur le garde des sceaux, selon laquelle il sera bientôt possible de choisir son nom de famille une fois dans sa vie, a suscité beaucoup d’espoir, mais aussi quelques craintes.
La commission a évidemment été sensible aux situations particulières décrites par les initiateurs de ce texte et a souhaité y apporter une réponse, tout en restant attentive à préserver l’intérêt de l’enfant, à ne pas trop alourdir les charges qui pèsent sur les services d’état civil et à prendre en compte les conséquences pratiques que cette réforme pourrait entraîner.
À ce jour, personne ne peut évaluer le volume de demandes qui seraient à traiter si cette procédure déclarative entrait en vigueur.
Selon un sondage de l’Institut français d’opinion publique, l’IFOP, commandé par le journal L ’ Express, 22 % des Français souhaiteraient changer de nom de famille si cette loi était adoptée, ce qui est considérable et inattendu.
Compte tenu de ces enjeux, la proposition de loi méritait de bien meilleures conditions d’examen. Nombre d’interlocuteurs m’ont fait part de leur incompréhension du choix de la procédure accélérée pour un texte ayant de telles répercussions, tant du point de vue de la famille que de l’organisation des services de l’État.
À l’origine de ce texte se trouve la volonté de résoudre les difficultés rencontrées par certains parents dans leur vie quotidienne lorsqu’ils ne portent pas le même nom que leur enfant. Je dis « ils », mais il s’agit, dans la grande majorité des cas, de mères, puisque 80 % des enfants portent le nom de leur père.
Le droit existant permet déjà d’utiliser dans la vie de tous les jours, à titre de nom d’usage, l’adjonction des deux noms de ses parents. Pour les mineurs, cette faculté suppose d’abord l’accord des deux parents exerçant l’autorité parentale ou du juge aux affaires familiales, le JAF, en cas de désaccord.
L’article 1er propose de permettre une substitution de nom à titre d’usage, et non plus la seule adjonction. Il autoriserait par ailleurs un parent à ajouter unilatéralement son nom au nom de l’enfant, toujours à titre d’usage, moyennant l’information préalable de l’autre parent qui pourrait saisir le JAF s’il conteste cette initiative.
La commission n’a adopté qu’une partie seulement de ce dispositif. Pour les majeurs, elle a approuvé la substitution. Cela apporterait une solution rapide aux personnes majeures qui souffrent dans leur vie quotidienne de devoir utiliser le nom d’un parent maltraitant, malfaisant ou délaissant. Cela leur permettrait également de tester l’opportunité d’un changement de nom avant d’entamer la procédure adéquate pour modifier ce dernier à l’état civil.
En revanche, s’agissant des mineurs, la commission a pris en compte le fait qu’un enfant ne fait pas de différence entre son nom d’usage et son nom de famille. Le faire connaître dans la vie de tous les jours sous un autre nom équivaut, en pratique, à lui faire changer de nom. Or le nom est un élément essentiel de sa construction.
Cette dimension du nom d’usage ne semble pas avoir été suffisamment prise en compte par les députés. Dans l’esprit de certains, on a l’impression que le nom d’usage ne serait qu’une mention administrative sur une carte d’identité, mais c’est faux ! Pour l’enfant, ce sera le nom par lequel sa maîtresse va l’appeler, celui qui figurera sur son titre de transport et ses relevés de notes.
Si le but de l’article 1er n’était que de faire apparaître le nom de la mère sur la carte d’identité de l’enfant, alors une loi n’était pas nécessaire. Il suffirait de demander au ministère de l’intérieur de changer le format de la carte d’identité pour le mentionner.
Pour cette raison, la commission est défavorable à une substitution de nom à titre d’usage pour les mineurs. Cette disposition risquerait d’ailleurs d’exacerber les conflits familiaux et de susciter davantage de contentieux qu’il n’en existait jusqu’à présent.
La commission n’a pas souhaité non plus accepter la solution, proposée par les députés, qui permettrait à un parent de décider seul d’adjoindre, à titre d’usage, son nom de famille au nom de l’enfant s’il en informe préalablement et en temps utile l’autre parent, pour que celui-ci puisse saisir le JAF en cas de désaccord.
Cette disposition pourrait créer des situations instables dans lesquelles l’enfant serait nommé différemment selon qu’il se trouve chez son père ou chez sa mère et devrait revenir à son nom d’origine si le juge considérait qu’il n’était pas dans son intérêt d’y adjoindre l’autre nom.
