Intervention de Sébastien Meurant

Réunion du 15 février 2022 à 14h30
Restitution ou remise de biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites — Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Sébastien MeurantSébastien Meurant :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous nous apprêtons à voter va dans le sens de l’histoire, et nous pouvons nous en féliciter. Nous permettons ainsi la réparation de terribles spoliations qu’ont vécues, souvent au prix de leurs vies, des familles juives sous l’occupation allemande.

Nous serons unanimes à reconnaître la volonté de toutes les institutions de « réparer », avec toute la mesure que ce mot implique, ce terrible chapitre de notre histoire.

Ma réflexion, dans le temps qui m’est imparti, porte sur le cas précis de l’œuvre de Maurice Utrillo intitulée Carrefour à Sannois, acquise et conservée depuis plus de vingt ans par Sannois, ville de mon département.

Cette œuvre, payée avec des fonds publics, fera l’objet d’une restitution – la ville s’y est déjà engagée dans une délibération prise en mai 2018 –, et ce dès que la loi sera applicable.

Cela dit, la commune et le département ont engagé en 2004 une somme considérable, plus de 100 000 euros, pour faire l’acquisition de ce tableau lors d’une vente aux enchères organisée par la célèbre maison Sotheby’s. Le projet de l’époque consistait à enrichir le fonds patrimonial du musée Utrillo-Valadon situé à Sannois, une ville que le célèbre peintre de Montmartre avait pris pour habitude de coucher sur la toile, car il y séjourna quelques années.

Dans cette affaire, la ville de Sannois a souhaité que Sotheby’s Londres reconnaisse sa responsabilité au titre d’expert et de professionnel de l’art. Des discussions ont été engagées, mais sont à ce jour restées vaines.

Sotheby’s justifie son refus de participer financièrement à la restitution du tableau d’Utrillo par le fait que l’accès aux informations transcrites dans les fichiers de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, l’organe chargé dès 1940 de la confiscation des biens appartenant aux juifs, n’était pas possible au moment de la présentation de la toile en vente publique à Londres en juin 2004.

Malgré plusieurs échanges en 2019 par l’intermédiaire d’une avocate spécialisée dans le domaine de la spoliation, Sotheby’s oppose à la ville une fin de non-recevoir et refuse toute négociation d’une indemnisation reconnaissant sa responsabilité morale dans la vente de l’œuvre spoliée, en se fondant sur le droit britannique. Les élus de la commune n’ont par conséquent pas souhaité intenter une action judiciaire, dont l’issue semblait incertaine et le coût trop important.

Alors que Sotheby’s France lance une grande action de recherche de l’origine des œuvres acquises par le Louvre entre 1933 et 1945, je m’interroge sur la responsabilité, en tant que professionnel de l’art, d’une maison internationale de vente aux enchères, experte dans la vente de tableaux.

Il semble inimaginable qu’une œuvre authentifiée, peinte au début du XXe siècle par un artiste dont la renommée était déjà faite avant-guerre, n’ait pas pu être suivie depuis sa conception jusqu’à la vente à la commune de Sannois, en 2004. L’origine de propriété aurait dû être assurée par Sotheby’s et, selon le cas, soit garantie, soit déclarée comme présentant un doute certain quant à la période de la guerre et d’après-guerre.

Madame la ministre, nous pensons que la commune de Sannois, à l’instar d’autres institutions ou particuliers, serait fondée à demander réparation et que la maison Sotheby’s, qui ne veut sûrement pas entacher sa réputation, devrait s’accorder avec les acquéreurs lésés et prendre ses responsabilités. Chacun doit contribuer, à sa mesure, à réparer les préjudices de la folie nazie.

Que comptez-vous faire dans le cas précis, au nom de l’État, pour aider la commune de Sannois dans sa demande, légitime, de réparation auprès de la société Sotheby’s ?

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