Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain présente aujourd’hui sa proposition de loi visant à créer une garantie à l’emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social.
Le Gouvernement partage évidemment le diagnostic sur la nécessité de donner à chacun, sans exception, la possibilité d’accéder à un emploi pour trouver sa place dans la société. Un tel objectif fait d’ailleurs partie de ceux qui doivent nous rassembler assez largement au sein de cet hémicycle.
Monsieur Kanner, j’ai bien compris que vous jugiez notre bilan en matière d’emploi insuffisant. Permettez-moi néanmoins de souligner quelques éléments.
L’émancipation par le travail a été, du premier au dernier jour du quinquennat, au cœur de nos préoccupations et des réformes que nous avons mises en œuvre.
Je serai clair : si je partage votre diagnostic, le Gouvernement et moi-même sommes en désaccord avec votre proposition, qui pourrait, selon moi, plutôt fragiliser la situation de l’emploi, en déstabilisant les acteurs et en détricotant des réformes majeures.
Nous souscrivons donc à l’objectif de votre texte, mais nous n’approuvons pas les moyens de l’atteindre.
Tout d’abord, la pérennisation et l’extension progressive à tout le territoire de l’expérimentation TZCLD nous semblent prématurées.
Monsieur le rapporteur, vous avez défendu avec vigueur cette expérimentation, dont, encore une fois, nous sommes convaincus de l’intérêt. Nous l’avons nous-mêmes soutenue, tout comme d’ailleurs une large part de l’hémicycle.
Il convient de nous en tenir au texte en vigueur et de ne pas aller plus vite que la musique. La loi du 14 décembre 2020 est tout de même relativement récente. Elle comporte des éléments d’extension à cinquante nouveaux territoires tandis que neuf territoires ont déjà été habilités depuis son entrée en vigueur. Avançons donc progressivement.
Par ailleurs, l’expérimentation nécessite à chaque fois de construire un nouveau dispositif et de vérifier localement ses conséquences et ses performances.
Notre action s’inscrit donc dans l’esprit que vous souhaitez, mais la montée en charge de l’expérimentation ne doit pas se faire au pas de course – j’allais dire au pas de charge – ni au détriment de la qualité des parcours, des personnes et des projets de territoire.
Cette assemblée connaît bien les territoires. Elle sait le temps qu’il est parfois nécessaire de prendre pour que de telles expérimentations se traduisent en réussite.
Ensuite, la création de 100 000 contrats supplémentaires relevant de l’IAE d’ici à 2023 est un objectif louable. Mais vous semblez ignorer les efforts qui ont déjà été engagés.
L’article 2 de la proposition de loi prévoit ainsi de développer le nombre de parcours d’insertion, alors que cette démarche est déjà au cœur de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Dans le cadre de cette stratégie, plus de 100 000 nouveaux bénéficiaires devaient être accueillis dans l’insertion par l’activité économique entre 2018 et 2022 et orientés vers les métiers en tension.
Pour atteindre cet objectif malgré la crise, nous avons fortement soutenu le secteur, si bien que la moitié du chemin a déjà été parcourue, avec 55 000 personnes supplémentaires accompagnées en 2021 par rapport à 2017.
Prenons l’exemple du département du Nord, qui nous rassemble, monsieur Kanner. Nous nous sommes, l’un et l’autre, rendus plusieurs fois chez Vitamine T, l’un des leaders français de l’insertion par l’activité économique. Or ce groupe a déjà fait évoluer cette réalité : il compte aujourd’hui 3 349 salariés en parcours d’insertion.
Je donne cet exemple, car il est très vivant dans mon département et ma région, mais également car il est connu d’un certain nombre de sénateurs qui, peut-être, ont aussi ce type de références dans leur territoire.
Si l’on élargit à présent légèrement le spectre à l’action de ma collègue Brigitte Klinkert, chargée de l’insertion, 400 millions d’euros ont été alloués aux structures d’insertion par l’activité économique pour les aider, d’une part à surmonter la crise sanitaire et, d’autre part, à se moderniser et se positionner sur des secteurs porteurs, comme le bâtiment et les travaux publics (BTP), sur les métiers du numérique, les hôtels, cafés et restaurants, mais encore les métiers de transition écologique que vous avez évoqués.
Des initiatives sont d’ores et déjà lancées pour continuer de sécuriser cet objectif de 100 000 bénéficiaires supplémentaires en 2022.
Les dispositifs que nous mettons en place permettent déjà d’atteindre votre objectif, puisque, à une exception près, liée à la crise sanitaire, le nombre mensuel de personnes en parcours en IAE n’est jamais tombé sous la barre des 100 000 depuis 2017. Votre objectif est donc déjà atteint.
Enfin, le recours aux contrats aidés ne nous semble pas être le levier le plus approprié pour développer les emplois verts dans les secteurs public et privé.
J’ai bien noté, monsieur le rapporteur, les objectifs intéressants que vise la proposition de loi en la matière. Ils sont également les nôtres.
Pour le coup, vous risquez de faire une synthèse. Mais peut-être essayez-vous de faire du « en même temps » sur ce sujet… §En ce qui nous concerne, nos objectifs sont très clairs.
Par les articles 3 et 4, vous souhaitez adapter l’emploi à la transition écologique en créant 200 000 contrats aidés d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE) au sein de l’économie sociale et solidaire, dans les collectivités et les associations, ainsi que 50 000 contrats aidés dans le secteur marchand.
Considérer ces aides comme de simples subventions encourageant à la mise en œuvre de la transition écologique serait très clairement, à mon avis, une forme de dévoiement des contrats aidés.
Nous en avons d’ailleurs déjà discuté avec certains d’entre vous, lorsque nous avons nous-mêmes transformé un certain nombre de dispositifs de contrats aidés. Les collectivités locales et territoriales s’étaient inquiétées, à l’époque, de la question des ressources.
À plusieurs reprises, nous avons aussi échangé sur l’importance de l’accompagnement et sur la nécessité d’orienter vers des métiers d’avenir, d’où notre choix de l’ensemble des métiers en tension.
Mieux vaut ne pas courir plusieurs lièvres à la fois. Cela nuirait à l’activité des acteurs engagés dans l’insertion des plus éloignés de l’emploi.
En réalité, nous pensons qu’il est possible, sans confondre les outils, de mener de front les deux combats : insertion des publics éloignés de l’emploi et réussite de la transition écologique. C’est là, monsieur le rapporteur, que réside peut-être notre divergence.
Certains employeurs ont d’ailleurs déjà recours aux contrats aidés quand ils souhaitent développer leur engagement en matière écologique. D’autres utilisent des outils différents, comme le service civique. Que dire au maire de mon territoire qui a recruté une personne en service civique pour ce type d’activité ? Ne serait-il plus concerné ? Devrait-il se tourner vers un autre type de contrat ?