Ces deux textes proposent des éléments de réponse à des questions que le pouvoir exécutif a apparemment choisi, de manière difficilement compréhensible, de ne pas aborder : à sept semaines désormais du premier tour de l'élection présidentielle, le Gouvernement n'a prévu aucune mesure pour adapter aux conditions sanitaires les modalités d'organisation des scrutins à venir, pourtant majeurs pour la vie démocratique de notre pays.
Cette absence d'anticipation est d'autant moins compréhensible que le Gouvernement, en prolongeant jusqu'au 31 juillet la possibilité d'appliquer le passe sanitaire, puis vaccinal, considère lui aussi que les circonstances sanitaires des élections à venir demeurent incertaines. Or la persistance de l'épidémie de covid-19 pourrait faire peser un risque important tant sur la participation des électeurs aux scrutins présidentiel et législatifs que sur la sécurité sanitaire des personnes chargées de les organiser.
Par ailleurs, les conséquences de l'épidémie sur le déroulement de la campagne électorale, la tenue des meetings politiques et, plus généralement, la couverture audiovisuelle de la campagne méritent également d'être posées.
Je souscris donc pleinement aux objectifs poursuivis par ces deux textes.
Je vous proposerai tout d'abord de présenter les dispositions communes à ces deux textes, visant à aménager les conditions d'organisation des élections présidentielle et législatives en fonction du contexte sanitaire, avant d'aborder la disposition, propre à la proposition de loi organique, relative aux obligations pesant sur les médias audiovisuels pendant la campagne présidentielle.
S'agissant des mesures visant à adapter les conditions d'organisation des scrutins présidentiel et législatifs au contexte sanitaire, je soulignerai tout d'abord qu'elles correspondent quasiment toutes à des mesures déjà adoptées par le Parlement et mises en oeuvre lors des élections locales et territoriales de 2020 et 2021, et qu'elles ont, le cas échéant, démontré pleinement leur intérêt et leur efficacité. Il en va ainsi de l'assouplissement des conditions de vote par procuration, qui se traduit par deux dispositions : l'ouverture du droit à la double procuration, d'une part, et la facilitation de l'établissement des procurations à domicile, d'autre part.
Comme vous le savez, le droit pour chaque mandataire d'être porteur de deux procurations établies en France avait été consacré à titre provisoire par la loi pour le second tour des élections municipales ; cette disposition avait été reconduite pour les élections départementales et régionales de juin 2021.
Cette mesure revêt un intérêt pratique indiscutable, en facilitant, pour les électeurs ne souhaitant ou ne pouvant pas se déplacer au bureau de vote le jour de l'élection, la recherche de mandataires. Très concrètement, elle permet, par exemple, à un électeur de disposer d'une procuration pour ses deux parents ou ses deux grands-parents.
Si personne, parmi les élus et les électeurs, ne conteste la pertinence d'une telle mesure, l'obstacle qu'oppose le ministère de l'intérieur est, de manière quelque peu surprenante, d'ordre technique. Le répertoire électoral unique, opérationnel depuis le 1er janvier 2022, a été paramétré pour n'accepter qu'une seule procuration établie en France. Alors que, depuis deux ans, nous faisons face à une pandémie, ce choix est curieusement déconnecté de toute considération sanitaire et pratique.
En tout état de cause, il ne revient pas au Parlement de légiférer en fonction des difficultés techniques qui se poseraient au ministère de l'intérieur en raison de son propre manque d'anticipation. Aussi vous proposerai-je d'adopter cette disposition de bon sens.
Quant à l'établissement des procurations à domicile, ses modalités sont aujourd'hui strictement encadrées : l'électeur doit accompagner sa demande d'une attestation sur l'honneur de son incapacité à se déplacer dans une brigade de gendarmerie ou dans un commissariat en raison d'une maladie ou d'une infirmité graves ; il ne peut exprimer sa demande que par écrit.
Les propositions de loi organique et ordinaire déposées par notre collègue Philippe Bonnecarrère visent à reprendre le même dispositif que celui qui a été prévu lors du second tour des élections municipales de 2020, afin d'apporter à l'électeur plus de souplesse et de simplicité par rapport au droit en vigueur. Ainsi, toutes les personnes vulnérables qui souhaitent éviter de prendre le risque d'une contamination pourront établir ou retirer une procuration depuis leur domicile. Je vous propose d'adopter également cette disposition, qui permettra d'éviter que le contexte sanitaire ne constitue un frein à la participation électorale.
Par ailleurs, afin d'éviter une trop forte concentration des électeurs dans les bureaux de vote, sous l'effet d'une mobilisation que nous espérons forte, les propositions de loi organique et ordinaire visent à ouvrir aux préfets la possibilité d'augmenter le nombre de bureaux de vote. Il s'agit là d'une mesure proposée par notre commission des lois en octobre 2020 en vue des élections départementales et régionales prévues initialement en mars 2021 ; elle avait à l'époque été adoptée par le Sénat, mais n'avais pas été reprise par l'Assemblée nationale.
Aujourd'hui, le code électoral oblige les préfets à fixer le périmètre des bureaux de vote avant le 31 août de l'année précédant le scrutin. Avec la disposition prévue par les deux propositions de loi, ils auront la possibilité, après cette date, de dédoubler, si besoin, ces bureaux de vote dans des communes qui seraient marquées par une résurgence particulière de l'épidémie. Il s'agit d'un outil supplémentaire, qui nécessitera des mesures réglementaires d'application, mais dont il serait regrettable de se passer compte tenu du contexte sanitaire qui, malgré tout, demeure incertain.
