Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la création d’une garantie à l’emploi pour les chômeurs de longue durée vise à donner une portée concrète au droit d’obtenir un emploi proclamé par le préambule de la Constitution de 1946.
Rendre effectif ce droit nécessite non seulement de créer des emplois, mais aussi d’aller à la rencontre des personnes qui en sont privées, de les accompagner vers et dans l’emploi et d’assurer leur formation professionnelle.
La privation d’emploi ne se réduit pas à la catégorie administrative des demandeurs d’emploi de longue durée, qui rassemble 2, 6 millions de personnes selon l’Insee. Elle concerne aussi de nombreuses personnes, découragées ou invisibles, qui n’apparaissent pas dans les chiffres du chômage. L’ampleur du phénomène, sa persistance et ses conséquences sur notre cohésion sociale justifient que tout soit mis en œuvre pour l’éradiquer.
À cette fin, la proposition de loi déposée par Patrick Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) mobilise plusieurs outils existants, relevant de l’économie sociale et solidaire, qui ont vocation à jouer un rôle complémentaire.
Premièrement, les contrats aidés concernent les personnes connaissant des difficultés d’accès à l’emploi, mais pouvant être orientées directement vers un milieu ordinaire de travail. L’employeur reçoit alors une aide à l’insertion professionnelle, pendant une durée limitée. Unifiés depuis 2010 dans le contrat unique d’insertion, ils prennent la forme du contrat d’accompagnement dans l’emploi dans le secteur non marchand et du contrat initiative emploi dans le secteur marchand. Ces contrats ont plus souvent été utilisés comme outil conjoncturel de réduction du chômage que comme véritable solution à l’appui des politiques d’insertion.
Afin de donner à ces contrats toute leur place dans la mise en œuvre et de la garantie à l’emploi et d’éviter l’alternance de mesures de freinage et de relance, qui compromet leur mobilisation rapide en période de crise, l’article 3 de la proposition de loi fixe à compter de 2023 un nombre minimum de 200 000 contrats aidés dans le secteur non marchand ; l’article 4 prévoit un minimum de 50 000 contrats aidés dans le secteur marchand.
Deuxièmement, l’insertion par l’activité économique (IAE) vise à faciliter l’insertion professionnelle de personnes éloignées de l’emploi, pendant une durée limitée en principe à vingt-quatre mois, au moyen de modalités spécifiques d’accueil et d’accompagnement au sein de structures spécialisées, les structures d’insertion pour l’activité économique (SIAE). L’IAE est devenue un instrument central des politiques de l’emploi, mais les ambitions quantitatives affichées par le Gouvernement, atteindre 240 000 postes dans l’ensemble des SIAE à la fin du quinquennat, restent encore très largement théoriques.
Afin de soutenir le développement du secteur, l’article 2 impose à compter de 2023 un minimum de 100 000 contrats au sein des entreprises d’insertion.
Troisièmement, l’expérimentation TZCLD constitue, dans les territoires concernés, la solution du dernier ressort, la voiture-balai de la garantie à l’emploi. Initiée en 2016, elle permet à des personnes privées durablement d’emploi d’être embauchées en CDI à temps choisi au sein d’entreprises à but d’emploi (EBE). En postulant que personne n’est inemployable et en visant l’exhaustivité, elle apparaît aujourd’hui comme la nouvelle frontière du développement des politiques de lutte contre le chômage d’exclusion.
L’article 1er, prenant acte du succès de cette expérimentation, vise à la pérenniser sans attendre 2026 et à accélérer son expansion. Le nombre de territoires participants serait quintuplé tous les deux ans, dans la limite des collectivités territoriales volontaires et du nombre de territoires encore non couverts. Sa cible serait également élargie aux personnes âgées de moins de 25 ans privées durablement d’emploi depuis six mois et domiciliées depuis au moins trois mois dans l’un des territoires participants.
Nous avons cependant entendu les réserves des acteurs de l’expérimentation, avec lesquels nous avons eu des échanges approfondis. Pour respecter le caractère de projet expérimental et la démarche du territoire, qui sont au cœur du dispositif TZCLD, il serait opportun de remplacer ces dispositions par une suppression du plafond actuel de soixante territoires, auquel il ne peut être dérogé que par un décret en Conseil d’État. Ainsi, tous les projets émergents remplissant les conditions du cahier des charges pourraient être admis dans l’expérimentation sans plus attendre, par arrêté du ministre chargé de l’emploi.
