Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais commencer par remercier Marie Mercier, notre rapporteur, de la série d’auditions qu’elle a conduites et auxquelles j’ai pris un plaisir tout particulier à participer, puisqu’elles nous ont permis de préparer le débat de ce jour.
Je voudrais saluer la présence en tribune de l’auteur de la proposition de loi, notre collègue Patrick Vignal, député de l’Hérault. Par sa présence ici, il témoigne de l’intérêt qu’il porte à nos travaux.
Mes chers collègues, légiférer sur le nom est tout sauf anodin. Le nom relève de l’intime, mais ce qui fait la singularité de cet intime, c’est qu’il revêt une dimension à la fois individuelle et collective.
En effet, le nom est le marqueur d’une filiation, de l’appartenance à une famille. Il proclame aux yeux des tiers l’identité unique et singulière propre à chaque personne. C’est grâce à ce nom que l’être humain est identifié et distingué par la société, mais aussi qu’il s’inscrit dans une histoire et dans une trajectoire personnelle, familiale et sociale.
Cependant, le nom renvoie aussi à une réalité sociale : celle de la prégnance de nos coutumes, de nos traditions, de nos mœurs. Le nom est le fruit d’un héritage culturel et social.
Si, depuis les années 1980 – comme M. le garde des sceaux l’a rappelé tout à l’heure –, l’usage du terme « patronyme », renvoyant au nom du pater familias, au père de famille, tend à s’estomper, c’est principalement dû à l’action du législateur, qui a tenu à rendre à la mère la place qui devait être la sienne dans l’attribution du nom de son enfant.
En effet, héritage du code civil de 1804et de la loi du 6 fructidor an II, le nom, tant de famille que d’usage, transmis aux enfants a longtemps été strictement et uniquement celui du père.
L’article 43 de la loi du 23 décembre 1985, dite « Badinter », est venu rompre avec cet usage et cette habitude. Il a en effet permis à toute personne majeure ou mineure d’adjoindre à son nom, à titre d’usage, le nom du parent qui ne lui avait pas été transmis à la naissance, ouvrant ainsi la possibilité aux enfants d’ajouter le nom de leur mère à celui de leur père.
Intervint ensuite la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, votée sous le gouvernement de Lionel Jospin, qui a supprimé la transmission automatique et exclusive du nom du père. Elle a ainsi permis aux parents de choisir le nom de famille de leur enfant : soit celui du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre de leur choix.
Enfin, la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a complété ce dispositif dans un souci de meilleure égalité entre les parents.
Pourtant, malgré les évolutions successives du droit et l’existence de possibilités nouvelles, les chiffres fournis par l’Insee en 2019 nous apprennent que, parmi les enfants nés en France cette année-là, 81, 4 % ont reçu le nom de leur père, 11, 7 % portent un double nom et seulement 6, 6 % portent le nom de leur mère. Cette réalité participe à une « invisibilisation » du nom des mères auprès de leurs enfants.
Comme le résume si justement et si tristement Marine Gatineau-Dupré, présidente du collectif Porte mon nom, « la mère donne la vie et, toute sa vie, elle va devoir le prouver ». Ces réalités ont des conséquences fâcheuses au quotidien pour les parents séparés et les familles recomposées. C’est en partie pour répondre à ces situations que notre collègue, le député Patrick Vignal, a rédigé cette proposition de loi.
Le texte qui avait été voté à l’Assemblée nationale nous semblait aller dans la bonne direction. Force est de constater qu’il n’a, hélas, pas été accueilli de la même manière par la majorité sénatoriale et par Mme le rapporteur. Je le regrette.
Quels étaient les objectifs de ce texte ?
Il s’agissait tout d’abord de faciliter les conditions de vie au quotidien des mères et des beaux-parents de familles recomposées.
L’ambition de cette proposition de loi était aussi de répondre à certaines violences et à certains traumatismes survenus dans le cadre intrafamilial – un enfant souhaitant, par exemple, se défaire du nom d’un père coupable d’inceste ou de féminicide.
Cette proposition de loi représentait également un espoir pour les personnes auxquelles le hasard de la vie a attribué un patronyme tristement célèbre. Porter le même nom qu’un terroriste, par exemple, peut constituer un poids pour les personnes concernées et ne facilite ni leur recherche d’emploi ni leur insertion professionnelle.
Pour certains et certaines de nos compatriotes, ce nom, que l’on doit normalement porter avec fierté, devient un poids, parfois même un boulet. Or en refusant la substitution pure et simple du nom d’usage pour les enfants, je crains, mes chers collègues, qu’indirectement nous ne laissions s’instaurer un climat favorable au harcèlement de ces enfants, notamment en milieu scolaire.
Ce texte se donnait aussi pour vocation de simplifier les procédures pour les parents en difficulté face aux lourdeurs administratives et aux frais suscités par de telles démarches.
La démarche de changement de nom peut effectivement durer plusieurs années – nous avons reçu plusieurs témoignages sur ce sujet – et même coûter cher si le demandeur finit par demander le concours d’un avocat. Il est évident que ces paramètres peuvent être de nature à décourager les familles en situation de précarité, notamment les femmes élevant seules leurs enfants.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) ne saurait voter ce texte, tel qu’il a été modifié par la commission des lois du Sénat.
Notre groupe a déposé des amendements susceptibles de trouver un équilibre subtil entre le texte sorti de l’Assemblée nationale et les apports rédactionnels bienvenus de Mme le rapporteur Marie Mercier.
Sur un sujet aussi sensible, je forme le vœu que nous n’ayons pas pour seul argument à opposer à cette loi, qui est tant attendue, l’hostilité de principe de telle ou telle corporation professionnelle. Je ne souhaite pas que nous ayons pour seule réponse à opposer à celles et ceux qui nous demandent cette loi la position de principe ou la réticence de principe d’un haut fonctionnaire, aussi responsable soit-il.
Mes chers collègues, nous passons notre temps ici, comme à l’Assemblée nationale et comme partout ailleurs, à plaider pour la simplification administrative. Pour une fois que nous avons l’occasion d’œuvrer pour cette dernière, qu’allons-nous expliquer à ces quelques milliers de Françaises et de Français qui nous demandent pourquoi ce qui est légitime et bon dans le domaine économique ne le serait pas aussi pour ce qui concerne le droit de la personne ?
En conclusion de mon intervention, je voudrais vous dire que tout changement législatif créera nécessairement une surcharge de travail et des évolutions administratives. Mais les fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales sont là pour exécuter les décisions souveraines du Parlement.
Je ne saurais accepter que les oppositions de principe de fonctionnaires, aussi responsables et respectables soient-ils, relevant de tel ou tel ministère ou de tel ou tel syndicat de fonctionnaires locaux, viennent entraver l’action du législateur.
En outre, que pèse cette surcharge de travail face aux souffrances des personnes que nous avons entendues et qui nous ont décrit les difficultés qu’elles portent avec elles, parfois depuis tant d’années ?
Répondre à cette question en toute conscience et de manière responsable, c’est ne pas céder à la tentation d’apporter des réponses homéopathiques et consentir à changer vraiment et réellement la loi.