Je précise que, pour les élections départementales et régionales de l'an dernier, nous avions voté une disposition permettant au maire de déplacer le lieu du vote en extérieur, par exemple dans la cour de l'école. Je ne vous ai pas proposé de reprendre cette disposition au stade de notre examen en commission, mais nous pourrons en reparler, au besoin, d'ici la séance publique.
J'en viens à présent à la disposition propre à la proposition de loi organique, relative à la couverture audiovisuelle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle.
Comme vous le savez, la campagne électorale est encadrée par des conditions strictes, qui s'articulent en trois périodes. Depuis le 1er janvier et jusqu'au 7 mars, veille de la publication de la liste des candidats, les médias doivent respecter un principe d'équité dans le traitement des temps de parole et des temps d'antenne accordés aux candidats déclarés ou présumés. À partir du 8 mars et jusqu'au 27 mars, nous passerons en période dite « d'équité renforcée » pour les temps de parole et d'antenne accordés aux candidats officiels, en tenant compte des horaires de diffusion. Enfin, pendant toute la période de la campagne officielle et jusqu'au vendredi précédant le deuxième tour, les médias devront respecter un principe d'égalité stricte dans le traitement des temps d'antenne et des temps de parole des candidats.
Tout en s'inscrivant dans ce cadre, la proposition de loi prévoit de le compléter pour obliger l'ensemble des médias audiovisuels placés sous la régulation de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui a succédé au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) le 1er janvier dernier, à consacrer, chacun, au moins quatre heures d'antenne par semaine aux débats structurant l'élection présidentielle.
L'idée de notre collègue Philippe Bonnecarrère est claire : il s'agit de compenser, par un traitement « renforcé » de la campagne électorale à la radio et à la télévision, la plus grande difficulté que rencontrent les candidats à faire campagne sur le terrain, compte tenu de la crise sanitaire, et la plus grande difficulté à mobiliser les sympathisants et les électeurs dans ce contexte.
Telle qu'elle est formulée, sa proposition de loi pose néanmoins plusieurs questions.
Tout d'abord, compte tenu de l'importance prise depuis une dizaine d'années par les chaînes d'information en continu, son objectif paraît en partie satisfait en pratique. Certes, certaines grandes chaînes généralistes - je pense notamment à TF1, à Canal+ en clair ou à M6 - se sont largement désengagées du traitement de l'actualité politique. Mais c'est notamment parce que ces chaînes appartiennent à des groupes qui ont choisi, dans le cadre de politiques éditoriales et d'organisation internes propres à chacun d'eux, de « spécialiser » certaines de leurs chaînes sur ces questions. Si l'on raisonne globalement, ou ne serait-ce que par groupe, l'objectif de consacrer au moins quatre heures par semaine à la campagne électorale est déjà largement satisfait - les chaînes d'information en continu retransmettent même désormais les grands meetings, dont les rediffusions sont également disponibles sur leur site Internet : l'information est donc bien disponible pour l'électeur qui souhaite s'informer.
De ce fait, la proposition de loi organique soulève un problème juridique. Pour s'immiscer dans la politique éditoriale et l'organisation interne des groupes, il faut un motif d'intérêt général fort. Or, comme on l'a vu, la campagne électorale bénéficie déjà d'un traitement par les médias : cela poserait problème en cas d'examen du dispositif par le Conseil constitutionnel.
J'ajoute, pour terminer, que cette proposition paraît difficile à mettre en oeuvre compte tenu de l'obligation faite à chaque chaîne d'annoncer ses grilles de programme au moins trois semaines avant leur diffusion. De plus, cela représenterait un coût pour les chaînes.
Il m'a donc semblé que cet article ne pouvait pas être adopté en l'état. Pourtant, il a le mérite de poser de vraies questions, notamment celle de la difficulté rencontrée par les candidats moins connus pour faire entendre leur voix. Il met également le doigt sur les travers d'une campagne qui se déroule, en quelque sorte, « en silo », chaque candidat faisant campagne de son côté sans que les propositions des uns et des autres ne soient véritablement débattues entre eux. Comme notre collègue Philippe Bonnecarrère, je déplore que le Président de la République, non seulement ne se soit pas encore déclaré candidat, mais qu'il ait en outre laissé entendre qu'il ne participerait à aucun débat avant le premier tour. Cette situation est regrettable et dommageable pour la mobilisation et la bonne information des électeurs, comme pour la qualité du débat démocratique de façon générale.
C'est ce qui m'a conduit à vous proposer un amendement tendant à rédiger différemment l'article 1er de la proposition de loi organique, en vue d'obliger l'ensemble des candidats à débattre entre eux avant le premier tour de l'élection présidentielle. Il appartiendrait aux candidats et aux différentes chaînes de s'entendre sur les modalités concrètes d'organisation et de diffusion de ce ou ces débats, sous le contrôle de l'Arcom et dans le respect des principes d'équité ou d'égalité applicables selon la période à laquelle le débat a lieu.
Tel est le sens de ma proposition, qui me paraît répondre de façon plus adéquate aux préoccupations ayant guidé nos collègues, mais qui pourra bien entendu faire l'objet d'évolutions d'ici la séance publique, pour tenir compte notamment des échanges que nous aurons entre nous ce matin.
Je conclurai en disant que ces deux textes proposent des dispositions bienvenues pour sécuriser le déroulement des élections à venir et prévenir le risque d'abstention. En conséquence, je vous propose d'adopter la proposition de loi organique ainsi modifiée, et la proposition de loi sans modification.