Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos premières pensées dans ce débat vont à nos soldats, aux femmes et aux hommes d’exception engagés dans la bande sahélo-saharienne. Leur combativité et leur abnégation méritent tout notre respect. Je veux leur témoigner, au nom de mes collègues, notre soutien résolu, notre fierté et notre reconnaissance profonde.
Aux cinquante-neuf soldats morts au Sahel pour la France, pour la défense de la liberté et de notre sécurité, ainsi qu’à leurs familles, je rends l’hommage déférent qui leur est dû. Leur mémoire restera intacte, la Nation n’oubliera jamais leur sacrifice. Nous pensons aussi avec affection à leurs frères d’armes blessés. Leur action n’a pas été vaine ; ils n’ont pas été vaincus.
Sans la contre-offensive réussie de l’opération Serval en 2013, lancée à la demande du président Traoré, la stratégie d’occupation territoriale des djihadistes aurait réussi et l’État malien se serait très probablement effondré.
Sans Serval, le Mali serait devenu un puzzle de territoires faillis ne disposant d’aucune cohésion étatique. Au contraire, le processus démocratique avait alors pu reprendre ; les régions du nord ont été libérées et la progression des djihadistes vers le sud a été stoppée.
Par la suite, la France n’a jamais ménagé ses efforts pour mobiliser, avec succès, ses partenaires européens et internationaux aux côtés des militaires de Barkhane, afin de contrer la stratégie d’expansion et de déstabilisation régionale des groupes armés terroristes au Sahel, c’est-à-dire, d’une certaine façon, aux frontières de l’Europe.
Je ne fais qu’évoquer les multiples succès tactiques et militaires obtenus au long de cet engagement.
Au cours des neuf dernières années, notre action commune a abouti à la création d’un cadre international solidaire et fiable permettant de répondre à ces défis. Ce cadre, scellé à Pau, n’est pas uniquement militaire. Il apporte aussi un soutien au déploiement de l’État, des administrations territoriales ou des services de base ; il concerne également la reconquête du contrôle de leur propre territoire par les États de la région. Il a abouti à l’Alliance Sahel, qui reste un acquis solide.
Cependant, au Mali, les multiples épisodes de formation ou de reformation de bandes armées terrorisant la population et prétendant combattre au nom de l’islam ont aussi été l’effet de défaillances répétées des autorités en place devant les échecs de développement, de la sous-scolarisation, facilitant des propagandes primitives, ou du discrédit lié à la corruption.
Plus largement que les gouvernements, dans l’ensemble des milieux responsables et dirigeants du Mali, dont les autorités religieuses, toutes les énergies n’ont pas été mobilisées pour rétablir le dialogue et organiser les forces de développement.
La persistance des attaques terroristes et la recréation de ces mouvements ne pouvaient pas être surmontées par les seules armées alliées, les forces maliennes étant souvent par ailleurs au-dessous de leurs missions.
Dans ce contexte, entendre les autorités de fait maliennes avancer que la France aurait failli à son engagement envers leur pays est tout simplement intolérable et irrespectueux envers nos soldats ; cela relève de la manipulation la plus médiocre.
Prenant le pouvoir à la suite de deux putschs successifs, la junte militaire malienne est revenue sur son engagement d’organiser des élections à brève échéance. Elle ne donne désormais plus aucune perspective de transition civile crédible avant 2025.
Je ne parle même pas de la mise en œuvre de l’accord de paix entre forces maliennes signé à Alger, qui ne progresse plus ; pis encore, il est quasiment jeté aux oubliettes.
Notre décision de quitter le Mali a été prise après que cette junte a multiplié déclarations et actions hostiles à notre égard et a tout fait pour entraver notre action militaire, laquelle nous avait pourtant été confiée par un gouvernement malien légal. C’est ainsi que nous avons été empêchés de survoler l’espace aérien malien et que notre ambassadeur a été contraint de quitter le territoire en urgence.
Nous ne pouvons donc qu’approuver pleinement le Président de la République, quand il dit que « nous ne pouvons pas rester engagés militairement aux côtés d’autorités de fait, dont nous ne partageons ni la stratégie ni les objectifs cachés ».
Nous prenons acte, avec responsabilité, du choix du pouvoir malien de s’écarter de tous ses partenaires constructifs.
