Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 15 février 2022 à 14h30
Restitution ou remise de biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites — Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où certains tentent de réhabiliter le régime de Vichy dans le débat public, c’est avec émotion que je m’exprime aujourd’hui sur ce texte de réparation, de mémoire et de vérité.

Je dédie cette très modeste intervention de discussion générale à ma grand-tante, Victoria Matalon, qui avait émigré de Smyrne vers Marseille dans les années 1920 et qui fut déportée à Auschwitz-Birkenau avec sa famille.

L’art fut l’un des piliers de la politique nazie. Moins d’une semaine après la prise de Paris, en juin 1940, des officiers allemands dressent la liste des œuvres, scellent les collections et pillent tableaux, sculptures et livres rares. Ne l’oublions pas, cette spoliation sera également organisée par le régime de Vichy, conformément à sa politique antisémite. Celle-ci atteint son paroxysme avec l’adoption de la loi du 22 juillet 1941, lorsqu’est ordonnée la confiscation de tous les biens juifs non encore bloqués.

Le travail de restitution effectué lors de la Libération fut considérable, certes, mais incomplet. La mission Mattéoli estime que, sur les 100 000 œuvres spoliées, 60 000 furent rapatriées et 40 000 rendues à leurs propriétaires. Environ 2 000 d’entre elles sont aujourd’hui présentes dans nos musées, sous le statut particulier de « MNR », qui facilite leur restitution.

Cependant, d’autres pièces, pour lesquelles la trace de la spoliation avait disparu au cours du temps, se trouvent dans les collections publiques de nos musées. Parce qu’elles sont protégées par l’article L. 451-5 du code du patrimoine, qui les qualifie d’« inaliénables », seule la voie législative peut acter un transfert de propriété de ces œuvres. C’est donc une partie tragique de notre histoire que nous réparerons en les déclassant pour les restituer.

Je ne doute pas que le travail de la mission consacrée à la recherche et à la restitution des biens culturels spoliés permettra la restitution de nombreuses œuvres dans un avenir proche. Il est indispensable d’octroyer des moyens supplémentaires à cette mission, pour lui permettre de développer son activité.

J’estime également qu’il est de notre devoir de travailler à l’établissement d’une loi-cadre, afin de faciliter ce processus de restitution démesurément dépendant d’un calendrier législatif souvent surchargé.

Je voterai donc pour ce texte, dont la portée historique met en lumière les stigmates de notre passé et la difficulté à corriger celui-ci, à une époque où, je le rappelle, notre société se retrouve menacée par des courants politiques révisionnistes et antisémites.

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