La proposition de loi vise également à orienter cet investissement en faveur de l’inclusion de chômeurs de longue durée vers des activités contribuant à la lutte contre la crise environnementale. Cette orientation n’apparaît pas contradictoire avec l’IAE, qui a depuis longtemps investi des activités liées au développement durable, comme la gestion des déchets. De même, dans les TZCLD, la transition écologique représente 38 % des activités des EBE.
Afin de systématiser une telle approche, l’article 3 prévoit que les aides au titre d’un contrat unique d’insertion ou d’un contrat initiative emploi ne peuvent être accordées que si le contrat porte sur des activités ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources.
Concernant les contrats aidés, dans le secteur marchand, l’article 4 conditionne l’aide au poste à l’atteinte par l’employeur de la neutralité carbone ou à son engagement dans la décarbonation de ses activités. Je considère que cette orientation est souhaitable si elle reste souple et ne conduit pas à limiter le développement de ces contrats.
Je veux le rappeler, l’expérimentation TZCLD et, plus généralement, la garantie à l’emploi portent en elles-mêmes la source de leur propre financement. En effet, le chômage de longue durée représente pour la collectivité un coût de plus de 30 milliards d’euros par an au titre des seules allocations chômage, sans compter ses conséquences en matière de consommation, de dépenses sociales et de recettes fiscales et sociales.
Par conséquent, lutter contre ce fléau qu’est la privation d’emploi, c’est dégager à terme des économies substantielles.
Pour autant, parallèlement au dispositif ambitieux qu’elle prévoit, et dans le souci d’en assurer le financement, la proposition de loi contient un projet de réforme fiscale de grande ampleur, à même d’entraîner un surcroît de recettes fiscales de 10 milliards à 11 milliards d’euros.
Les quatre piliers sur lesquels repose la réforme contribueraient en outre à la résorption des inégalités économiques et sociales, dont la croissance constitue, en période de sortie de crise plus encore que jamais, un obstacle fondamental à la convergence de toutes les énergies et de la cohésion nationale.
La première de ces réformes consiste en l’annulation d’une partie des mesures de baisse des impôts de production intervenues en 2021. Si de telles dispositions se sont révélées utiles pendant la crise sanitaire, il n’est pas juste que toutes les entreprises, même celles qui dégagent des profits importants tout en contribuant au réchauffement climatique, en aient bénéficié.
L’article 5, qui prévoit leur annulation, permettrait donc d’associer les entreprises au financement de la solidarité nationale à hauteur de 7 milliards d’euros, ce qui se justifie tout particulièrement à l’heure où la croissance atteint des niveaux sans précédent.
La deuxième réforme concerne l’imposition des grandes fortunes. En la matière, l’article 6 prévoit le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), sous la forme d’un impôt de solidarité sociale et climatique sur le capital.
Pour mémoire, le Gouvernement a supprimé l’ISF en 2018. Il lui a substitué l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui repose sur les seuls biens immobiliers, afin d’inciter à l’acquisition de titres de capital d’entreprises françaises plutôt qu’à la rente immobilière. Au terme de mes auditions, il est apparu qu’aucune étude ne permettait pour l’heure d’affirmer que l’objectif avait été atteint. Bien au contraire ! À ce jour, une seule chose est certaine : la suppression de l’ISF a largement profité aux plus riches.
L’article 7 prévoit en outre de supprimer le prélèvement forfaitaire unique (PFU), créé en 2018 et devenu l’option par défaut pour l’imposition des revenus du capital.
Enfin, dernière réforme fiscale, et non des moindres, l’instauration d’une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières, prévue à l’article 8, pourrait permettre de produire des recettes supplémentaires, à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros.
Il s’agirait là d’une juste contribution des marchés financiers au financement de la lutte contre le chômage de longue durée. C’est d’autant plus légitime que la bonne santé de ces marchés ne s’est jamais démentie depuis le début de la crise sanitaire.
Face à l’urgence sociale et à la crise environnementale, nous devons parvenir à articuler les enjeux du droit à l’emploi, de la transition écologique et de la justice fiscale sans les opposer.
La commission des affaires sociales n’a pas adopté la proposition de loi. Je le regrette. À titre personnel, je vous invite à voter ce texte.