Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Hitler rêvait de réunir à Linz les plus grands chefs-d’œuvre pillés dans les territoires occupés, à commencer par les galeries d’art et les collections privées des juifs de France, sur fond de rafles et de déportations.
À l’époque où Paris était la première place mondiale du marché de l’art, la plupart des galeries appartenaient à des juifs, à l’image de la galerie Zborowski, rue de Seine, du nom du marchand d’art et ami de Modigliani.
Le gouvernement du maréchal Pétain a non seulement laissé le champ libre aux spoliations, mais il les a aussi favorisées. Des milliers de tableaux, de sculptures et d’instruments de musique, ainsi que des millions de livres ont été pillés, triés, entreposés au musée du Jeu de Paume et au Palais de Tokyo, avant d’être disséminés sur le territoire du Reich, jusque dans les sous-marins allemands.
Au cœur des plus sombres pages de l’histoire, des femmes et des hommes se sont démarqués par leur humanité, leur intelligence et leur courage hors du commun.
Rose Valland en fait partie. Cette jeune femme travaillait au Jeu de Paume et comprenait l’allemand ; elle a subtilisé les données relatives aux provenances des nombreuses peintures et sculptures qui transitaient par le musée avant de quitter la France. Au lendemain de la guerre, ses notes ont permis de récupérer 100 000 œuvres d’art, dont 2 000 n’ont pas encore été restituées à leurs propriétaires ou ayants droit.
En 2012, la presse allemande a révélé la découverte d’un millier d’œuvres entassées dans un appartement munichois appartenant au fils de Gurlitt, l’acheteur officiel à Paris pour le musée d’Hitler. Cette affaire a conduit le gouvernement allemand à présenter une loi visant à abolir le délai de prescription pour ce qui concerne la restitution des biens spoliés.
Dans la continuité du discours fondateur du Président Chirac du 16 juillet 1995, le Premier ministre Édouard Philippe a donné un nouvel élan aux travaux de restitution. Plus de quatre-vingts ans après les premiers vols, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise, pour la première fois, à rendre quinze œuvres d’art spoliées durant la Seconde Guerre mondiale aux ayants droit de leurs propriétaires.
De nombreuses autres restitutions sont à l’étude. Nous devons intensifier ce travail et l’étendre aux milliers d’instruments de musique et aux millions de livres volés. Pour certaines familles, un violon, une torah ou un tableau constitue l’unique héritage, à la valeur sentimentale inestimable, laissé par leurs ancêtres disparus.
Madame la ministre, un effort de recherche des provenances doit être engagé dans le secteur de la musique. Pour cela, il faudrait imposer aux maisons de vente d’indiquer la provenance des instruments de musique et centraliser les archives détenues par les luthiers, dans le cadre d’une nouvelle mission attribuée au Centre national de la musique, en partenariat avec le Musée de la musique. Nous devons former des experts à la recherche de provenance, dans le cadre, par exemple, d’un diplôme universitaire.
Il est du devoir de tous et, en particulier, des personnes n’appartenant pas à la communauté juive d’honorer la mémoire des victimes et de leurs familles. Je crois à la force du récit, à l’importance de la transmission des histoires individuelles et de l’histoire collective. À l’heure où les derniers témoins disparaissent, nous devons plus que jamais lutter contre l’oubli ou la négation du génocide et l’instrumentalisation politique des faits historiques.
L’antisémitisme n’est pas mort avec Hitler. Une nouvelle forme émerge depuis des dizaines d’années ; il faut voir la réalité en face.
Partout en France, des familles juives sont inquiétées, harcelées, agressées. Il y a seize ans, Ilan Halimi ; il y a dix ans, l’école juive Ozar Hatorah ; il y a sept ans, l’Hyper Cacher ; il y a cinq ans, Sarah Halimi, puis Mireille Knoll. Des flots de haine à l’encontre des juifs sont répandus chaque jour sur les réseaux sociaux. Des cimetières sont profanés. Des enfants sont changés d’école régulièrement pour les protéger d’un antisémitisme décomplexé. Tel est bien l’enjeu de la reconnaissance permise par ce texte.
Pour ma part j’ai eu le privilège de siéger aux côtés de Simone Veil au bureau exécutif de l’association des adhérents directs de I’UDF, l’Union pour la démocratie française. Cette grande dame de l’histoire de France, remarquable d’intelligence et de modestie, continuera d’inspirer d’autres destins. C’est toute la grandeur de ces personnalités, qui se mesure avant tout par leur attachement à placer leur vie au service d’une cause située au-delà d’eux-mêmes. J’aimerais lui rendre hommage aujourd’hui.