Par ailleurs, n’étant pas informés de la saisine du JAF, les services des préfectures eux-mêmes ne pourraient savoir s’ils peuvent, ou non, délivrer un titre d’identité ou de voyage comportant le nom d’usage.
Il nous a semblé que le droit existant était finalement plus protecteur pour l’enfant, puisqu’il comporte l’exigence d’un accord des deux parents ou, en cas de désaccord, d’une autorisation du JAF.
Il existe déjà des solutions pratiques aux situations décrites par les mères seules. Il faudrait que le choix du nom d’usage soit un sujet systématiquement abordé avec le père lors de la séparation, au même titre que la résidence habituelle, le droit de visite et d’hébergement ou le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.
De même, si le père est absent ou fait de l’obstruction systématique, la mère peut toujours demander l’exercice exclusif de l’autorité parentale et peut décider seule du nom d’usage de l’enfant.
L’article 2, qui focalise toute l’attention, permettrait à tout majeur, une fois dans sa vie, de choisir son nom par simple déclaration à l’officier d’état civil, de la même manière que les parents peuvent le faire pour leurs enfants depuis 2005.
Cet article semble résulter à la fois d’un souci sincère de répondre à des situations individuelles difficiles et d’une volonté assumée de procéder à une simplification administrative qui permettrait à l’administration centrale du ministère de la justice de transférer partiellement la charge de la procédure de changement de nom aux communes.
Cette idée, qui peut sembler logique et séduisante, est loin de faire l’unanimité auprès des juristes et des professionnels du droit que j’ai entendus.
En faisant du changement de nom un acte administratif banal, alors qu’il s’agit aujourd’hui d’une démarche exceptionnelle, la proposition de loi entraînerait des bouleversements qui risqueraient de susciter de nombreuses difficultés personnelles et administratives, sous couvert de simplification. Or il semble que celles-ci n’aient pas été toutes envisagées ou, à tout le moins, qu’elles aient été sous-estimées.
Outre un nombre accru de demandes de titres – cartes nationales d’identité et passeports – auquel il aurait à faire face, le ministère de l’intérieur devrait concevoir de nouveaux outils pour que l’identification des personnes figurant dans ses fichiers soit mise à jour en temps réel, tout en adaptant le cadre réglementaire nécessaire après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.
En effet, il ne dispose pas de la possibilité de s’interconnecter avec le répertoire national d’identification des personnes physiques tenu par l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’Insee, comme le fait le ministère de la justice.
Les avocats, par la voix du Conseil national des barreaux, entrevoient également des difficultés à venir dans leurs rapports avec l’administration, en l’absence d’un accompagnement par des dispositifs techniques de mise à jour globale et uniforme des données de l’état civil.
Tout ceci ne peut être balayé d’un revers de main au motif qu’il s’agit d’intendance et que l’intendance suivra.
La commission a estimé qu’il fallait maintenir une procédure centralisée et formelle, car le changement de nom est un acte structurant, juridiquement et psychologiquement, qui a des impacts à très long terme sur la personne et les membres de sa famille – en particulier les enfants mineurs, qui changent de nom par ricochet. Elle est consciente des obstacles qui existent pour changer de nom dans certaines situations et vous proposera un amendement visant à simplifier plus encore la procédure.
Il s’agirait de créer une procédure spécifique auprès du ministère de la justice, qui pourrait mettre en place à cet effet une téléprocédure assortie d’un formulaire du centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs, ou Cerfa, pour une meilleure accessibilité. La décision finale serait prise par arrêté du ministre de la justice, et non plus par décret du Premier ministre comme cela était initialement proposé, ce qui allégerait considérablement la procédure.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, le nom, c’est toute une histoire : une histoire qui est belle, ou quelquefois laide ; claire, ou quelquefois noire ; sombre, ou quelquefois en couleurs. Mais le nom est aussi quelquefois une histoire d’amour. Quand Juliette dit « Ô Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer, et je ne serai plus une Capulet », Juliette aime Roméo, non un Montaigu !
Quelquefois, néanmoins, les histoires de nom sont des histoires de désamour, des histoires de souffrance.
Mes chers collègues, faut-il modifier la loi, oui ou non ? Faut-il changer la loi pour un oui ou pour un non ? C’est cette question que nous devons nous poser pour trouver une solution solide, juridiquement forte et simple, pour répondre aux demandes de nos concitoyens, pour faciliter la vie des parents et pour prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants d’aujourd’hui et surtout de demain.