Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans l’un de ses articles, Alain Supiot dénonce le « renversement qui consiste à traiter le travail non pas comme la cause, mais comme un effet de la richesse ». Avec la proposition de loi présentée aujourd’hui, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat s’oppose à un tel renversement.
Nous rappelons que le travail est cause de richesse. Il l’est avant tout par ce qu’il permet de produire directement des biens et des services. En ce sens, c’est un bienfait dispensé par le travailleur. Il l’est également parce que toute personne qui travaille et qui bénéficie pour ce faire d’un droit dédié et protecteur est en mesure de contribuer à la vie de la société et à la qualité du tissu social dans les meilleures conditions.
A contrario, le chômage de masse est, à plusieurs titres, profondément délétère. Il a d’abord des coûts psychosociaux et en matière de santé publique. Il leste les finances publiques en affaiblissant les recettes de l’assurance sociale et en nécessitant, par exemple, la mise en place de politiques d’accompagnement.
Même, voire surtout, dans des périodes comme celle que nous traversons, où les chiffres de l’emploi sont meilleurs, nous nous devons d’être vigilants et d’impulser des politiques exigeantes au profit des personnes encore enlisées dans le chômage de longue durée.
Derrière ces données sympathiques se cachent en effet certaines vérités qui ne sont pas toutes bonnes à dire. Nous constatons en effet une amélioration de la situation de l’emploi, mais il y a encore 5, 6 millions de personnes inscrites au chômage. Il faut savoir également que les radiations contribuent à la statistique optimiste mise en avant par le Gouvernement, puisqu’elles représentent 9, 4 % des sorties des listes de Pôle emploi. Or leur nombre a bondi de 45 % depuis un an ! Il faut se poser la question du rôle que joue la réforme de l’assurance chômage dans un tel accroissement !
Nous avons un devoir de volontarisme pour ceux qui alimentent encore les chiffres du chômage et pour ceux qui sont sortis des radars. Il n’y a pas de personne inemployable ; il y a seulement des compétences mal identifiées et mal valorisées.
La présente proposition de loi, déposée par notre président de groupe Patrick Kanner, a donc pour objectif de lutter contre le phénomène en créant une garantie à l’emploi pour les personnes qui en ont été privées durablement.
Nous partons d’un constat : le besoin en travail est inépuisable, mais les travailleurs se heurtent à une structuration du marché du travail défaillante.
Je me permets d’ailleurs de réfuter ici une idée reçue : non, les entreprises ne pâtissent pas massivement d’une situation dans laquelle les postes seraient non pourvus ni d’une pénurie de main-d’œuvre ! Pôle emploi a, en effet, publié le 10 février dernier une étude soulignant qu’en 2021, sur les 3, 1 millions d’offres qui y étaient déposées et clôturées, seuls 6 % des recrutements s’étaient soldés par un abandon faute de candidats.
Selon le préambule de la Constitution de 1946, chacun a le « devoir de travailler » et le « droit d’obtenir un emploi ». C’est pour tendre vers cet objectif que nous avons déposé la présente proposition de loi.
Pour ce faire, nous nous appuyons sur trois piliers : la montée en puissance de l’expérimentation TZCLD ; le développement de l’IAE ; le développement des contrats aidés. On ne présente plus ces dispositifs et expérimentations. Le choix est cependant trop souvent fait en France, dans le cadre des politiques publiques, de ne pas les consolider ni de les conforter une fois installés et ayant fait leurs preuves. Au contraire, les pouvoirs publics choisissent plutôt de passer à l’expérimentation ou au dispositif suivant. Il faut aller plus loin.
Avec TZCLD et l’insertion par l’activité économique, notamment, nous avons les éléments d’une politique à destination des chômeurs de longue durée sur lesquels il faut faire fond. Ils comportent en effet une dimension « formation » des plus précieuses, qu’elle soit formalisée en tant que telle ou expérientielle.
Par ailleurs, si un amendement bienvenu du rapporteur tend à remplacer la « conditionnalité verte » pour les contrats d’accompagnement dans l’emploi par une approche essentiellement incitative, il n’en reste pas moins que la présente proposition de loi témoigne de notre souci de protection de l’environnement. C’est vers cela qu’il faut tendre.
Il en va de même pour le troisième amendement du rapporteur, relatif aux contrats initiative emploi (CIE) ; il est proposé de limiter la conditionnalité de neutralité carbone aux entreprises de plus de 250 salariés.
Dans le cadre du développement de l’économie sociale et solidaire que nous soutenons en appuyant le travail du tissu associatif, des coopératives et de toutes les entreprises concernées, nous prônons le verdissement de tous les emplois susceptibles de connaître une telle évolution.
Notre approche est bien une approche systémique. C’est pour cela qu’elle repose sur trois piliers différents.
C’est également la raison pour laquelle nous reprenons avec plaisir l’observation qui nous a été faite en commission, selon laquelle notre proposition de loi participerait de la politique générale, avec un volet de politique sociale et un volet de politique fiscale.
C’est très exactement cela. Face à l’ampleur des enjeux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous contenter de politiques à courte vue et sans ambition.
L’intérêt de notre démarche est par ailleurs de s’appuyer sur des expérimentations et des manières de procéder nécessitant un travail sur le temps long, impliquant les acteurs locaux, qui ont pris le temps de bien connaître leur territoire et de développer une vision le concernant.
Ces acteurs ne sont pas uniquement investis dans une démarche volontariste. Ils doivent également faire la démonstration de l’existence d’un projet pour le territoire et les populations concernées. Nous affirmons en effet, au diapason du secteur associatif et des parties prenantes, que, loin des logiques descendantes, c’est bien par la coconstruction pensée et menée à l’échelon local avec des modalités partout différentes que nous sommes susceptibles de trouver les moyens de faire face aux défis qui sont les nôtres aujourd’hui.
Je termine en remerciant notre rapporteur, Jean-Luc Fichet, et notre président de groupe, Patrick Kanner, du travail fourni sur la présente proposition de loi.