Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le nom est un élément constitutif de notre identité. C’est lui qui, avant même la nationalité, le genre ou l’apparence physique, nous singularise. Le nom, c’est aussi la famille, cet écrin de valeurs et d’attachements premiers, ce lieu de solidarité, d’éducation et de transmission.
Le patronyme qui lui est indissociable est parfois multiséculaire, car près de mille ans d’épaisseur historique ont donné aux noms de famille, notamment français, une valeur patrimoniale exceptionnelle.
Parce qu’ils furent ceux des illustres ou des moins illustres personnages de notre roman national avant de devenir les nôtres, nous leur devons sauvegarde et protection. À l’instar de nos monuments, de nos paysages, de nos œuvres picturales ou littéraires, ils prennent part à la richesse de notre pays et contribuent à faire de nous un peuple singulier.
Inscrit dans le marbre de la loi révolutionnaire en 1794, le principe d’immuabilité du nom a consacré sa portée identitaire et patrimoniale. Jadis, en violer les usages exposait d’ailleurs à l’emprisonnement, voire à la dégradation civique.
Les dispositions du code civil relatives au nom de famille ne datent pas non plus d’hier et font écho à ce qui constitue la structure familiale traditionnelle. Cette proposition de loi modifie donc une très ancienne législation, ce qui doit nous inciter à n’y toucher que « d’une main tremblante ».
Cela étant, la famille et les liens qui lui sont propres se sont transformés au cours des dernières décennies. Le modèle de la filiation légitime et de la prééminence du père ne va plus de soi. Il serait désuet, pour ne pas dire rétrograde, de postuler la primauté du lien de la filiation paternelle sur celui de la filiation maternelle.
Il y a plus de vingt ans, un rapport d’information sénatorial constatait déjà que la famille dite « légitime » ne constituait plus l’alpha et l’oméga de l’organisation sociale. À bon droit, le législateur a par la suite voté un certain nombre de textes pour accompagner ces évolutions et leur donner un cadre juridique propre.
Il nous appartient aujourd’hui de poursuivre cette adaptation pour répondre aux exigences de notre époque et à l’aspiration de nos concitoyens à une plus grande liberté.
C’est la raison pour laquelle les assouplissements prévus à l’article 1er sont les bienvenus. Ils épargneront notamment à de trop nombreuses femmes l’humiliation de voir leur maternité mise en doute.
Je salue également le travail de Mme le rapporteur, Marie Mercier, qui a su trouver le bon équilibre entre une procédure certes trop longue et fastidieuse et la simple déclaration devant un officier d’état civil. Ce dernier ne saurait, seul et sans nul autre élément qu’un formulaire Cerfa, décider de la substitution d’un nom de famille à un autre.
À cet égard, la nouvelle rédaction de l’article 2 conforte la gravité et la dimension presque solennelle d’un changement de nom, quels qu’en soient le motif et la nature. Je défendrai d’ailleurs des amendements aux fins de parfaire ces adaptations et de prévenir les risques d’une décision spontanée et irréfléchie.
Pour autant, certains témoignages nous obligent, notamment ceux de ces milliers de Français qui portent leur nom, il est vrai, comme un accablant fardeau.
Chacun de nous, mes chers collègues, a pris connaissance de ces récits poignants dont il émane une réelle attente. Et pour cause : c’est précisément parce qu’un nom n’a rien d’insignifiant qu’en changer plus aisément peut et doit pouvoir libérer d’une souffrance qui ne l’est pas davantage.
C’est à la croisée de ces enjeux qu’intervient cette proposition de loi. D’une part, il faut adapter notre droit aux évolutions de la société et aux attentes de nos concitoyens ; de l’autre, on ne doit pas rompre le fil de la transmission de ces noms, qui constituent, je le redis avec force, des repères historiques et patrimoniaux irremplaçables.
Je voterai cette version, rendue plus cohérente et plus sage par la commission des lois, de la proposition de loi.