La junte s’est enfermée dans une logique d’isolement, de provocation et de confrontation à l’égard tant de la Cédéao que de ses autres partenaires africains et internationaux. En agissant de la sorte, ce pouvoir de fait s’est aussi éloigné des intérêts et de la sécurité de sa propre population, d’autant plus qu’il a maintenant fait le choix de la société privée russe Wagner.
Comment ne pas condamner cette décision de préférer utiliser le peu de fonds publics disponibles pour rétribuer des mercenaires russes plutôt que pour financer le déploiement de services publics au bénéfice du peuple malien ou encore pour lutter contre la dégradation de la situation humanitaire et l’insécurité alimentaire ?
Nous connaissons le mode opératoire déstabilisateur de Wagner. Il passe par le recrutement et l’envoi d’agents militaires privés d’une zone de conflit à une autre, par l’intimidation de la population, par des violations répétées du droit international humanitaire, par l’alimentation de la violence et de l’instabilité, ainsi que par l’apparition de sociétés de concession et d’exploitation des ressources naturelles du pays, tout simplement afin de les piller.
Ce que je dis n’est pas une spéculation, cela correspond à ce qu’endure aujourd’hui la population centrafricaine et à ce qui s’est passé en Libye, en Syrie ou en Ukraine dans le Donbass. Les Maliens sont donc les premières victimes de cette situation.
De plus, l’expérience centrafricaine et l’observation des exactions des mercenaires russes contre la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca) ne peuvent que nous préoccuper s’agissant de la Minusma, d’autant qu’une fois les troupes françaises redéployées hors du Mali celle-ci ne disposera plus d’un soutien aérien français immédiat en cas de difficultés.
Dans ces conditions, le 13 décembre dernier, l’Union européenne a décidé de prendre des sanctions que nous devons évidemment soutenir.
Personne n’est dupe. Nous connaissons l’implication de la Russie dans la fourniture d’armes et le soutien matériel au déploiement de Wagner, au Mali comme ailleurs. Ne feignons pas de croire que la Russie n’a aucun agenda géopolitique au Sahel !
Nous ne sommes pas non plus dupes des activités de propagande et de manipulation de l’information. Certaines sont conduites à des fins politiques par des États tels que la Russie, la Chine ou la Turquie. D’autres sont menées par les autorités maliennes elles-mêmes pour détourner les critiques et les frustrations des Maliens. Ces activités ont certainement alimenté injustement le sentiment anti-français dans divers secteurs de la société malienne.
Nous le savons : la guerre de l’information fait rage au Sahel et il est à regretter que nous n’ayons que trop peu réussi à contrer ces attaques.
Monsieur le Premier ministre, il s’agit là d’une priorité importante : donnons-nous à l’avenir les moyens de mener efficacement cette contre-offensive de l’information, notamment en mobilisant notre audiovisuel extérieur.
Finalement, la réarticulation de notre engagement militaire au Sahel était nécessaire. Acté dès le sommet de N’Djamena avant d’être précisé en juin dernier par le Président de la République, le passage d’une logique d’opération extérieure à un dispositif de coopération accrue semble mieux adapté face à une menace qui s’est diffusée, et prolonge « l’esprit de Takuba » que vous avez évoqué, monsieur le Premier ministre.
Cette nouvelle logique partenariale sera déterminante pour que nous nous adaptions aux évolutions des groupes armés terroristes en Afrique de l’Ouest et à leur propagation vers les pays du golfe de Guinée.
Le Niger et le Tchad, qui ont quant à eux démontré leur solidité politique, seront des partenaires opérationnels essentiels. De même, en plus du G5 Sahel, l’initiative d’Accra, autour du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo et du Bénin, deviendra une base de mobilisation efficace.
Je veux en concluant saluer la volonté de « mettre davantage les populations au cœur de notre stratégie de lutte contre les groupes terroristes » et de sortir ces dernières de leur place de victimes pour en faire un « premier rempart contre ces groupes », comme, monsieur le Premier ministre, vous venez de le rappeler.
Ce « sursaut civil » ne doit pas être un vœu rituel. Il est impératif pour nous de réussir son accompagnement, en déployant des programmes civils et sociaux répondant aux besoins locaux. Nous restons aux côtés du peuple malien et nous maintenons l’espoir que le renouvellement de notre politique de développement saura y contribuer utilement.
C’est dans cet esprit de résistance que nous approuvons les choix cohérents, offensifs et solidaires du Président de la République, que le Gouvernement nous a présentés avec clarté.